Vivre enfin !

On ne meurt plus du sida maintenant comme autrefois, on a dû te l’expliquer, du moins, je l’espère. Il existe dorénavant une médication appelée trithérapie, c’est-­à-­dire une association de trois molécules différentes pour lutter contre la multiplication du virus de l’immunodéficience humaine, le VIH, et l’empêcher d’augmenter et de rendre l’organisme vulnérable. Ainsi, même s’il ne guérit pas, le patient demeure en santé, à la condition d’absorber les médicaments fidèlement et à vie. Cette découverte d’il y a quelques années déjà va sauver des milliers de destinées.
— J’en prends déjà, moi, des remèdes à perpétuité, pour mes problèmes d’ordre mental ! Ça me suffit !
— Quelques pilules de plus ne te feront pas mourir, mon Simon !
— Ma vie n’en vaut pas la peine ! N’en vaut plus la peine. J’en ai ras le bol de toutes ces misères…
— Au contraire, mon ami, la société a besoin de types comme toi pour développer de meilleures conditions pour les malades. En plus d’entreprendre une campagne de sensibilisation auprès du public, tu pourrais peut-­être faire partie de mon programme de recherches sur cette quadrithérapie, donc la présence de quatre substances au lieu de trois, cela pour déterminer si cette façon de faire peut améliorer les choses encore davantage.

Rien, absolument rien au monde ne semblait plus efficace pour le rendre euphorique et le mener au nirvana que l’alcool et la drogue. Pour l’aider à tout oublier, sa misère et ses échecs, ses troubles mentaux surtout… Pour le lancer dans la lumière.
Le seul point négatif consistait à devoir accomplir parfois des vols pour se procurer ces substances paradisiaques, quand le fruit de sa mendicité et la vente de canettes récupérées dans les poubelles ne suffisaient pas. Il n’en était pas encore aux attaques à main armée et il espérait très fortement ne jamais en venir là. Par contre, au rapt des sacoches de femmes qu’il remettait vidées de leur contenu dans une boîte aux lettres, ou à l’argent récolté grâce à la distribution de pot autour d’une école secondaire, il ne disait pas non. Dieu merci, cela ne se produisait que très rarement et dans les situations suffisamment urgentes pour commettre ces délits.

De plus en plus inapte à supporter les ordres et les contradictions, et encore moins à tolérer l’intimidation exercée par les élèves, le garçon se défendait en hurlant et en frappant ses agresseurs à tour de bras. Comment pourrait-­il faire autrement ? Il aurait préféré s’en aller pleurer tout seul dans un coin, mais plus il grandissait, plus souvent la colère l’envahissait, impérative et insoutenable. Elle s’emparait autant de ses pensées que de ses muscles et de sa respiration, provoquant en lui une douleur vive en même temps qu’une énergie farouche l’empêchant de se concentrer sur autre chose. Alors, pour s’en libérer, il se mettait à crier, aboyer, tempêter, frapper en jouant des pieds et des mains autour de lui. À vrai dire, il ne connaissait pas de moyens plus efficaces pour apaiser les tensions causées par les autres.

Assis sur le lit de sa minuscule cellule, Simon tenta de se convaincre que ce lieu lui était destiné pour un an, avec ses quatre murs, une fenêtre et une porte dont il ne détenait cependant pas la clé. Et il serait logé et nourri tous les jours. Wow ! Un minimum qu’il ne possédait pas sur la rue, pourquoi s’en plaindre ? Après tout, lui, l’hyperactif, réussirait peut-­être à souffler un peu ? À se reposer ? À se calmer ? Qui sait s’il n’essayerait pas d’écrire ses pensées et même de lire un livre, à moins de fraterniser avec d’autres taulards et d’inventer des occupations avec eux ? Pour cela, non ! Mieux vaudrait s’en garder. Certaines influences pourraient parfois s’avérer pernicieuses.

En avait-­elle reçu, des reproches ou, à tout le moins, des conseils négatifs de la part des professeurs et de ses connaissances quant à sa façon d’éduquer ce fils ! Trop sévère ou trop indulgente, trop tolérante ou trop exigeante, trop ceci ou trop cela… Parfois, elle se mettait à douter de ses compétences de mère. Mais pourquoi se rendre responsable, elle, quand le reste de sa progéniture fonctionnait parfaitement ? Alors, elle pressait son petit sur son cœur, lui murmurant des mots d’amour afin de le consoler et se rassurer elle-­même. « Tu n’es pas comme les autres, je le vois bien, mais je ne t’abandonnerai jamais, je t’aimerai toujours, en dépit de tout, fais-­moi confiance… »