Je me suis totalement immergée dans ce roman plus que passionnant, fascinant, dans lequel l'auteur s'est fait virtuose de la menace et des faux-semblants, autour d'une construction en miroir proprement vertigineuse.
Le lecteur accompagne les recherches du narrateur, faux double de lui-même, universitaire de 62 ans, amoureux de son étudiante Lorna. Il dispense des cours sur l'Amérique des années 60 et sur la controverse autour de l'assassinat des Kennedy, John Fitzgerald puis
Robert Francis. Lorsqu'il est question de concevoir un enfant, il semble vouloir mettre les bouchées doubles pour boucler une enquête commencée depuis 40 ans, et comprendre enfin en quoi la mort de ses parents pourrait être liée, comme il l'a toujours pressenti, à celle des deux frères Kennedy, et surtout à celle
De Robert.
En même temps que nous suivons les méandres et déambulations de l'enquête à la fois pointue et intuitive du narrateur sur ses parents, surtout sur son père, résistant juif dans le réseau communiste, qui travaillait également pour les services secrets anglais (nobody's perfect), nous le verrons passer de la France au Canada, tout en échafaudant diverses théories sur une possible conspiration dans laquelle aurait trempé son père, avant le prétendu suicide de sa mère et son prétendu accident de voiture. A la fin de la seconde guerre mondiale, ce dernier avait utilisé sa spécialité, l'hypnose, pour aider des rescapés des camps à surmonter leurs traumatismes, avant de devoir être exfiltré au Canada. C'est une vie comme on en fait peu, d'autant plus que son épouse, la mère du narrateur, était une belle Irlandaise du Nord, peut-être affiliée aux Républicains de son pays, voire à l'IRA...
En parallèle, l'auteur nous fait suivre les dernières années de la vie de Robert Kennedy, sa montée vers la Présidence, de nouveau, alors qu'il y croit lui-même insuffisamment, mais qu'il se laisse prendre au jeu, devenu l'espoir des pauvres, de la communauté noire et portoricaine. Cette irrésistible montée vers la lumière le met en danger, il le sait, et nous avons revécu avec lui le traumatisme de la mort de son frère, qu'il se reproche amèrement de n'avoir pu empêcher. Autour de lui, un tissu de corruption, de mafieux aux méthodes expéditives, et l'emprise non moins funeste de la CIA sur la vie politique du pays, tissent une toile mortelle, "monde invisible" prêt à tout pour sauvegarder ses intérêts. Tout est bon pour éviter les idées progressistes, rapidement discréditées au nom de sympathies communistes, avant d'éliminer les porteurs mêmes de ces idées.
Plus l'enquête avance, plus les éléments sont réunis sur les deux crimes, plus l'évidence se fait jour : les thèses officielles ne tiennent pas debout, et font même fi des preuves ou des déclarations des témoins. Les morts jalonnent la marche de la justice. Un pan du roman semble nous faire basculer dans la paranoïa et le complotisme, tout en gardant un certain recul, et en n'excluant pas une explication plus psychologique d'une vision biaisée chez le narrateur, afin d'accepter la réalité sordide de la mort de ses parents. le roman ne prend pas seulement les éléments du thriller d'enquête juridique, il forme aussi un impressionnant terrain d'analyse psychologique, on se croirait vraiment dans le cerveau de RFK. La langue de l'auteur est par ailleurs remarquable, dense mais toujours maîtrisée, limpide, les formules font mouche, avec un ton souvent désabusé.
Un roman vraiment à recommander, qui reste facile à lire et palpitant malgré la matière brassée, parfois un chouïa trop complotiste pour moi (le projet MK Ultra), mais qui donne froid dans le dos quant aux possibilités d'évolution de la société américaine.