la prochaine fois que l'on fera reproche à quelqu'un d'un manque d'ambitions professionnelles, il pourra rétorquer "Ah oui? Et les Kennedy ?".
C'est vrai, quand on y songe :
- le premier de la lignée, Joseph Kenney Jr, poussé par son pôpa, élevé au grain pour la Présidence. Bam ! Explosé dans son avion en 1944 au dessus de l'Angleterre.
- le deuxième, The JFK, président en exercice, assassiné avec une balle magique qui se fraie un chemin dans son corps tel un mulot dans un labyrinthe. La balle magique. Puisqu'on vous dit qu'il n'y eut qu'un seul tireur...
- le troisième, Robert, favori pour la présidentielle de 1968, au programme très à gauche pour les Staaates. Bim ! Une balle dans le buffet, avec plus de projectiles retrouvés que ne pouvait en contenir le barillet de l'assassin officiel. Après la balle, c'est le flingue qui est magique.
L'ambition c'est très surfait. C'est même dangereux.
Un professeur d'histoire contemporaine de l'université de Colombie-Britannique est persuadé que la mort successive de ses deux parents en 1967 et 1968 est liée à l'assassinat de Robert Kennedy. le roman déroule en parallèle l'enquête sur son père, psychiatre renommé, spécialiste de l'hypnose, qui a quitté précipitamment la France avec sa mère à la fin des années quarante pour rejoindre le Canada et le parcours de Robert Kennedy. Celui-ci s'enfonce dans la dépression après l'assassinat de son frère John, avant de se décider à reprendre le flambeau familial pour l'élection présidentielle de 1968, sachant que cela le conduit à une mort inévitable.
D'ambition,
Marc Dugain n'en manque pas.
Déjà dans LA MALÉDICTION D'EDGAR, biographie romancée et documentée de Hoover, tout puissant patron du FBI, il se glissait dans la tête de J. Edgar. Il récidive ici en imaginant les tourments, les doutes et les failles de Robert Kennedy. Très belle idée. On tutoie la tragédie grecque.
Sophocle au Kansas. Robert Kennedy sait qu'il va mourir, il ne dévie pas de son destin et marche à sa rencontre. Pétri de culpabilité de par sa fortune et ses privilèges, profondément catholique tendance catho soc', Bob Kennedy ne s'aime pas et se complaît dans un masochisme triste.
Robert Kennedy est à un souffle de la maison blanche avec un programme radical pour les USA et ça... Ce n'est tout bonnement pas possible. le système [la CIA, la Mafia, les anticastristes, Johnson, les Texans, l'armée, même s'ils ne sont pas les commanditaires directs. Sans oublier l'industrie militaire, inquiète de la volonté de Kennedy de sortir du conflit vietnamien] a donc tué Robert Kennedy. C'est en tout cas la thèse de Mark, le narrateur qui est persuadé que la mort de ses parents est connectée à celle de Robert Kennedy.
Ce très bon livre déploie deux histoires en parallèle, la quête toute personnelle du narrateur Mark, qui retrace le parcours de son père et le fatum de Robert Kennedy qui ne peut se dérober à la tragédie familiale.
Comme d'habitude, Dugain s'appuie sur un style distancié, froid, qui ne se prête pas à l'empathie. Il est même parfois un brin abscons, le plus souvent il touche juste, une pertinence lucide et désabusée.
Les ouvrages disséquant le mythe Kennedy sont légion, le plus souvent à charge et axé sur un JFK queutard compulsif. Dugain privilégie son petit frère, la véritable bête noire de Hoover, CIA, mafia (qui a fortement contribué à l'élection de JFK en achetant les votes) etc.
Allez, on peut bien le dire, on frôle parfois le panégyrique. Dugain nous montre un Robert Kennedy juste et bon. Je sais bien que comparaison n'est pas raison, mais si on l'évalue à l'aune de ses contemporains, adversaires et alliés, il s'en sort mieux c'est vrai. du moins, on aimerait le croire. Robert Kennedy était l'espoir d'une génération, lasse et horrifiée de la guerre du Vietnam. La mort de Bob a sonné le glas du flower power et Nixon s'est installé aux affaires.
Dugain embrasse un "âge d'or", un élan vite retombé, éteint par la drogue et les overdoses, dont on ressent les contrecoup culturels encore aujourd'hui. Toute une époque, dont on combat férocement les avancées aujourd'hui, dans un combat d'arrière garde.
En conclusion, les dernières pages du bouquin renferment un joli twist qui renverse la perspective et nous laisse un poil égaré, entre complot établi et théorie conspirationniste fumeuse.
Mais bon...
Les théoriciens du complots sont comme les paranoïaques. Ils leur arrivent, quelques fois, d'avoir raison.
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