Si l'on en croit les sondages, Launay, homme politique de renom, est promis à une carrière présidentielle. L'homme aime louvoyer dans les eaux troubles d'autres sphères du pouvoir, industrielles, policières, sans oublier celles du sexe. Il est prêt à tout pour parvenir à ses fins, même – surtout - quand ses manoeuvres concernent sa famille. Quand les statistiques le propulsent déjà à la tête de l'Etat, il va lui suffire simplement d'accélérer son emprise sur le réel. C'est sans compter sur quelques bavures et cadavres çà et là…
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L'emprise » de
Marc Dugain est une saga politico-policière qui entremêle diverses intrigues et personnages, et des lieux variés, depuis la capitale, jusqu'à la Bretagne, la Normandie et l'Irlande, sur le mode d'une enquête policière. le propos se veut résolument cynique, démontant avec un réalisme glacial les rouages et le mépris des hommes de pouvoir. L'écriture est d'une grande finesse et se veut sans concession. Et c'est ce jusqu'au-boutisme qui peut agacer à la longue, l'aspect monolithique de la critique. Pas un personnage, ou presque, ne ressort grandi à l'issue de cette saga.
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L'emprise » est jalonnée çà et là de quelques belles pépites d'humour noir. En voici deux, au gré de la collecte des bons mots, l'une qui dénigre l'outil statistique :
« En vue de l'élection, il venait de recruter un nouveau conseiller politique, l'ancien patron d'un institut de sondage, une de ces sociétés qui, à travers des modèles statistiques complexes, parviennent à connaître l'opinion de chacun sans qu'il ait eu à l'exprimer, ni même la penser, donnant à l'individu le sentiment de n'être qu'une particule dans un flot irrésistible. Ce procédé de vote permanent avait d'ailleurs rendu la démocratie particulière, car, à chaque échéance électorale, chacun savait par d'autres pour qui il allait voter, avant même de l'avoir décidé, devenant ainsi le spectateur de lui-même, ce qui contribuait significativement à un sentiment diffus d'impuissance. » (p. 44.) ;
l'autre, l'hermétisme du discours universitaire :
« La conférencière avait brillamment poussé dans le terreau de l'université française, dont elle était un fleuron reconnu.
- La question des allophones est avant tout l'étude de la question de la minorisation d'apprenants. La langue, objet de beauté selon
Klinkenberg, est aussi l'expression d'une idéalisation de type saussurien prise comme système. […]
Launay s'endormit, éreinté par le meeting de la veille qui l'avait conduit très tard dans la nuit et par cette succession de mots qu'on aurait pu mettre dans n'importe quel ordre sans fondamentalement altérer le sens du discours, qui n'était de toute manière par délivré pour atteindre l'auditoire, relevant a priori plutôt de l'incantation masturbatoire. Quand il se réveilla, il regarda autour de lui pour voir si sa sieste matinale avait été remarquée, mais apparemment tout le monde dormait aussi. le discours, lui, continuait, volontairement abscons. Son but n'était pas de régler ses problèmes mais de s'en exonérer vaillamment par une démonstration de voltige destinée à asseoir l'autorité de l'université sur de pauvres enseignants de collège déjà punis d'hériter en classe de sixième d'enfants ne sachant ni lire, ni écrire, ni parler. » (p. 308-309.)
En bref, une saga jubilatoire, qui brosse un portrait sans concession des sphères de pouvoir, du monde politique en premier lieu, mais dont le cynisme peut, à la longue, agacer, voire plonger dans les affres d'un marasme sans fond…