L'ouvrage sous recension rassemble les contributions au colloque "Les administrations coloniales et la pacification XIXème-XXIème siècles" qui s'est tenu en mars 2012 à l'Auditorium des Invalides et à l'École militaire.
En théorie, la pacification succède à la conquête coloniale. Comme le souligne Samia el Mechat dans son introduction, elle "renvoie à l'idée d'apaisement, de conciliation et de paix" (p. 8). Elle implique à la fois les civils et les militaires. Selon des expressions bien connues, vulgarisées par Gallieni et Lyautey,ou par Théophile Pennequin dont un article de
Jean-François Klein souligne l'influence fondatrice, le processus de pacification qui vise "à conquérir les esprits et les coeurs" doit faire "tache d'huile" afin de parachever la "mission de civilisation" du colonisateur. le maître d'école et le médecin de campagne sont, aux côtés du militaire et du policier, les chevilles ouvrières du processus de pacification.
Mais, il y a loin de la coupe aux lèvres. Comme l'écrira avec lucidité
François Mauriac, il s'agissait de "faire la guerre (...) en ayant recours à un euphémisme commode (...) en biffant le mot guerre pour écrire à la place : pacification" (p. 13). La colonisation n'a pas été un processus phasé où le temps de la conquête a cédé la place à celui de l'occupation. Au contraire une solution de continuité a prévalu entre conquête et pacification, celle-ci empruntant à celle-là les mêmes méthodes à défaut du même vocabulaire. C'est ce que montre la quasi-totalité des contributions de l'ouvrage qui embrassent un champ géographique et historique très large. Les pirates Qawasims dans le golfe arabo-persique au XIXème siècle (Guillemette Crouzet), les Tové dans le Sud-Togo en 1895 (Koffi Nutefé Tsigbé), les troupes de Samory dans le Soudan français, les Moros à Mindanao (William Gueraiche) ont été l'objet d'opérations de « pacification », beaucoup moins pacifiques que belliqueuses, de la part des troupes d'occupation respectivement anglaises, françaises, allemandes ou américaines.
Les discours et les pratiques coloniales connaissent une résonance, un siècle plus tard, dans les discours et les pratiques américaines en Afghanistan et en Irak. C'est d'autant plus surprenant que ces interventions ne sont pas des entreprises coloniales, l'objectif des États-Unis n'étant pas de s'emparer de ces territoires pour y imposer leur loi et s'y implanter durablement.
Pour autant, un courant doctrinal très influent, la contre-insurrection connue sous son acronyme COIN, se développe aux États-Unis au début des années 2000. Dans les think tank, dans les états-majors, jusqu'à la CIA, les COINdinistas (Philippe Droz-Vincent, p. 343) redécouvrent l'oeuvre de Gallieni, de Lyautey, rééditent
David Galula, font visionner à leurs troupes « La bataille d'Alger » de Gilles Pontecorvo. Post-clausewitziens et post-wébériens, plus ouverts que leurs aînés aux sciences sociales, ils appellent à la conquête « des coeurs et des esprits » et, pour ce faire, favorisent les contacts avec les civils, la distribution d'aide, l'éducation et la santé, sur les opérations purement militaires.
Mais comme les entreprises de pacification menées durant les XIXème et XXème siècles, qu'il s'agisse de la Malaisie britannique ou de l'Algérie française, qui n'auront pas permis la victoire durable des forces d'occupation, les stratégies mises en oeuvre par David Petraeus ou Stanley McChrystal sont vouées à l'échec. Car hier comme aujourd'hui, la démocratie pas plus que la civilisation ne s'exportent par la violence. Comme l'écrivait Lawrence d'Arabie : « Se servir de la guerre contre une révolte est un procédé aussi malpropre et aussi long que de manger sa soupe avec un couteau » (Jean-Jacques Roche, p. 355)