Je l'avoue: je suis venue à
American psycho par pur voyeurisme, sur la foi de critiques évoquant des scènes d'horreur inimaginables... Mauvaise raison ? Sans doute, mais le fait est là que c'est elle qui m'a conduit à l'acheter. Reste qu'au bout de 50 pages de lecture, je n'attendais même plus après les meurtres, tellement j'étais déjà sustentée en psychopathie par les moeurs du milieu des yuppies new yorkais où évolue Patrick Bateman... Et ce que j'ai découvert c'est un livre fou, d'une construction conceptuelle inattendue et particulièrement audacieuse: une construction narrative entièrement basée sur les travers obsessionnels de ces jeunes traders et de leur amantes. Ainsi, de longues énumérations de marques et de détails vestimentaires introduisent les chapitres, définissant les personnages par le paraitre qui constitue leurs vies, ignorant superbement leur psychologie... Les seules ablutions matinales du héros courent sur des dizaines de pages tout aussi riches en name dropping... Jamais on n'apprendra quoi que ce soit sur les activités professionnelles de ces jeunes cadres bourrés de soie, de coke et de sexe. Au mieux, une scène où on compare le piqué des cartes de visite, une autre où Bateman parle avec sa secrétaire. Au lieu de ça, mains détails incongrus parsèment le récit (Patrick descend 15 litres d'eau par jour pour conserver son teint...). Bref quand viennent enfin les scènes de tueries, le portrait psychopathologique est déjà complet! du coup, peut être pour cette raison, je n'ai pas aimé ces moments, aussi longs et indigestes que les scènes pornographiques, mais je dois reconnaitre que leur excès, voir leur impossibilité concrète même, affirment la folie du personnage, puisqu'on devinera à la fin que ces meurtres sont probablement le fruit de son imagination, à l'exception du dernier meurtre peut-être, tant il est laborieux, minable, ensuivi d'une traque policière, bref tout en contraste avec la flamboyance baroque et impunie des précédents...
Nous sommes donc plongés du début à la fin dans l'idée que se fait du monde Patrick Bateman, et comme cette idée est celle d'un esprit dérangé, c'est troublant et vertigineux.
On l'aura compris, je fais partie des quasi-inconditionnels de
American psycho: Entièrement voué à un concept qu'il nous donne à ressentir à coups de traits de pinceaux fous jusqu'à nous déstabiliser et nous déplaire, dépourvu de pesanteur explicative, porté par l'ambiguïté, irrationnel de bout en bout tout en restant concret, ceci est de la pure, de la vraie littérature.