D'une certaine manière, ce tome fait suite à Warren Ellis' Strange Killings: Necromancer (VO, 2004) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Il comprend les épisodes 0 à 3, initialement parus en 2007/2008, coscénarisés par
Warren Ellis &
Mike Wolfer, dialogués par Ellis, dessinés et encrés par Raul Caceres (épisodes 0 à 2) et par
Oscar Jimenez (épisode 3, puis 4 à 7), et mis en couleurs par Greg Waller (épisodes 0 à 2) et Juanmar (épisodes 3 à 7).
Mike Wolfer a également réalisé les couvertures alternatives. Ce commentaire porte sur les épisodes 0 à 7.
Quelque part en Afghanistan, un groupe de terroristes détient un soldat britannique. Il est à genoux devant eux et leur porte-parole s'adresse à la caméra pour indiquer qu'ils vont entamer un Jihad contre le monde occidental et que ce soldat sera leur premier coup porté. Soudain, alors que le porte-parole s'apprête à trancher la gorge de l'otage, celui qui le tient s'écroule mort à côté, Puis c'est au tour d'un autre terroriste de s'écouler comme si une balle lui avait traversé le crâne. Un troisième meurt ensanglanté. le porte-parole lâche l'otage et se retrouve plaqué contre le mur par une force invisible. Une voix désincarnée intime à l'otage de se lever et de courir vers l'ouest où il rejoindra un camp ami. Après son départ, le sergent major William Gravel devient visible aux yeux du dernier terroriste encore en vie. Il s'occupe de son cas et lui précise qu'il n'y a pas de vierge dans l'au-delà. de retour à Londres, William Gravel rend visite à Simon Shiranian, un détective de l'occulte.
Gravel contraint Shiranian à le faire entrer chez lui. Il le jette sur un canapé et entame la discussion. Il veut savoir comment Shiranian a réussi à prendre sa place au sein du cercle de magiciens appelés les Sept Mineurs (Minor Seven). Après s'être fait secouer, Simon Shiranian lâche le morceau : tout le monde a cru que William Gravel est mort en Afghanistan. Shiranian avait réussi à mettre la main sur un manuscrit pensé détruit et ayant appartenu à Thomas Carnacki : le Sigsand. Il l'a offert aux Sept en échange de la place laissée vacante par Gravel. Ce dernier s'occupe de lui. Puis il se rend dans le village de Langton Green au Sud de Londres. Sur place, il constate des corbeaux morts dans la rue, et le journal local évoque la disparition de trois jeunes filles. Il va descendre une pinte au pub local pour écouter les ragots. Puis il se met à marcher pour sortir de la ville et accéder à une demeure à l'écart où la densité de cadavres de corbeaux se fait plus élevée. Il pénèt
re de force dans la demeu
re de Jérôme de Montfault, et la discussion s'engage. Jérôme de Montfault commence à expliquer qu'il pensait que William Gravel était mort en Afghanistan. À sa demande, il continue à expliquer qu'il a commencé à étudier les pages du Sigsand que Simon Shiranian lui a confiées.
Après 6 aventures indépendantes,
Mike Wolfer &
Warren Ellis décident de lancer une série continue pour William Gravel. La répartition des tâches montre que Wolfer reste très impliqué dans le personnage, voire est peut-être celui qui a convaincu Ellis de continuer à écrire pour le personnage. L'épisode zéro introduit donc le concept de ce cercle de magiciens se faisant appeler les Sept Mineurs, étant entendu qu'il existe un autre cercle des Sept Majeurs, les premiers accomplissant les tâches manuelles des seconds. Pour autant, les coauteurs ne souhaitent pas changer le mode narratif des aventures de leur magicien de combat. le principe de ces Sept Mineurs est posé en 2 phrases, ainsi que la dynamique de ce premier tome. William Gravel s'est fait éjecter du groupe du fait de sa mort présumée, et il compte bien faire comprendre que l'annonce de sa mort était prématurée. le schéma apparaît rapidement : William Gravel va rendre visite à chacun des magiciens des Sept Mineurs et ça va faire mal. Au fur et à mesure, il récupère les morceaux du Sigsand que Simon Shiranian a distribué aux six qui l'ont accueilli. le lecteur est ainsi assu
ré d'avoir un combat spectaculaire à chaque épisode, de faire connaissance avec les différents magiciens, et que William Gravel va mériter son tit
re de magicien de combat.
Pour démarrer la série, les coscénaristes ont fait appel à
Raulo Caceres, avec lequel
Warren Ellis collaborera à nouveau par la suite, par exemple pour Captain Swing (2010/2011). le lecteur retrouve William Gravel conforme à l'apparence que
Mike Wolfer lui avait donné à sa création et dans ses aventures précédentes : musculature massive, une coupe de cheveux militaire (
normal, il fait partie du Special Air Service), un éternel imperméable en cuir sur le dos, un jean, mais il a troqué ses bottes de combat pour des chaussures. Cet artiste s'investit fortement dans les détails et dans la représentation des textures. le lecteur éprouve la sensation qu'il peut tout toucher : les cheveux, le cuir d'un canapé, la ci
re de bougies, les nervures de planches de bois, les écailles d'un serpent, les fibres du tissu d'un drap ou une chemise. Par ailleurs Caceres a la hantise de la case pas assez remplie. du coup, il en donne pour son argent au lecteur en termes descriptifs (il ne manque pas un liv
re dans les étagères de la bibliothèque de Simon Shiranian, ou une brindille dans les abords de la demeu
re de Jérôme Montfault), ou alors en termes de mouvement et d'énergie ectoplasmique (le brouillard qui accompagne les mouvements des chevaux de Joana Garden). Comme à son habitude, Ellis a conçu les scènes d'affrontement de manière qu'elles puissent être racontées uniquement par les images, et
Raulo Caceres en met plein la vue du lecteur, avec une lisibilité parfaite.
À partir de l'épisode 3,
Oscar Jimenez prend la place de
Raulo Caceres. le lecteur commence par être un peu surpris car ce nouvel artiste donne une carrure plus
normale à William Gravel, au point qu'il donne l'impression de flotter dans son imperméable en cuir, d'une ou deux tailles trop grand pour lui. de temps à autre, une main semble un peu trop grande, ou un bras un peu trop long. Mais rapidement ce nouvel artiste prouve ses compétences narratives. Dès l'épisode 3, il doit mettre en scène une aventu
re de Thomas Carnacki pendant 6 pages, et l'atmosphère inquiétante et surnaturelle est parfaitement rendue. Puis il doit mettre en scène un dialogue durant 7 pages : la prise de vue est intelligente et permet de maintenir un intérêt visuel dans une conversation pourtant assez statique. L'épisode suivant est tout aussi exigeant puisque cette fois-ci il met en scène un combat entre William Gravel et ses opposants pendant 11 pages. La logique des déplacements est cohérente et prend en compte les spécificités de l'endroit où l'affrontement se déroule. le lecteur peut suivre les mouvements de chacun, les coups portés, les blessures, l'utilisation de la magie. Jimenez n'est pas au bout de ses peines, car Wolfer & Ellis ont encore concocté des moments spectaculaires qui, en bande dessinée, ne coûtent rien, si ce n'est le temps passé par le dessinateur, et sa capacité à les agencer de manière lisible. En particulier, le lecteur reste comme William Gravel, bouche bée devant une Chasse fantastique.
Les coscénaristes envoient donc leur héros dans un jeu de massacre, où tous les Sept Mineurs vont se retrouver face à William Gravel et pouvoir tester leurs compétences. L'histoire ne se résume pas à une succession de combats spectaculaires et terribles. Dans l'épisode 3, le lecteur bénéficie d'un hommage bien tourné à
Carnacki : le chasseur de fantômes de
William Hope Hodgson (1877-1918). Au fur et à mesu
re de sa progression, William Gravel est confronté à la question de savoir ce que le pouvoir fait à celui qui en possède. Il ne s'agit pas juste de constater que le pouvoir magique corrompt, comme les autres formes de pouvoir. Dès le départ, il ne fait aucun doute que Gravel est le héros de l'histoire et que par voie de conséquence ses ennemis sont dans l'erreur. Mais Wolfer & Ellis montrent bien que les décisions morales de Gravel sont aussi guidées par le fait que lui-même possède un pouvoir magique, et qu'il est un combattant aguerri. Il n'hésite pas à tuer, et généralement avec une touche de sadisme. Ce fait est établi (ou rappelé) dès la séquence introductive avec les terroristes. Au fur et à mesure qu'il récupè
re des morceaux du Sigsand, Gravel a bien conscience qu'il sera ainsi plus facile pour d'autres de le récupérer entier, plutôt que d'aller chercher les morceaux par eux-mêmes. Il devient ainsi dépositai
re de ce pouvoir fantastique.
La question du pouvoir se pose également d'une autre manière. Après avoir triomphé d'un de ses ennemis, il prend possession de son manoir de Shockham et de ses 34 acolytes qui deviennent les serviteurs dévoués de Gravel. Il se rend compte qu'il est passé du camp des prolétaires qui luttent contre l'autorité en place, dans le camp des propriétaires et qu'il a des responsabilités vis-à-vis des acolytes qui attendent de lui qu'il leur enseigne la magie et le combat. Il sait qu'il a dépassé l'âge de la retraite des membres du SAS, et qu'il est arrivé à un âge où il devrait songer à s'installer. Enfin se pose la question de savoir de ce qu'il fera du Sigsand une fois qu'il en aura assemblé les 6 parties. William Gravel se retrouve dans une position intenable. Il a constaté par lui-même ce que sont devenus les 6 autres anciens Sept Mineurs, la maniè
re dont ils ont perdu le contact avec le monde
normal. Il sait ce qu'il ne veut pas devenir, mais ses actions l'ont placé dans une position similaire à la leur. Au beau milieu d'un récit de genre, ou plutôt de sous-sous-genre, les auteurs amènent le lecteur à s'interroger sur l'inéluctabilité de s'installer dans la vie quand l'âge le rattrape.
A priori le lecteur est toujours preneur de combats bien menés par un magicien de combat pas commode et bien malin, cont
re des monstres humains ou non, même si le format d'une série de miniséries semblait convenir à William Gravel, et assurait qu'il n'y aurait pas de risque de dilution pour respecter un rythme de parution mensuelle. Il est satisfait de voir que
Warren Ellis et
Mike Wolfer continuent de travailler ensemble, car ce sont eux qui ont défini le personnage. Les pages de
Raulo Caceres sont suintantes comme à son habitude, avec des matériaux très tactiles, et des affrontements brutaux à souhait.
Oscar Jimenez prend une liberté avec la carru
re de Gravel, mais sait donner à voir ses aventures, avec une inventivité, une rigueur et une lisibilité remarquables. Les coscénaristes donnent au lecteur ce qu'il attend, et commencent à développer un thème inattendu montrant que le personnage principal évolue.