La narratrice retrace son enfance sans contrainte, entre des parents qui l'élèvent vers la réussite qui passe pour eux par une scolarité réussie : « Ce que je deviendrai ? Quelqu'un. Il le faut. Ma mère le dit. Et ça commence par un bon carnet scolaire ». Les parents d'Annie partagent les tâches ménagères et le travail à l'épicerie-café sans se soucier des normes sociales de leur époque. Ainsi, le mari épluche les légumes et fait la cuisine en même temps qu'il sert les clients. de son côté, la mère décharge des caisses et s'occupe de l'épicerie, ne souciant que peu de la poussière envahissant les meubles. Mais vient l'adolescence, la rencontre d'Annie avec une certaine Brigitte qui lui fait savoir qu'il n'est pas normal pour un « vrai homme » de faire la cuisine et qu'
une femme doit tenir impeccable sa maison : « Un homme popote ça alors ». de plus, la narratrice, habituée aux manières bourrues des femmes de sa famille, apprend qu'elle doit s'efforcer de paraître mignonne, gentille et compréhensive s'il elle veut plaire aux garçons : «Jamais de jeu calmes, posés. En compagnie, j'ai la parole haute et déchaînée pour me rattraper de mon murmure solitaire d'enfant unique. La réserve naturelle des petites filles, leur maintien modeste et leurs effarouchement supposés, je n'en vois pas trace en moi ni en mes copines de jeux […] Je ne savais pas que dans un autre langage, cette joie de vivre se nomme brutalité, éducation vulgaire».
Ensuite, se trame l'histoire difficile entre le coeur, le corps et l'esprit qui oscillent en permanence pour répondre aux rêves romanesques et la poursuite d'études sérieuses. Quand vient son mariage, trop tôt pour les parents qui souhaitent que leur fille termine ses études, la narratrice qui pensait qu'à l'image de ses parents le mariage serait une aventure commune, découvre brutalement l'inégalité des rôles que la société et l'éducation traditionnelle attribuent à l'homme et à la femme. Tous deux exercent un métier après des études d'un même niveau mais c'est à la femme de s'occuper des enfants, de faire courses et cuisine et de faire le ménage. Ainsi, après avoir reproché à son mari de lui laisser tout le travail, celui-ci lui rétorquera : « Tu me fais chier, tu n'es pas un homme, non ! Il y a une petite différence, quand tu pisseras debout dans le lavabo, on verra ! ».
Pour beaucoup, hommes et femmes, une « vraie » femme, c'est celle qui est mariée et qui a des enfants. Sans mariage, elle reste fille et une fille seule n'existe pas, n'intéresse pas : « « Tu ne veux tout de même pas rester vieille fille ! ». La poussée insidieuse. Je ne suis pas une fille seule, je suis une fille pas encore mariée, existence encore indéterminée ». La maternité est aussi évoquée et les souffrances liées à l'accouchement.
Annie Ernaux n'est pas de ces femmes qui pensent que la maternité pour être complète doit passer par la douleur. Et là aussi, quand son vagin se déchire à l'arrivée de l'enfant, la sage-femme la rend responsable, comme si elle n'avait pas bien « travaillé ». Quoi qu'elles fassent, les femmes sont souvent infantilisées et/ou reléguées au rôle de femme mariée, mère, bonne à tout faire. Et bien sûr, il n'est pas question de se plaindre. Faire des études ? « Ma chérie, j'ai peur que les études te fatiguent ».
Si ce récit évoque la fin des années cinquante, début soixante, nous voyons que la société a encore bien du chemin à parcourir pour que les femmes aient le droit de vivre librement, sans contraintes physiques ou dogmatiques. Mais c'est sans doute à elles de se prendre en main fermement, sans céder à la culpabilité, sans se sentir obligé de jouer un rôle quelconque, de devoir faire plaisir à tout prix à ces messieurs, comme leurs mères ou leurs grand-mères y ont été obligées depuis la nuit des temps. Faire plaisir, oui. Mais en vivant pleinement, dans un respect mutuel afin de ne pas devenir une "Femme gelée", figée, triste et pleine de ressentiments.
Lien :
http://yzabel-resumes-et-poi..