Est-ce l'inéluctable progression du temps qui donne à
Annie Ernaux un sentiment d'urgence tel qu'elle éprouve le besoin de relater en quelques dizaines de pages, l'aventure devenue une histoire, partagée à l'aube du 3ème millénaire avec un étudiant d'une vingtaine d'années alors qu'elle en avait 54 ? Quelles que soient ses raisons intimes,
le jeune homme est un texte fondateur de son oeuvre littéraire, qui fournit des clés essentielles sur le lien entretenu par la romancière entre ses mots publiés et sa vie.
Durant deux ans, A. - porteur de la mémoire de son premier monde - l'a ramène au temps de son enfance pauvre et de sa vie estudiantine, en transformant dans une complexe alchimie temporelle le présent en passé. Annie n'a plus d'âge et dérive d'un temps à un autre. Des souvenirs de sa jeunesse remontent, comme lorsque sa mère est outrée par une robe collante portée par sa fille. A 30 ans de distance, Annie ne craint plus le scandale et revendique la différence d'âge avec son amant qui l'arrache à sa génération sans qu'elle appartienne pourtant à la sienne. L'amour n'a pas d'âge, et peu importe que la société au regard moralisateur chiffre en ricanant l'écart honteux.
En Annie mûrit le récit autobiographique de son avortement, et plus elle avance dans l'écriture, plus elle est irrésistiblement poussée à quitter A., comme pour le décrocher et l'expulser de sa vie tel un embryon indésirable. La rupture coïncide avec la fin du livre.
Le jeune homme est un texte bref dont la beauté magnétique dévoile la quintessence du travail de l'auteure, et dont la lecture est indispensable à tout lecteur s'intéressant à son oeuvre. le style pur d'
Annie Ernaux est à son apogée.