En 1997, j'avais lu l'Étreinte de
Philippe Vilain : c'était son tout premier texte, l'auteur n'avait pas trente ans.
Paru dans la collection L'infini chez Gallimard, il racontait avec une grande économie de moyens et une maîtrise remarquable la relation que l'auteur avait entretenue avec
A.E., oui
A.E., une écrivaine connue âgée de trente ans de plus que lui, issue d'un milieu aussi humble que le sien et auteure, entre autres livres, de
Passion simple, qui l'avait marqué.
Écrivant à chaud ("nous nous sommes quittés hier"), hanté par la
jalousie (Vilain ne plaçait-il pas le
Proust de la Prisonnière en épigraphe ?), l'auteur confessait d'emblée : "il faut sans doute que j'écrive notre histoire pour croire à la réalité de notre séparation, même si l'entreprise est risquée : saisir des moments sans l'objectivité et la distance nécessaires pour les expliquer, les fixer définitivement comme l'action du formol sur la chair."
L'action du formol sur la chair : A.(nnie) E.(rnaux) s'est accordée le temps d'en valider l'opération puisque son propre récit, écrit en 1998-2000-2022, ne paraît qu'aujourd'hui.
Philippe Vilain n'a pas droit à P. ou Ph. voire P.V. mais à A. Et en matière de formol, on aurait plutôt affaire à un liquide réducteur, puisque le récit d'
A.E. ne compte qu'une trentaine de pages. Elles sont bien dans le style d'Ernaux, à plat, froides, justes, belles - courageuses, et parfois téméraires.
On peut ne pas aimer
Annie Ernaux sur les barricades ou sous les banderoles, (auto-)réquisitionnée comme l'avait été
Louis Aragon avant elle. Mais on n'a pas le droit de ne pas lire (et de ne pas aimer)
Annie Ernaux écrivaine, reine du less is more, qui a écrit une oeuvre sans concession, intense, qui déborde des champs où on voudrait l'assigner : la seule (et déprimante) auto-fiction, le seul (et accablant) témoignage d'une transfuge de classe.
"Nous n'avons que notre histoire et elle n'est pas à nous" :
A.E. cite Ortega y Gasset en préambule des Années (son plus beau texte, peut-être). Tout est là :
le Jeune homme et l'Étreinte, en miroir, le rappellent.