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4,09

sur 2198 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
"Avec le temps, on oublie le visage et l'on oublie la voix" chantait Léo Ferré.
Et le temps, il en est question dans cet ouvrage, où Annie Ernaux décrit une douzaine de photos où elle apparaît à différentes époques de sa vie, dressant peu à peu le portrait d'une femme et d'un écrivain, mais établissant aussi une radioscopie de la France contemporaine. Et c'est fascinant.

Lire Annie Ernaux place toujours le lecteur dans une position de voyeur, même si la vie qu'elle raconte -la sienne- a une résonance universelle. En parlant d'elle, elle parle de toutes les femmes, de leurs élans et de leurs contraintes. Mais bien que narré d'un point de vue féminin, son récit ne s'adresse pas qu'aux femmes, et sans sombrer dans un féminisme virulent, il souligne juste la complication d'être une femme (lecteurs masculins, soyez donc les bienvenus !).
Toutefois, il ne s'agit pas non plus d'une véritable autobiographie -d'ailleurs, Annie Ernaux n'utilise jamais le "je", préférant le "elle" ou le "nous". C'est plutôt une étude sociologique de la France de 1941 à 2006, dans laquelle elle s'inscrit en personnage principal. Au fil des années, et notamment autour des repas de fête en famille, on perçoit l'évolution de la société française. J'ai beaucoup aimé cette façon de chroniquer 65 ans de notre Histoire, de l'après-guerre à l'élection de Sarkozy, avec une multitude de repères politiques, culturels, technologiques et publicitaires. J'ai beaucoup apprécié son analyse de notre rapport au progrès et à la consommation.
Mais ce livre est aussi, et surtout, une réflexion sur le temps qui passe et qui emporte tout, jusqu'au souvenir des souvenirs, qui pose la question de ce qui restera de nous après notre passage sur cette planète, et qui interroge sur la façon d'appréhender le temps qui nous reste. Ce n'est pas la partie la plus gaie de cet ouvrage.
Enfin, l'écriture est toujours "plate" et "froide", mais elle se prête parfaitement bien à la distanciation qu'Annie Ernaux souhaite instaurer avec ce qu'elle relate. Chaque mot est réfléchi et pesé avec précision, mais ça ne m'a pas empêchée d'être émue lorsque l'auteur évoque son chat.

J'ai donc beaucoup aimé cet ouvrage inclassable, court mais dense, qui ne peut laisser indifférent. J'ai aimé cette mise à nu, cet autoportrait en femme seule et forte, avec en toile de fond un monde qui tourne de plus en plus vite.
Alors, "avec le temps, on n'aime plus" ? Pas toujours, et surtout pas lorsque l'on écrit un témoignage aussi intelligent sur une tranche d'Histoire de France ; et je me sens prête à admirer et aimer Annie Ernaux pendant des années encore.
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Les années est un recueil de phrases ciselées décortiquant la mémoire, essayant de comprendre les liens entre souvenirs et identité, d'encapsuler la société française d'hier, bien loin de l'écriture "plate" d'Annie Ernaux – ainsi qu'elle-même caractérise son style. Sorte de biographie discrète, ce livre parvient à fondre l'existence individuelle au sein de l'existence collective, cette sorte de vague qui emporta chacune (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2022/11/08/les-annees-annie-ernaux/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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C'est une forme originale et étonnante d'autobiographie que nous propose Annie Ernaux.
Sur la forme d'abord :
- Une autobiographie où "elle", "on" et un "nous" impersonnel remplacent le "je". L'auteur se raconte comme elle conterait la vie d'une copine, ou d'un groupe de copains. On ne peut douter de la véracité du contenu, mais elle y met beaucoup de distance et de recul, qui cachent sans doute une grande pudeur.
- Une autobiographie rythmée par des photos ou des extraits de film, prétextes à analyser l'évolution physique de l'auteurs et l'impact personnel et sociétal du vieillissement.
- Une autobiographie continue, sans découpage en chapitres ou parties thématiques ou temporelles, qui se déroule inexorablement, comme le temps qui s'écoule.

Sur le fond ensuite : l'auteure nous propose tout autant une réflexion sur le temps qui passe et l'évolution de la société des années 1940 au début du 21ème siècle qu'une véritable biographie. Quand on tourne la dernière page, on a le sentiment d'en savoir plus sur l'environnement familial, social et sociétal dans lequel elle a vécu que sur Annie Ernaux elle-même, un peu comme si elle se caractérisait plus au travers de ses interactions avec les autres que par elle-même...

Le résultat est étonnant et intéressant, tant sur la forme que sur le regard porté sur la seconde moitié du 20ème siècle et le début de 21ème, même si on en apprend finalement assez peu sur ce qu'a fait l'auteure au cours de ces années.
Lien : http://michelgiraud.fr/2020/..
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« Toutes les images disparaîtront », avertit Annie Ernaux en incipit. Vrai ! Sans compter, au fur et à mesure que j'avance en âge, celles dont je suis la seule à me souvenir, parce que des personnes sont mortes et d'autres ont été perdues de vue.
L'autrice construit son livre à partir de photos. La première, sans doute de 1941, montre un bébé coiffé avec un rouleau sur la tête, il est à moitié nu sur un coussin ; avez-vous eu sous les yeux ce genre de photos, de vous-même ou de vos parents ou grands-parents ? Elles correspondent à une époque, tout comme les photos suivantes. L'une d'elles montre une petite fille aux cheveux courts et au ventre proéminent. En cette année 1944, était-elle atteinte de rachitisme ? Des temps oubliés de la narratrice, mais pas de sa famille.
Pas étonnant, donc, que le livre embraye sur les repas de famille et le grand sujet évoqué, cette guerre encore si proche.

Des images fortes, pleines d'émotion pour ceux qui l'ont vécu, ce qui est mon cas pour certains souvenirs, mais pour ceux qui ne l'ont pas vécu ? C'était il y a 80 ans. Viennent d'autres repas de famille, il y a soixante ans, quarante ans, puis vingt.

Lien : https://dequoilire.com/les-a..
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60 ans de vie quotidienne des français moyens déroulés en 250 pages !

Quel tour de force accompli ici par Annie Ernaux. On s'y croirait ; tous ces petits riens contés avec une science accomplie du détail le plus insignifiant et qui immédiatement parlent à la mémoire du lecteur !
Qu'il s'agisse de films, chansons, faits divers plus ou moins crapuleux, politique française, élections ou événements ayant bouleversé le monde, tout passe à la moulinette de sa mémoire et elle déroule un inventaire le plus exhaustif possible, sans jamais se faire analyste ou juge, ni se mettre, ou si peu, directement en scène ;
sauf par le biais de quelques photographies, puis films super 8 et enfin cassettes vidéo, évolution technique oblige, dont le but est visiblement l'activation de souvenirs, sur des faits ou une période précise, par l'évocation de son "temps personnel" conduisant à des considérations beaucoup plus générales.

Tout cela est mené tambour battant et ponctué par le rite des repas de fête, repas de famille, repas entre amis, marqués par l'évolution des discussions de table : souvenirs de guerre et d'occupation peu à peu remplacés par des préoccupations terre à terre, sur l'apparition des centres commerciaux avec l'invraisemblable entassement d'objets destinés à susciter la convoitise et déclenchant une véritable fièvre acheteuse chez le consommateur, l'achat d'une maison ou d'un logement, en ville ou à la campagne, l'acquisition d'une nouvelle voiture, pour finir par l'utilisation des ordinateurs et de toutes les nouvelles technologies mises à la disposition de l'homme connecté du 21è siècle !...

Mais surtout, ce qu'elle nous fait sentir en un survol étourdissant, c'est ce tourbillon de changement qui a amené en soixante ans, c'est à dire presque rien au regard des siècles précédents, la société française du patriarcat à la libéralisation des moeurs,
du plein emploi à la précarité,
de la vie chiche d'après guerre à la société de consommation effrénée,
de la boutique de quartier au centre commercial tentaculaire
de l'espoir en un monde meilleur à la terreur induite par le terrorisme
et de la foi en l'avenir à la mort des idéaux !

Voilà le triste constat auquel le lecteur est amèrement conduit à la fin de cet ouvrage et Annie Ernaux de nous enjoindre à "Sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais".
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Les années qu'Annie Ernaux raconte dans ce livre, sont aussi les miennes, ou plutôt celles de mon adolescence.
La lecture de ce livre m'a replongé dans mes souvenirs.
Je pense, encore aujourd'hui, que les meilleurs années d'une vie sont celles de l'adolescence.
C'est surement pour tout cela que j'ai apprécié cette lecture.
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« Ce que ce monde a imprimé en elle et ses contemporains, elle s’en servira pour reconstituer un temps commun, celui qui a glissé d’il y a si longtemps à aujourd’hui – pour, en retrouvant la mémoire de la mémoire collective dans une mémoire individuelle, rendre la dimension vécue de l’Histoire »

Par son ouvrage Les années, paru en 2008 et, trois fois primé par les(prix Marguerite Duras, François Mauriac, et le prix de la langue française), Annie Ernaux se fait mémoire, mémoire du temps, mémoire des gens, mémoire d'un monde, d'une vie, oui ce livre aurait pu s'intituler une vie s'il n'avait pas en lui porté tant d'universalité. Les années décrivent une trajectoire que l’art littéraire parvient à rendre omniscient, elles font figure de mémoire collective des Français de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au XXIe siècle.

Annie Ernaux est née pendant l'occupation en 1940, ses parents ouvriers s’établissent en 1945 à Yvetot en Normandie, où ils achètent un café alimentation. C’est là que l’auteur passe son enfance. Une enfance marquée par la mort de sa sœur cadette juste avant sa naissance. Une enfance campagnarde que sa mère voulait plus distinguée, plus cultivée... (cf Une Femme)
Annie Ernaux est une femme déroutante, militante, défenseure de la lutte des classes, fière de ses origines modestes, féministe... Elle est successivement devenue institutrice, professeure certifiée puis agrégée de lettres modernes. Elle abandonne très vite la fiction pour orienter essentiellement ses écrits sur le matériau autobiographique.


Il me semble essentiel d'évoquer la rétrospective de son œuvre afin de comprendre son procédé d'écriture qui, à la croisée de l’expérience historique et de l’expérience individuelle, dissèque tour à tour l’ascension sociale de ses parents, son adolescence, son mariage, son avortement, la maladie d’Alzheimer de sa mère puis sa mort, son cancer du sein... et cetera.

Les Armoires Vides (1974) sa vie étudiante de lettres modernes
Ce qu’ils disent ou rien (1977) l’adolescence
La femme gelée (1981) son mariage
La Place (1984) – ( Prix Renaudot) : figure du père
Une femme (1989) : figure de la mère
Passion simple (1991) ; l'attente d'un être aimé
Journal du dehors (1993) : la Ville Nouvelle de Cergy-Pontoise ,
La honte (1997) : version sociale de la culpabilité
« Je ne suis pas sortie de ma nuit » (1997) maladie d’Alzheimer de sa mère
La vie extérieure (2000) : observation de la vie des autres
L’événement (2000) : son avortement
Se perdre (2001) : états passionnels
L’occupation (2002) : différence d'âge dans le couple
L’usage de la photo (2005) publié avec Marc Marie : son cancer du sein
Les années (2008) : ...
Mémoire de fille (2016) : son adolescence


Quelques mots sur la structure du texte

Vous pouvez lire ci-après les deux citations qui ouvrent le texte, l'épigraphe qui donnent le ton du livre à venir, l'une de José Ortega y Gasset – philosophe espagnol et l’autre de Tchekhov, les deux évoquent le temps, la mémoire et l’oubli.

« - Oui. On nous oubliera. C’est la vie, rien à faire. Ce qui aujourd’hui nous paraît important, grave, lourd de conséquences, eh bien, il viendra un moment où cela sera oublié, où cela n’aura plus d’importance. Et, c’est curieux, nous ne pouvons savoir aujourd’hui ce qui sera un jour considéré comme grand et important, ou médiocre et ridicule. (…) Il se peut aussi que cette vie d’aujourd’hui dont nous prenons notre parti, soit un jour considérée comme étrange, inconfortable, sans intelligence, insuffisamment pure et, qui sait, même, coupable. »
Anton Tchekhov

« Nous n'avons que notre histoire et elle n'est pas à nous. »
José Ortega Y Gasset




thèmes abordés :
- Temps et mémoire
- Histoire collective et histoire intime
- Aspect socioculturel et déchirure sociale de l’auteure
- la photographie comme catalyseur
- Regard sur six décennies
- Un point de vue féministe
- narration et autobiographie impersonnelle

Comme l'a dit Annie Ernaux  : « elle ne juge pas, elle traverse les choses »

Elle transpose les choses vues. Elle fait de la littérature, l’instrument d’un savoir sur la vie qui ne nous inaccessibles autrement.
Son intérêt marqué pour la sociologie et les appartenances de classe, lui font proposer des récits à partir du matériau réel de sa vie qui en généralisent la singularité pour l’ouvrir à sa dimension collective.
C'est le principe de l'auto-fiction qui caractérise l'ensemble de son œuvre.
Les années porte à son paroxysme cet effort de dépersonnalisation, en étant à la fois le récit anonyme d’une vie de femme née en 1940, et celui d’une génération.
Par un clic photographique qui saisi le temps et le fige, Les années s’égrènent, puis l'écrivain analyse le cliché, le place dans un contexte, le raconte...
A chaque décennie, donc, sa photographie, marqueur temporel d'un instant familier qui dit l'ensemble. Ainsi écrit-elle :

« La distance qui sépare le passé du présent se mesure peut-être à la lumière répandue sur le sol entre les ombres, glissant sur les visages, dessinant les plis d'une robe, à la clarté crépusculaire, quelque soit l'heure de la pose, d'une photo en noir et blanc. »


Les années ne sont pas bâties sous la forme romanesque mais sont une sorte d’autobiographie impersonnelle dans le sens où il n’y a pas d’introspection (l’intime est lié au collectif). Les années sont en effet vues dans leur écoulement chronologique, et non pas dans le traditionnel « je me souviens ».
Il n’y a pas de chapitres, le livre est écrit d’une traite, sans réels paragraphes dont la forme et la ponctuation sont libres.
A chaque « chapitre » entre guillemets, donc, une photographie détaillée et une décennie marquée par le repas dominical : là, où s'élabore le récit familial et social, celui qui parle de la guerre et des origines, des bienfaits du progrès et de la consommation dans les 60's et aujourd'hui de sujet autrefois prohibé à table : la société, l'argent, le sexe ou la politique.

Dans Les années, Annie Ernaux transgresse les formes littéraires établies par sa pratique narrative. Elle abandonne le « je » autobiographique afin d'opter pour une voix narrative collective (« nous » « on ») et la troisième personne du singulier (« elle »), passant ainsi de son histoire individuelle à une sorte de portrait global, unanime, si bien qu'on a parlé « d'unanimisme » pour caractériser l'ouvrage. Cette nouvelle voix narrative permet à l'auteure de présenter l'Histoire d'une génération dans le contexte de la société française de l'après-guerre jusqu'à 2007, société qui repose sur les constructions sociales, de sexe et de classe, notamment.
Le caractère polyphonique de cette narration permet à l'auteure de présenter une histoire davantage inclusive, (terme dont vous avez la définition ici) c'est-à-dire qui représente diverses expériences de vie dans une variété de contextes socio-historiques. Outre ce regard sociologique, son point de vue est éminemment féministe, elle analyse les rapports hommes/ femmes en les inscrivant dans une époque mutante.
inclusive :adj. (1688;lat.médiév.inclusivus). Didact. Qui renferme (qqch.) en soi. Qui contient en soi quelque chose d'autre. ANT. Exclusif.

Comme un catalyseur, l'usage de la photographie, scande le discours et donne le rythme au texte, l'image de l’écoulement quant à elle est rendue par le décousu, les énumérations et le rapprochement d’idées sans lien apparent comme un véritable inventaire où tout se retrouve : en somme un bric-à-brac d’objets, d’idées, jeté pêle-mêle. Son écriture est sobre, dépouillée de fioriture stylistique, On peut par exemple lire :

« habiter une maison en terre battue
porter des galoches,
jouer avec une poupée de chiffon
laver le linge à la cendre de bois
accrocher à la chemise des enfants près du nombril un petit sac de tissu avec des gousses d’ail pour chasser les vers
obéir aux parents et recevoir des calottes, il aurait fait beau répondre »

Au sujet de son procédé d'écriture, elle évoque un style « objectif, qui ne valorise ni ne dévalorise les faits racontés », cherchant ainsi à « rester dans la ligne des faits historiques, du document ». Elle emploie de nombreuses épithètes, de verbes à l’infinitif, une succession voulue d’objets, d’activités, qui coulent à l’instar des années.

Elle caractérise notre époque actuelle par un jeu d'accélération du temps et de précipitation. Le temps de la narration est essentiellement l'imparfait puis le présent de l’indicatif jusqu'au futur qui ouvre le récit. Lire les années, c'est lire 60 années d'impressions et de faits où l'auteure se saisi du temps qui n'est plus et ou elle déplore que l'individu devienne peu à peu si matérialiste, superficiel, avide des choses, une victime du pouvoir d'achat, un être artificiel et ridiculement grégaire. Elle écrit à ce propos :


« L'arrivée de plus en plus rapide des choses faisaient reculer le passé. Les gens ne s'intéressaient pas sur leur utilité, ils avaient simplement envie de les avoir et souffraient de ne pas gagner assez d'argent pour se les payer immédiatement.......
La profusion des choses cachait la rareté des idées et l'usure des croyances. »


Conclusion

Les années sont une sorte de « recherche du temps perdu » dans laquelle l'auteure enquête sur la réalité grâce à des dates, des réminiscences, des événements, des phénomènes de société, des chansons, des notes de son journal, des photos... Le récit débute vers la fin des années 40 et se poursuit par la réclame à la télé, le confort moderne et les matelas dunlopillo, la guerre d'Algérie ou le Chili d'Allende, Hara-Kiri et Mai 68, Sartre et De Beauvoir, enfin tous ce qui constitue une vie, un temps.

Elle se fait le porte parole de l'esprit d'une époque.

Anecdote :
Pour finir, je trouve amusant, au lieu de simplement vous donner mon opinion sur ce livre, qui vous l'aurai compris m'a beaucoup plu, de vous donner une anecdote sur la façon dont ce livre est arrivé à moi, moi fille de paysan normand, pour qui bien-sûr les mots d'Annie Ernaux résonnent comme un reflet sonore.
La lecture de La Place m'a tant chamboulée que j'en parlais à une amie venue me rendre visite, en utilisant les mots: claque littéraire, connivence totale et cetera

Mon amie me rend un livre que je lui ai prêté, un Paasilina (rien à voir) et m'offre un livre pour me remercier d'être sa bibliothécaire particulière, et voici qu'elle m'offre Les années ! Les années, un livre d'Annie Ernaux, auteur encore inconnue de moi la veille, jamais évoqué jusqu'alors et que je découvrais avec tant d'engouement...

Il y a des instants tels que ceux-ci touchés par la grâce et la perfection.

Et je terminerai par un clin d’œil à notre Proustienne Estelle, qui était la semaine dernière à ma place, par ces mots de Proust qui résume parfaitement la démarche de l'auteure et qui concluent l'ouvrage :

« Sauver quelque chose du temps ou l’on ne sera plus jamais » (p. 242) / cf. Proust.
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Elle sur la photo…*

Si Annie Ernaux a souvent fait dans ses livres le récit détaillé de son parcours de vie pour confronter ses aspirations avec les réalités sociétales du moment, elle se contente dans Les Années de quelques photos pour convoquer l'époque et dérouler librement le fil de ses souvenirs.

De la petite fille surprise à Sotteville-sur-Mer à la grand-mère de Cergy, elle se raconte à la 3e personne d'elle-même, faisant défiler son passé en un seul livre, comme une révision de la douzaine d'autres, plus détaillés, parus avant celui-ci.

Autant de photos qui ne sont que points de départs aux souvenirs, flash, fulgurances, instantanés d'histoire de France, ou plutôt d'une France, de l'après-guerre au XXIe siècle émergent.

OK boomer, penseront certains, imperméables à une époque non vécue. Best-of de De Gaulle à Chirac, résumeront d'autres face à ce zapping écrit d'une actualité livrée en vrac et « sans transition », comme on dit dans le poste.

Mais passé cette impression et avec un temps de décantation, Les Années s'impose comme le récit d'une vie de femme puisant dans son époque l'essence même de ses espoirs, de ses amours, de ses désillusions, de ses combats et de ses engagements, de ses regrets et de ses peines.

Un livre clé dans la compréhension d'une vie et d'une oeuvre non dissociables, qui trouve tout son sens dans sa mise en perspective avec les précédents, comme avec la délicieuse communion qui s'installe lorsque à partir d'un moment, ce sont nos propres souvenirs qui remontent avec ceux d'Annie.

*Titre clin d'oeil bien évidemment au très joli livre d'Hélène Gestern.
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Lecture vertigineuse qu'on ne peut surseoir tant on découvre, tant aussi on re/connaît, soit par ce qu'on a soi-même vécu, soit par les histoires entendues et que notre oreille d'enfant puis d'adolescente a mémorisées. Annie Ernaux les ramène à notre conscience. Aucune nostalgie (tant mieux!), aucun attendrissement : les "années" coulent, charriant petite histoire, Histoire dans toutes ses acceptions, évolution de la société et aventure féminine à travers les décennies commençant juste après la seconde guerre mondiale jusqu'à nos jours. Ecriture, style, pensée, réflexions sont sans conteste ceux d'une femme. Les noms oubliés, les habitudes langagières, les gestes d'une époque, les rêves et idéaux disparus parsèment ce ruban qui se déploie, tour à tour émouvant, interpellant, remuant, sous nos yeux de lecteurs et lectrices. Ce livre est à mettre entre les mains de celles et ceux qui ne savent où se situer dans cette décennie individualiste, moins passionnée peut-être, souvent en attente de promesses où le miroir aux alouettes se dissimule derrière ces pépites vite consommées qui ne font pas le bonheur (mot suspect), ni la vie... Tout s'enchaîne et s'explique : chaque période renferme les germes de la suivante dont les générations successives tirent les enseignements et conséquences. On ne peut éviter de se poser beaucoup de questions sur les années actuelles. A quoi aboutiront-elles et qu'offriront-elles? L'autobiographie n'empêche nullement que chacun y trouve et y retrouve quelque chose qui l'apparente à la grande famille humaine, quels que soient les goûts, les choix, les désirs, les réalisations, les chemins qu'il ait pris. "Toutes les images disparaîtront", pas toutes, puisque cette oeuvre dense existe ("Le Temps retrouvé").
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Je découvre avec beaucoup de plaisir la plume d'Annie Ernaux grâce à ce livre qui m'a plu.

J'ai aimé me plonger dans cette époque que je connais mal, découvrir l'évolution de la société dans la France d'après guerre, les petites victoires (le droit à l'avortement, les 39 heures etc), mais aussi led craintes (les attentats, puis la guerre d'Algérie, celle du Vietnam entre autres).

Annie Ernaux a réussi avec beaucoup de brio à nous narrer les faits marquants qui ont bâti la France d'aujourd'hui. La narration était particulièrement intéressante, l'auteure ayant choisi d'utiliser la troisième personne du singulier, ce qui nous permet d'imaginer que cela a pu être le destin du plus grand nombre tout en nous offrant un texte personnel. Elle nous livre un récit tout en pudeur sur sa vie privée, certains évènements sont seulement esquissés ou dits à mots couverts, nous les devinons plus qu'autre chose.

J'ai découvert les aspirations d'une jeune fille née en 40, grandissant avec son temps, rêvant à davantage de liberté (notamment sexuelle), ses références et ses loisirs qui se développent avec l'apparition de la société de consommation.

Excellent récit qui se veut le témoin d'une époque, d'un temps passé où les moeurs étaient autres et que les nouvelles générations ne connaitront plus. "Les années" est en quelque sorte le gardien des souvenirs communs du peuple français, une trace de l'évolution tant sociétale que politique.
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