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Je vous invite à venir au bord d'un trottoir qui est un domicile aussi, celui d'Ervé. Il est là depuis longtemps peut-être, mais comme vous ne l'avez jamais encore remarqué, - car Ervé a un pouvoir magique celui d'être invisible, alors vous pensez qu'il n'est là que depuis aujourd'hui, depuis l'instant où vous le voyez par hasard pour la première fois...
Ervé est désormais et depuis des années sans toit, sans elle, sans elles, sans eux... Sans les êtres chers qu'il aime et qui l'aiment. Aimer lui est impossible dans cette immobilité assumée mais qui bouge parfois, qui bouge tout le temps, par envie ou par nécessité...
Aimer lui est impossible au sens où nous l'entendons souvent. Pourtant, Ervé aime à sa façon...
Ervé est un clochard, un clodo, un SDF, un sans-abri, un vagabond. Qu'importe les mots ! Pour dire qui il est, il vaut mieux convoquer le bitume, la pluie, les trains, les rails, les parcs, le ciel et ses constellations. Ervé aime bien le terme de clochard, moi celui que je préfère pour lui est celui de vagabond, car Ervé bouge, géographiquement mais aussi dans sa tête, il prend des trains parfois, bouge les lignes, les siennes, les nôtres. Mais surtout il écrit.
Ce récit nous parle des sans-grades, des laissés-pour-compte, des sans-dents...
Tiens, les sans-dents, ça vous dit quelque chose ?
Écritures carnassières est un récit féroce, un récit vorace, qui nous dévore, dévore le coeur et que l'on dévore à bras le corps, c'est un récit qui nous avale.
C'est un témoignage magnifique et douloureux écrit à la hauteur de la rue, sous forme de chapitres courts, violents, fulgurants. Par moments, entrent par effraction des poèmes qu'on sent écrits à la fois dans l'urgence de la vie, mais dans cette respiration indispensable pour tenir debout coûte que coûte.
C'est un livre épris de rage et de tendresse.
« Depuis longtemps je taquine la rue ». Ce sont ces phrases comme cela qui ont fini par taquiner mon coeur. Ervé taquine la bouteille aussi, comme ses autres compagnons de la rue. C'est un être rempli de sourires et de larmes...
L'auteur a parfois cette pudeur d'attendre que la pluie vienne pour pleurer et se perdre, noyer ce visage et ce chagrin dans cette pluie qui vient.
Ervé montre comment la route d'une vie peut être tout simplement et rapidement une sortie de route. Pas facile après de se remettre dans la trajectoire initiale, si jamais il y en a une... Souvent c'est impossible. Trébucher devient alors la seule manière d'apprendre à marcher...
Ervé raconte son enfance, sa jeunesse dans les foyers de la DDASS. C'est une enfance fracassée qu'il n'en finira pas de payer jusqu'à ce jour.
C'est une enfance terrible, qui l'a coupé du bonheur d'une vie mais pas des joies immédiates.
Alors il nous parle de ses deux petites filles, Élise et Lou, qu'il appelle ses « poumons », parce que, même s'il les voit trop peu, elles permettent à ce « père sans repères » de respirer.
Et aussi pour Claire leur mère, qu'il aurait tant voulu rendre heureuse, rencontrée à la faveur d'une maraude.
Deux poumons, deux respirations.
C'est une écriture saccadée, avec des fulgurances.
Il y a une beauté de l'écriture, qui dessine en creux toutes les nuances qu'ont laissées en lui les blessures de l'existence.
Il y a ici du chagrin et toutes ses subtilités.
Ervé se dit privé de bonheur, le bonheur impossible d'un amour, l'impossibilité d'y accéder.
Cabossé, il reconnait que le bonheur n'est plus fait pour lui et c'est terrible d'entendre quelqu'un dire ces mots. Je ne sais pas les entendre. Insupportable.
Cependant la joie existe dans son existence et ce récit en témoigne merveilleusement.
Ervé parle de la joie, n'y renonce jamais, celle de se poser près d'une cascade pour écouter l'eau, celle d'entendre le rire de ses filles au parc où il les retrouve de temps en temps, la joie de partir aussi, prendre le train, la joie de revenir aussi... Les retrouvailles avec les copains au bord du canal Saint-Martin. La joie d'écrire, de poser les mots de ses émotions, d'aborder des rivages sensuels et incandescents, qu'il réinvente sur le macadam de Paname.
Vous l'aurez compris, malgré la difficulté d'être un clochard ou un vagabond, des perles de plaisir et de jouissance composent et tissent ce texte d'une écriture très belle, fragile et douloureuse à la fois...
Bien sûr, des questions traversent ce texte, des questions qui appellent notre étonnement.
Comment avoir le coeur rempli d'amour et en même temps ne pas pouvoir ou ne pas savoir aimer ?
Ne pas savoir construire à partir de l'amour, est-ce parce qu'on ne vous a jamais appris à le faire ?
Ce sont les nuances d'un coeur tabassé couvert de pansements.
Et cependant, il éprouve une affection forte et sincère pour ses enfants.
Ervé, RV, Rêver, vagabonder...
Quelle victoire, ce livre, sur son enfance massacrée !
« Quand on aime, il faut partir », disait Blaise Cendrars.
Il bouge, adore les trains, vagabondent dedans entre deux gares ; ces vagabonds admirés par Jack Kerouac, Jack London, Blaise Cendrars...
Ne jamais rester immobile.
Se tourner vers le mouvement c'est adorer la vie, c'est tenir debout, c'est vivre.
Je referme la dernière page de ce livre, dans ces pages j'ai aimé Ervé, funambule sur le fil si fragile de la rue.
J'ai été agrippé à cette réalité sale et violente, l'odeur fétide du petit matin, la première bière qu'on dégoupille comme une ouverture au monde, cette première bière qui vous agrippe déjà comme un geste si bien appris, auquel on n'échappe pas.
J'ai été happé par ces fragments de rues.
Écrire pour survivre, dire l'amour, tenir debout dans un monde devenu idiot et lire ces choses-là peut-être pour les mêmes raisons.
Ici, il en ressort un récit puissant.
J'ai été épris par le récit d'Ervé pour cela. Aussi ces mots m'ont dévoré.
Un grand merci à toi Doriane qui m'a fait découvrir ce livre magnifique.
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Ô, comme il est difficile d'écrire un billet après avoir lu un ouvrage aussi fort que celui-ci. Mes mots paraissent soudainement bien faibles en comparaison à la grandeur de ce récit.

Dans cet ouvrage, Ervé, un homme sans toit, couche sur papier ce qui l'habite. Un homme blessé, la tête dans les nuages en gardant les pieds sur Terre. Ses mots sont vrais, forts. Ils viennent du ventre, des tripes. 
Des cris éraillés, silencieux, qui font mal à lire. 

Ses mots sont aujourd'hui lus grâce à cet auteur et ancien éditeur ayant croisé le chemin d'Ervé.
Des mots merveilleux qu'il arrive à manier avec justesse. Des mots qui résonnent ou il ne manque plus que l'instrument pour en entendre la mélodie.
Des mots posés avec douleur et douceur malgré leurs noirceurs.
Des mots qu'on a qu'une seule envie, qu'ils soient lue par tous.
"Écrire, mais ne pas se relire trop. Quitte à y laisser des bleus"

Lors de ma lecture, j'avais tendance à vouloir partager beaucoup de citations, difficile de faire des choix, car cet ouvrage, dans son entièreté, est une citation à lui tout seul. 

Son texte est poétique, rythmé par ses paroles d'homme d'aujourd'hui citant l'enfant/ado qu'il était. Un homme devenu adulte avant d'en avoir l'âge. 

Ervé, cet homme dont on a envie de partager sa vie, d'être son ami(e).

Pour un sans domicile fixe, le pire est l'ignorance. Passer devant sans le regarder, sans sourire.

Prendre son temps pour discuter peut illuminer une journée à travers un café partagé. Ou bien une bonne bière accompagnée d'une clope. Ou tout simplement le considérer autrement qu'un clochard.

Ervé... Qui à travers sa plume cites des paroles incroyablement fortes, sans misérabilisme ni apitoiement.

Comme cité en 4ème de couverture, l'écriture d'Ervé est tout à la fois : vibrante, poétique et carnassière. Il écrivait dans la rue sans prétention, et sans se douter qu'un jour ses écrits finiraient par sortir en livre. 

Parce que dehors, l'ennui se fait ressentir. Alors il tue le temps en écrivant, en lisant et en clopant.

Des mots de colère, de tristesse et de joie aussi. Les pages sont parsemées de perles de bonheurs pour s'asseoir sur le malheur.

Ervé a réussi à nous montrer que le bonheur, on le trouve à l'intérieur de soi-même. L'extérieur y contribue seulement. 

J'ouvre grand mes bras à cet Homme, qui a appris à aimer la vie comme un chien. En y allant au flair sans chercher à comprendre. (Dixit Ervé)

Comme d'habitude, je vais profiter de l'opportunité du billet pour parler des faits. 

En 2020, on estime à 300 000 sans domicile fixe en France. Soit deux fois plus qu'en 2012 et trois fois plus qu'en 2001...

Les SDF, on ne parle d'eux qu'en hiver... Des personnes qui regardent le monde tourner de loin, sans eux, parce qu'effacé aux yeux de tous.
"Le peu de fois où je m'impliquais dans l'existence, c'était toujours de loin."

Cet ouvrage mérite tellement d'être lu en Masse. Procurez-vous ce livre, à l'état neuf de préférence parce que les bénéfices vont dans les poches d'Ervé.

Lisez-le ! Partagez-le ! Parlez-en ! 
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Assis en tailleur à même le sol pour faire la manche, installés à l'écart cannette à la main et clope au bec, en marche arpentant les rues, couché sur un banc en quête d'un peu de sommeil et de quiétude. Nous les croisons tous les jours ils viennent d'ici ou d'ailleurs et semblent n'aller nulle part. Âmes errantes, fantômes de nos cités nous les voyons sans les regarder. On les appelle SDF, clodos, sans abris, clochards, jusqu'à oublier leur nature d'êtres humains. Des hommes des femmes, nos semblables qui ont un passé, une enfance, un présent difficile et un avenir qui se dérobe sous leurs pieds.

Ervé est dans la rue depuis toujours, malgré la mauvaise opinion qu'il a de lui c'est un gars courageux qui se bat contre ses démons tel « un chat sauvage sans griffes ». Il faut une sacrée dose de courage pour se regarder en face sans se mentir, mais encore plus pour s'écrire quand on sait qu'on va être lu. Surtout pour se raconter comme ça, en se mettant à nu et en posant ses tripes sur la table. Respect. Sans détour il raconte sa non-enfance, le gosse fracassé qu'il était, comment il s'est construit sur des fondations branlantes, l'âme déchirée, le coeur balafré avec l'absence et la tristesse comme compagnes de route. Il raconte le manque d'amour, le manque de cadre, le manque de famille, le manque de tout. Il raconte la DDASS, l'absurdité de l'institution, sa cruauté ses dérives, l'inhumanité, la honte, l'injustice et l'innommable.

Il raconte cette envie d'une vie meilleure lovée comme une couleuvre au creux du ventre et qui vous fait plus de mal que de bien. Parce qu'il y a Elle qu'il aime comme il peut, parce qu'il ne sait pas trop comment on fait. Et Elles, ses 2 filles, ses 2 poumons, sa vie, il les aime à en avoir mal.

Pour survivre, ne pas suffoquer, Ervé écrit. de la prose, des poèmes, des chansons. Il écrit la rue, ses potes, ses rencontres, les cafés, ses fugues, les bons moments et les moins bons.

Son écriture est surprenante, franche, sans détour, férocement poétique. Derrière ses mots on sent sa bonté, sa fragilité sauvage, sa solitude et la douleur sourde qui l'accompagne et qui s'apaise si peu, si brièvement.

Une vie torturée, abîmée avant même d'avoir éclos, racontée sans haine, sans misérabilisme ni atermoiement. Une plume ingénieuse qui joue avec les mots et recèle de trésors d'humanité. Un vocabulaire riche, varié et un amour du mot juste qui trahissent l'intelligence et la sensibilité.

Un récit rude, âpre et tellement beau qu'il en est douloureux.
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Enfant de la DDASS, Ervé a été balloté de foyers en familles d'accueil avant de finir dans la rue, confronté aux pires addictions. Mais Ervé possède cette capacité à exprimer ses ressentis, à évoquer sans pathos exagéré ses mille et une galères, à analyser ses regrets (femme et enfants presqu'abandonnés pour retourner encore et encore à la rue).
En de cours chapitres qui font fi de la chronologie et de sa belle écriture chaleureuse et sensible, Ervé raconte ses fêlures et ses failles, ses rencontres et ses petits moments de bonheur intense arrachés à la rudesse d'une existence qu'il aime et rejette tout à la fois.
Ervé fait plus que mettre des mots sur ses maux, il nous entraîne dans son univers !
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Et voila que ça recommence…
Je ne sais pas pour vous mais de mon coté, de temps en temps, je commence un bouquin en ayant la certitude que je vais aimer voir plus car forcément affinités vu le sujet. Il y a des livres qui avant même d'être commencés ne laissent aucun doute quant à la question « billet ou pas billet ?».
Parfois, souvent (toujours?) quand on attend trop d'une lecture la déception n'en est que plus grande et là… je suis le cul entre deux chaises.

Ecritures carnassières de Ervé, un livre sur le monde de la rue par un habitant de la rue. Vu comme ça, j'ai plongé directement car ce monde je le côtoie depuis quelques années de différentes manières pendant un temps que j'ai rendu libre pour ça.
La rue, il y a autant de raisons d'y arriver que de gens qui y sont alors quand on me vend un livre sur la rue, je m'attends à un truc d'atmosphère, un truc qui va mettre mal à l'aise le quidam qui a l'habitude de regarder ailleurs, je m'attends à ressentir la violence de chaque situation la plus banale (très bien décrite dans « Un homme » de Christina Mirjol), je m'attends à partager cette insécurité permanente qui accompagne les journées des laissés pour compte, enfin je m'attends à une multitude d'émotions différentes.
Dans « Ecritures carnassières » je n'ai pas trouvé tout ça ou si peu.
J'ai trouvé des tranches de vie compliquées, très compliquées même, d'un parcours qui a mené l'auteur là où personne ne devrait tolérer qu'un être humain puisse dormir, la rue.
J'ai lu des souvenirs de jeunesse, des traces d'un passé avec ses joies ses peines et ses conséquences et ça m'a perturbé.
Trajectoire chaotique oui bien sur, rien à dire contre ça mais j'avais pas forcément envie de lire ça alors qu'on me promettait autre chose.
Je ne me serais pas senti trompé, j'aurais certainement été dithyrambique et fait un billet disant à quel point j'ai été touché comme l'ont fait certains ici.
Là je n'y arrive pas même si le ton du livre me plaît, même si ces pages peuvent émouvoir l ‘espace d'une lecture avant de passer à une autre…
Je suis vraiment embêté car c'est un bouquin qui doit pouvoir être diffusé et lu par le plus grand nombre histoire de servir de piqûre de rappel ou d'éveiller certains à d'autres réalités que celles de vies biens rangées d'où rien ne dépasse mais je ne peux que vous encourager à aller lire les autres billets qui vous convaincront de la nécessité de ce livre, ce que je suis incapable de faire.
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C'est à la Radio que j'ai entendu pour la première fois la voix d'Ervé. Dans je ne sais plus quelle émission du soir... mais d'emblée, le sentiment de le connaître, cette impression qu'on éprouve parfois au début d'une rencontre qui peut aussi être une lecture.
Et c'est une belle rencontre !
Dans la rue, sans doute, aussi timide que lui ; sans l'ignorer (comme on feint d'ignorer les SDF), je n'aurais pas osé le regarder.

Tout ou presque est matière à citation dans ce livre ; en long, en large et en travers. Il ne devrait pas être classé parmi les "témoignages" dans les rayonnages de la bibliothèque où je l'ai trouvé.
Ervé est "à la rue" mais c'est un auteur, ça m'ennuie de le voir côtoyer sous sa forme papier tant de gens qui ne savent pas écrire...
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Un livre fort!
Un SDF que l'on peut rencontrer à Paris, non loin du canal St Martin; il écrivait pour lui, par bribes mais un auteur et un éditeur de renom vont s'intéresser à lui et le voilà publié. Il écrit avec les tripes et sa psychologie est fine, il donne à penser!
L'an dernier j'avais lu: Ce qui manque à un clochard, livre qui m'avait beaucoup plu également. Des voix qui sortent des sentiers battus.
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Parfois, avant de lire un livre, un sentiment vous a saisi, qui empêche de l'aborder innocemment, sincèrement.
Ce fut mon cas quant à celui-ci. Et c'était l'agacement !
Issu probablement de certaines critiques dithyrambiques qui insistaient sur l'éclairage « réalité de la rue »
Pourquoi un écrivain « SDF » serait-il nécessairement « céleste » et auteur d'un chef d'oeuvre. ?
Le texte est constitué, de courtes scènes non chronologiques, entremêlant séquences heureuses et malheureuses de l'enfance de l'auteur en foyer, fugues, sanctions, privations, mauvaises fréquentations et belles rencontres.
Bien sûr, nous ne pouvons qu'être émus par cet homme sans. « Aucune odeur paternelle. Et aucun souvenir de tendresse féminine. Comment se construire donc sur le néant ? »
Bien sûr, nous ne pouvons qu'être émus par cet homme «ce gosse solitaire, colérique, jamais apaisé qui tente tout ce qui est possible dans l'interdit. Jeune pousse de délinquant. Éternel asocial.»
Bien sûr nous ne pouvons qu'être ému par cet homme qui dans son parcours chaotique se veut en poète qui a sa muse. « Elle m'a encouragé, toujours, à écrire, dessiner, à coucher sur le papier ce qui m'habite… »
Mais, est-ce littérature ?
Bien sur ce recueil possède une dimension testimoniale quand il aborde l'aide sociale à l'enfance ou les conditions de vie des SDF.
Mais, cet aspect n'éclipse pas ce qu'a de profondément littéraire ce récit autobiographique.
Certes, ce n'est pas un chef d'oeuvre impérissable mais il possède un souffle indéfinissable qui caractérise les véritables livres, un morceau brut de littérature. Qui réside, non pas dans le résultat d'un labeur répété sur le langage, mais en sa spontanéité et en son caractère intact, indemne de retouches. « Écrire mais ne pas se relire trop. Quitte à y laisser des bleus ».
Mais
François Villon était probablement un voyou révolté qui au travers « Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis. »
a traversé les siècles jusqu'à nous.
Mais
Louis Ferdinand Céline était un salaud qui se savait salaud et en rajoutait une couche, a laissé cet incipit de « Mort à crédit » :
« Nous voici encore seuls. Tout cela est si lent, si lourd, si triste… Bientôt je serai vieux. Et ce sera enfin fini. Il est venu tant de monde dans ma chambre. Ils ont dit des choses. Ils ne m'ont pas dit grand-chose. Ils sont partis. Ils sont devenus vieux, misérables et lents chacun dans un coin du monde.
Hier à huit heures Madame Bérange, la concierge, est morte. Une grande tempête s'élève de la nuit. Tout en haut, où nous sommes, la maison tremble. C'était une douce et gentille fidèle amie. Demain on l'enterre rue des Saules. Elle était vraiment vieille, tout au bout de la vieillesse. Je lui ai dit dès le premier jour quand elle a toussé : « Ne vous allongez pas, surtout !… Restez assise dans votre lit ! » Je me méfiais. Et puis voilà… Et puis tant pis.
Je n'ai pas toujours pratiqué la médecine, cette merde. Je vais leur écrire qu'elle est morte Madame Bérange à ceux qui l'ont connue. Où sont-ils ?
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Écritures carnassières – Ervé – Éditions Maurice Nadeau.

C'était plutôt mal parti pour lui qui fut un enfant dont la mère alcoolique se débarrassa comme d'une chose encombrante, puis ce fut un parcours cahoteux de familles d'accueil en foyers avec pour seul refuge la solitude et les larmes face à l'indifférence, aux sanctions des adultes et au temps qui s'étire dans l'ennui. Il n'en faut pas plus pour aimer la marginalité ponctuée parfois d'une amitié fugace, de petits bonheurs, d'échecs, d'abus de toutes sortes, de détestation de soi, d'autodestruction par l'alcool le tabac, la drogue, l'idée du suicide... de "cas social" il devient tout naturellement asocial, peut-être plus mature que les autres enfants, ce genre de circonstances donnant très tôt une autre vision des choses et des gens que celle traditionnellement idyllique de l'enfance. Par réaction, il se fait des illusions d'avenir, se rêve autrement, il lit et même écrit tout ce que sa vie cabossée lui inflige. Il doit se rappeler aussi tous les propos suffisants des bien-pensants, ceux qui proclament à l'envi « qu'il suffit de vouloir pour pouvoir » parce qu'ils ont eu la chance qu'il n'a pas eue. Puis il se dit que les passades éphémères qui ont égrené sa vie n'ont qu'un temps, que le bonheur existe et qu'il n'y a aucune raison qu'il ne soit pas pour lui aussi. Il y eu une rencontre et avec elle tous les fantasmes qu'on se tisse soi-même pour compenser tout ces manques, et pour tenter de faire changer les choses. Ce fut un prénom, Claire, la naissance de ses deux filles, ses deux poumons comme il dit, c'est pour elles qu'il écrit et cela me paraît parfaitement légitime. Nous savons que l'enfance conditionne la vie future et lui qui n'a pas eu d'amour pendant cette période se révèle incapable d'aimer, quitte cette famille qu'il avait créée et voulue pour tenter d'exorciser ce qui ressemble de plus en plus à un destin funeste. Ainsi pour ses filles, il devient « un père absent » qui ne leur donnera pas l'amour auquel elles ont droit. On ne peut donner ce qu'on n'a pas. Comme tous les malheureux qui font ce qu'ils peuvent pour s'en sortir, il n'échappe donc pas à cette règle non-écrite qui fait qu'on reproduit malgré soi l'exemple qu'on voulait précisément éviter. Elles aussi manqueront de son affection. Son univers devient donc la rue, l'errance, la manche et les petits bulots pour survivre... Il n'est pas clochard, même s'il le dit souvent, puisqu'il se déplace sur le cadastre national et même au-delà des frontières, qu'il voyage et on songe à Jack Kérouac et peut-être aussi à la génération perdue qu'il incarna, on pense surtout à une fuite qui ne dit pas son nom pour échapper à ses semblables marginaux, aux regard des autres, à sa région sinistre et sinistrée et peut-être aussi à lui-même, à ses erreurs, à son mal-être, avec sa solitude pour seule compagne...
De courts chapitres d'une écriture « carnassière » c'est à dire féroce, abrupte, saccadée, comme la marque d'une révolte contre l'adversité. Elle n'est pas vraiment académique, se moque de la chronologie , mais elle a du caractère, est dénuée d'artifices et les moments de poésie et de paroles de chansons cachent mal les fêlures et le désespoir de cet écorché-vif. Dans son cas, l'écriture est un témoignage, celui d'un être qui choisit ainsi de réagir contre sa condition et ce faisant, en mettant des mots sur ses maux, il les adoucit au moins temporairement, même si j'ai toujours douté de l'effet cathartique de l'écriture. Il s'en sert pour exorciser ce destin néfaste et je ne suis pas sûr, malgré les apparences qui, nous le savons, sont trompeuses, que cela soit effectivement efficace simplement parce que les séquelles malsaines de cette enfance ont la vie dure.
Le hasard fait parfois bien les choses qui fait se rencontrer des êtres qui n'auraient sans cela eu aucune chance de le faire. Tel a été le cas quand l'écrivain Guy Birenbaum a croisé Ervé qui à l'époque était SDF et s'intéressa à lui. Il y aurait donc une justice (immanente?) qui rectifierait parfois les épreuves que la vie ne manque pas de nous envoyer, et cette malchance qui s'accroche à vous et ne vous lâche pas. Cette expérience semble donc avoir un épilogue heureux et ouvrir à Ervé des perspectives d'avenir. Tant mieux pour lui, il a eu de la chance dans son malheur, est sorti de sa condition en devenant écrivain, son premier livre est publié, c'est à dire qu'il a réalisé son rêve. Pourtant, à un moment où il est difficile de trouver un vrai éditeur sans avoir un bon parrainage, ou sans payer parfois cher sa prestation sans pour autant que la promotion du livre soit correctement faite, l'aventure que vit Ervé est plutôt rassurante et peut-être encourageante pour la foule de ceux, et ils sont nombreux, qui se voient contraints de remiser leur manuscrit dans la poussière d'un tiroir... et d'abandonner leur projet. Pour une fois qu'un éditeur, qui est un découvreur de talents, fait effectivement son métier, il serait vain de s'en plaindre.
Le livre refermé, cette histoire que j'ai lue avec attention et intérêt me laisse quelque peu perplexe. Je ne suis qu'un simple lecteur qui n'ait, par chance, jamais dû vivre sans toit mais, si je comprends la volonté de l'auteur de fonder une famille pour tenter d'oublier son enfance désastreuse, je reste dubitatif devant sa décision de revenir dans la rue et dans la marginalité avec son lot de mépris et de violences en oubliant ses responsabilités de père, ce qui aura sûrement les mêmes conséquences sur la vie de ses filles que l'irresponsabilité de sa mère a eue sur la sienne. Il a certainement tenté d'inverser le cours des choses mais elles se sont imposées à lui, malgré lui. D'une certaine manière et même s'il dit se détester, il fait valoir une certaine forme de liberté face à sa double paternité non assumée, laissant à sa compagne le soin de s'occuper de sa progéniture. Confesser son amour pour ses filles et sa femme est, dans ses conditions, sûrement insuffisant pour elles. D'autre part, il raconte son histoire qui est celle de beaucoup de gens jetés dans la rue à la suite d'accidents de la vie et ils seront sans doute nombreux à s'y retrouver.
J'ai bien conscience que je suis assez mal placé pour juger cet ouvrage et surtout le message qu'il contient, même si, toutes choses égales par ailleurs, mon empathie personnelle me fait partager ce mal-être.



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« Ecritures carnassières » est un éclat de voix, un cri de rage dans un brouillard de survie. Voilà un recueil bien difficile à classer. Ervé, SDF nomade, collé au bitume, drogué aux migrations, témoigne d'un mal être et d'un amour démesuré pour ses deux poumons…ses deux filles qui lui apportent l'oxygène de vie, celui qui le pousse à poursuivre son chemin. Traumatisé, marqué au fer rouge par un abandon maternel, il ne peut pas accompagner, être accompagné par une présence quotidienne. La faille paraît irréversible. Ervé en dévoile l'incompréhensible conséquence : en ruptures autodestructrices, il est conscient d'une infirmité sentimentale qui l'empêche de se lier. Forgé par une enfance soumise à la DDASS, il a puisé ses forces dans la solitude, la débrouille, l'alcool… Les mots l'ont sauvé, ceux qu'il lit, ceux qu'il écrit. La langue subit des fulgurances de vérité, de violence, elle arrache les figures de style et atteint la poésie. « Ecritures carnassières » certes, mais pas de commisération, d'apitoiement… La réalité au ras du bitume, directe sans analyse, sans jugement. La préface et la postface éclairent avec intérêt le trajet du livre. Un livre à conseiller.
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