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4,17

sur 1052 notes
J'ai dévoré ce livre. J'ai eu beaucoup de compassion pour ces hommes et ces femmes aux vies brisées et cadenassées par les interdits religieux, le poids insupportable de l'appareil d'état et des traditions.
J'ai pensé à un sombre voyage en Absurdie.
Car dans cette lointaine galaxie, qu'y a-t-il de plus absurde pour un homme que de tisser durant toute une vie un tapis de cheveux appartenant à ses épouses et à ses filles, d'organiser toute son existence autour de cette unique activité, et de répéter sans se poser la moindre question cette tradition millénaire jusqu'à la fin des temps ? Des tapis, figurez-vous, qui sont destinés à décorer le palais de l'Empereur. Un palais grand comme une planète, à la dimension de son immensurable empire. L'Empereur Dieu de cet extraordinaire livre de science-fiction est à l'origine de tout. Il ordonne à l'univers et aux peuples qui y vivent. Il est infiniment loin et en même temps très proche d'eux. Il est le Dieu paternel ou vengeur. Il est omniscient, omniprésent. Tous les personnages de ce roman ne sont que de pathétiques marionnettes qui lui obéissent par peur, par devoir ou pire, par habitude. Cette soumission transpire à chacune de leurs tranches de vie qui sont autant de défaites et de désillusions. le seul sourire, la seule brève éclaircie de ce livre sans concession se passe quand un officier retrouve son libre-arbitre en cachant la vérité à ses supérieurs.
Cette mission absurde et sacrée pour ces tisseurs de confectionner des milliards de tapis de cheveux est une dénonciation implacable de nos grands gourous, tous ces « Petit père des peuples », « Grand timonier », « Il Duce », « Big Brother », « Guide spirituel », « Roi Soleil », « Calife », « Lider Màximo », « El Caudillo », « Grand Prêtre »…, dont la démesure, la tyrannie, les caprices, les rêves fous, détruisent les existences des misérables insectes que nous sommes.
Un petit chef-d'oeuvre, je vous dis !
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Ce livre de SF allemande est un véritable chef d'oeuvre.

Combinant de façon originale science-fiction et obscurantisme médiéval, il touche du doigt l'absurdité des caprices des hommes puissants, leurs conséquences tragiques, la puissance de l'emprise et de l'endoctrinement dont les peuples ont du mal à s'extirper même lorsque le pouvoir despotique n'est plus, tant ce pouvoir laisse une empreinte profonde dans l'âme même de ces peuples serviles.

Sur la planète Gheera, planète recouverte essentiellement de déserts et de steppes, toute l'activité tourne autour de la confection de tapis de cheveux. Économie, système fiscal, acheminement, la société est organisée autour de la vente des tapis qui constitue la ressource essentielle des familles, la dote de toute une vie. D'imposants tapis de cheveux…imaginez comme la vue de l'un d'entre eux doit être saisissante. A l'échelle d'une planète, sur des générations, cela représente des milliards de tapis de cheveux…c'est monstrueux. Des tapis de cheveux humains. Des cheveux de femme. Cheveux noirs, blonds, bruns et roux entrelacés, tissés extrêmement serrés en une multitude de motifs géométriques. le tisseur commence par tisser les grandes lignes de son tapis dans une teinte déterminée par les cheveux de sa première femme, puis les différentes concubines qui arrivent ensuite apportent les nuances à l'ensemble. le pourtour est brodé de poils bouclés prélevés sur les aisselles des femmes. D'où l'importance d'avoir des filles dans cette société et surtout un fils, mais un seul fils, qui ensuite poursuivra la tradition. Ainsi un nouveau-né garçon est tué si le tisseur a déjà un fils.

Un tisseur y travaille toute sa vie tant la réalisation est complexe, en utilisant exclusivement les cheveux de ses femmes. Finissant quasiment aveugle, le dos vouté, les doigts raidis par l'âge, sa satisfaction est d'imaginer son tapis, le tapis de toute une vie, décorer le palais impérial. le tissage jour après jour, noeud après noeud, représente un ensemble de gestes tournés exclusivement vers l'empereur. de façon immuable, chaque geste, chaque noeud délicat de ces fils quasi invisibles, lui est dédié. L'emprise sur les corps et les coeurs est totale, régnant depuis des millénaires et des millénaires sur l'humanité éparpillée sur différentes planètes. Et malheur à celles et ceux qui ne portent pas intimement l'Empereur en leur coeur, le malheur s'abattra sur lui. Mantras parmi d'autres que chaque citoyen connait et récite depuis l'enfance. La réalisation des tapis répond à des motivations quasi religieuses, religion d'État en quelque sorte. C'est une activité sacrée. Il est également de notoriété, appris et récité, que c'est l'Empereur qui fait briller les étoiles et le soleil.

Les chapitres s'égrènent sous nos yeux effarés…ce sont véritables uppercuts…Je me suis surprise à maintes reprises à fermer les yeux pour ne pas voir surgir le sort funeste…Nous découvrons des vies brisées, des vies violentées, étouffées, par cette société où le pouvoir de l'empereur, devenu Dieu, où les traditions ancestrales, cadenassent toute vie. Il est interdit de remettre en cause cet ordre immuable sous peine d'être jugé d'hérésie et de se faire lapider, interdit de choisir son destin. Et surtout, au fur et à mesure des chapitres, nous nous demandons comment est-ce possible…tout ça, toute cette souffrance, pour la décoration du palais impérial que personne n'a même jamais vu sur Gherra, le palais étant situé sur une autre planète… ? Comment un Empereur peut-il imposer cela pendant des millénaires, d'aussi loin ? La folie des hommes de pouvoir les transforme-t-elle en dieux, des dieux assis sur l'obscurantisme et l'ignorance de leur peuple, les maintenant ainsi en servitude.

« Nous avons acquis le pouvoir, nous l'avons conservé et goûté sans retenue. Nous avons mené des guerres, opprimé et exterminé des peuples. Nous avons constamment imposé notre volonté, sans aucune pitié. Nul n'osait nous résister. Auprès des cruautés que nous avons commises, tous les épisodes de l'Histoire ont l'air de gentils contes pour enfants. Des cruautés que notre langue ne peut même pas nommer et qui défient l'imagination la plus folle. Et personne n'a pu mettre un terme à nos exactions. Nous avons baigné dans le sang, et aucun éclair ne nous a terrassés. Nous avons entassé des montagnes de crânes, et aucune puissance supérieure ne s'est opposée à nous. Nous avons versé des torrents de sang humain et aucun dieu n'est intervenu. Alors nous avons décidé que nous étions nous-même des dieux ».

Pourtant des rumeurs de renversement de l'Empereur commencent à se faire entendre…simples rumeurs ou vérité ? La toute fin du livre nous donne toutes les clés, toutes les explications de cet artisanat à la fois si fascinant et si monstrueux, et cette fin est grandiose, elle est venue me happer. J'ai fini le livre abasourdie, bouche-bée. Une fin vraiment magistrale. Qui plus est l'écriture de Andreas Eschbach est fluide, belle, parfois poétique, ce qui ajoute au plaisir de lecture.

« La maison se tenait là, toute de guingois, blanchie et rongée comme le crâne d'un animal mort depuis des années. Des cavités noires de ses fenêtres, elle semblait fixer avec attention la jeune femme qui, épuisée, se tenait sur le pas de la porte soigneusement balayé et regardait autour d'elle, indécise ».


Cette histoire touchante, originale et bien écrite, est une dénonciation implacable et brillante des hommes de pouvoir devenus dictateurs, guides spirituels, rois. Leur tyrannie fait sombrer dans l'absurde toute société, leur vengeance et leur vanité nous montre à quel point toute vie est dépourvue de sens. Une SF douce et poétique à la dénonciation politique virulente, accessible à tous. Un livre que je ne suis pas prête d'oublier !

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Un roman particulier au scénario brillant qui mêle habilement science fiction et moyen-âge, les anachronismes seront assez nombreux en cours de lecture.
Il est question d'un empire galactique, d'un Empereur, et de la fabrication de tapis de cheveux, de milliards de tapis de cheveux dont les plus beaux orneront le Palais des Étoiles, la demeure de l'Empereur....
Depuis toujours la seule activité importante est le tissage de ces tapis, et tout ce qui peut permettre à un tisseur de réaliser le plus beau des tapis est mis en oeuvre car seul cela compte, les cheveux des femmes et des filles de chaque maison doivent contribuer à l'excellence qui permettra aux meilleurs tisseurs de s'élever dans la société.
Il y a un mystère savamment distillé autour de cette production et surtout sur sa destination réelle.
Il s'agit d'un roman chorale d'une certaine façon puisque plusieurs points de vues seront exprimés sur différentes planètes, une intrigue et des rebelles, des tapis à tisser, un Empereur dans sa tour d'ivoire.
Le scénario est réellement habile et prenant, mais surtout quelle fin !
J'ai rarement eu l'occasion de voir un final aussi génial, la conclusion justifiera tout, absolument tout ce qui aura précédé et c'est particulièrement réussi tellement c'est énorme.
En conclusion c'est un roman qui pourrait intéresser toutes et tous, y compris ceux qui pensent ne pas aimer la SF, un roman à part tout simplement.
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Ce livre a obtenu le prix bob morane 2000 (roman étranger) et 2008 (prix spécial) ainsi que le grand prix de l'imaginaire 2001.
Un grand cru donc, d'autant que la plupart des critiques sont dithyrambiques.

Et force est de constater, que sans tomber en pamoison, j'ai passé un agréable moment avec ce roman.

Depuis des temps immémoriaux, des pères passent leur vie à tisser des tapis avec les cheveux de leur femmes et filles destinés au palais de l'empereur. Mais personne n'a jamais vu ces tapis au palais et la quantité fabriquée est telle que l'on se pose des questions.
D'autant que l'empereur, qui pourtant vivait depuis des dizaines de milliers d'années, élevé au rang des dieux, est mort, que les rebelles ont pris le pouvoir et que personne ne sait rien sur cette histoire.

Le titre et le quatrième de couverture ne rendent pas grâce à l'oeuvre. J'ai longtemps hésité avant d'ouvrir cet ouvrage, justement à cause d'eux. Mais finalement bien m'en a pris. Et effectivement il n'y avait pas d'autre titre possible, puisque tout repose sur ces tapis de cheveux.

Une énigme tout d'abord : Que deviennent ces tapis ? Que le lecteur se rassure, il aura sa réponse, aussi surprenante que logique.

Le livre se compose de scènes de vie, dont beaucoup sont situées sur une seule planète productrice de tapis, une description d'un système, instauré depuis des millénaires, de type médiéval-fantasy où les femmes sont des objets courtisés pour leur chevelure, entrecoupées de scènes plus "science-fiction" "space opera", ou doucement, les explications se mettent en place pour arriver à la révélation finale.

Les personnages, sont un peu oubliés par l'auteur. Il n'y a pas vraiment de personnage central. C'est peut être le seul reproche que j'aurais à faire à ce livre. Il manque - bien que je sois sur qu'il s'agisse d'une volonté délibérée de l'auteur de ne pas se reposer sur un personnage, mais plutôt sur une histoire ou des histoires - il manque donc à mon humble avis un personnage fil rouge, qu'on aurait pu suivre tout au long du roman.

Une histoire facile à lire, originale et pleine de poésie (je plagie honteusement le quatrième de couv) qu'il faut découvrir absolument.
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Ils sont beaux, mes tapis, ils sont beaux ! Tout de cheveux tissés, ils sont le but ultime de tout bon père de famille désireux d'assurer un certain train de vie à sa descendance ! Grâce à ce système social à première vue capillotracté, et pourtant diablement original, Andreas Eschbach nous tisse une histoire touffue certes, mais également moelleuse et confortable.

Tout commence sur une planète isolée, aux confins de la galaxie. Là, la tradition veut que chaque père de famille tisse pendant toute sa vie, à partir des cheveux de sa femme et de ses filles, un magnifique tapis destiné à l'empereur galactique et ayant également pour but de subvenir aux besoins financiers de sa descendance de la génération suivante. Andreas Eschbach pose ainsi, dès le départ, la problématique de l'éternel recommencement au centre de son intrigue. Et l'intrigue en effet, quelle est-elle ? D'un drame presque anodin, lié à ces tapis, de destins personnels en politiques à l'échelle d'une galaxie, l'auteur cherche surtout à nous faire ressentir le poids de la tradition et sa force dans une société établie. Pour cela, nous abordons l'ensemble des facettes d'une galerie large et variée de personnages : le vieux tisseur qui perd le fruit de toute une vie de labeur, les politiciens rebelles qui ont mis à bas l'empereur immortel, les occupants de vaisseaux explorateurs aux confins de l'Empire délabré.
Dans ce space opera non militariste, l'intérêt est ainsi plutôt sur les aspects culturalistes, puisqu'à l'image de cette branche de l'anthropologie, ce roman met clairement en évidence l'influence de la culture, de l'éducation, de la tradition organisée par la société, sur la personnalité des individus qui la composent. Devant cet état de fait, la difficulté de compréhension de certains viendra sûrement du flou chronologique engendré dans l'enchaînement des différents chapitres, mais à part ça tout cela reste plutôt lisible et vraiment prenant. Nous pouvons au milieu du roman soit que l'auteur s'est retrouvé le derrière entre deux chaises pour passer ainsi d'un planet opera centré sur le poids des tapis à un space opera trop large et trop englobant, soit que la transition entre les deux est juste trop nette au prix d'un changement de décor un peu déstabilisant. Pour autant, nous ne pouvons nous empêcher de souligner dans ce premier roman d'Andreas Eschbach une certaine poésie et un sens de l'épopée discrète, qui me fait rapprocher le style de cet auteur de celui de Jean-Philippe Jaworski, avec bien évidemment une approche différente du point de vue de l'aventure galactique.

Sans être un monument du genre, ces Milliards de tapis de cheveux laissent un souvenir des plus agréables en se fondant sur un concept vraiment original et en racontant une histoire prenante. La conclusion est lourde de réflexions sur le sens de nos vies de mortels.

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« Nulle part, dans cette galaxie abandonnée de Dieu, il ne paraissait y avoir de réponses ; seules les questions étaient infinies. »

Quel mystère se cache derrière ces milliards de tapis de cheveux? Toute une vie est nécessaire pour en confectionner un. C'est une tradition sacrée depuis des générations. Andreas Eschbach y répond avec un récit en collier de perles plutôt original.

Chaque chapitre nous fait découvrir des personnages, des bouts d'histoires qui ne prennent tout leur sens qu'une fois la lecture achevée.

Un excellent roman que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire. Il a été récompensé par plusieurs prix littéraires : le DSFP 1996, le Grand prix de l'imaginaire 2001 & l'Ignotus 2005.

J'ai très envie de lire les autres livres de cet univers mais ils n'ont pas tous été traduits. Je me contenterai donc de « Kwest » (également chez L'Atalante).


Merci à Milllie pour la pioche :-)



Challenge XXe siècle 2023
Challenge mauvais genres 2023
Challenge multi-défis 2023 (86)
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La force d'une métaphore cinglante !

Un roman qui a beaucoup de charme et de pertinence .
Beaucoup de charme certes , mais assez clivé en qualité au grès des parties des textes qui conduisent au dénouement , selon mon humble avis .

Un despotisme démesuré a conduit un monde entier à tisser des tapis pour un empereur absent . La vie sur ce monde est intégralement subordonnée au tissage et au transport de ses tapis .
Une partie du roman explore et décrit cette réalité en nous plongeant dans un univers intemporel et « Low Tech « qui est envoutant , surtout que le style est très élégant et très soigné , avec un soin très exigeant qui est consacré à la peinture des personnages et aux modes de vie .
Cette planète entière est une métaphore qui représente le despotisme aveugle et la soumission non moins aveugle qu'il exige , réclame et obtient .

En fait il s'agit d'un recueil de nouvelles très cohérentes .
L' auteur nous entraine ensuite sur des routes spatiales pour savoir , s'il faut ou non accorder du crédit à la rumeur selon laquelle l'empereur serait renversé par des rebelles ....
Jusque le huitième texte ( inclus ) , nous tournons autour des tapis , de leur production , du tissage , des guildes et des caravanes de marchands qui collectent et expédient les tapis , de la collecte des impôts ....
Ces huit textes sont excellents , l'univers est envoutant grâce à de sobres et puissantes descriptions et par l'évocation d'enjeux densément humains , et il dégage ainsi un charme absolument entêtant. C'est un planete opera soigné et très exigent en fait .

Ensuite le lecteur embarque dans l'exploration de l'au-delà du ciel . Et là , toujours à mon humble avis , le récit débouche , du point de vue de la forme , sur un espace opéra naïf qui n'a plus rien de la puissante métaphore que constituaient les textes précédents .
On bascule dans l'espace opera naïf et classiquement convenu , sur la forme et c'est vraiment à peine au-dessus du minimum syndical . Et cela fait à peine l'effet que pourrait produire aujourd'hui , un texte du type « âge d'or de la science-fiction « ....

Si l'auteur poursuit le développement de sa pensée avec mesure et succès , le texte perd brutalement , au détour d'une page toute élégance , toute envergure et toute ampleur ...
Deux attributs que soulignons-le , il retrouvera avec une force symboliquement tragique , presque tragique en fait , et percutante surtout , dans l'ultime dénouement de cette quête de signification politique et de sens de la vie comme subordonnée au politique , que constitue finalement ce récit .
Car , comme chacun le sait , le totalitarisme engendre l'oppression et la lobotomie des consciences et il est souvent un mode de vie inscrit dans la chaire de ses victimes .

Un beau sujet , mais « un roman « clairement inégal malgré un suivi exigent et intelligent des développements thématiques .
Il ne suffit pas de disserter avec pertinence sur le totalitarisme pour se dispenser de concevoir un texte brillant sur toute la ligne mai surtout un texte égal sur toute la ligne ....

Un bon roman agréable et sympathique cependant et incontestablement .
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"(...) le véritable pouvoir, n'est jamais celui qui s'exerce sur les choses, fussent-elles des soleils et des planètes. Seul compte le pouvoir que l'on a sur les hommes."

***

Brillant, tout simplement brillant, tant sur la forme que sur le fond. L'écrivain allemand Andreas Eschbach signe avec ce premier roman paru en 1995, un véritable coup de maître. 

S'appuyant sur une idée de départ disons-le plutôt déconcertante, il réussit le prodige de créer un univers d'une inventivité, d'une richesse et d'une cohérence remarquables. 

Poussée par l'envie de m'éloigner de mes lectures habituelles et fortement intriguée par le quatrième de couverture, je me suis lancée dans cette lecture sans trop savoir à quoi m'attendre et j'ai pris une sacrée claque, plusieurs même. de celles qui laissent une empreinte profonde. de celles qui ne peuvent s'oublier. 

*

Croisant fantasy et science-fiction, le récit propulse le lecteur dans un monde aux moeurs pour le moins étranges. Depuis des temps immémoriaux, de père en fils, les hommes consacrent leur vie entière à la réalisation de tapis de cheveux. Tissés à partir des chevelures soyeuses de leurs femmes, de leurs concubines, de leurs filles, ces tapis sont destinés à orner le palais de l'Empereur, un souverain immortel et tout-puissant, vénéré comme une divinité. 

"Nous sommes au service de l'Empereur. Sa parole est notre loi. Sa volonté est nôtre."

Génération après génération, la coutume se perpétue, chacun s'acquittant de son tribut, sans se poser de question, et ce quels que soient les sacrifices à réaliser. "Ainsi en a-t-il toujours été, ainsi en sera-t-il toujours (...)". Mais des bruits courent, il se dit que l'Empereur ne règne plus…À quoi bon alors, ces milliards de tapis de cheveux?

*

Bien que déstabilisée au début, j'ai trouvé la structure du récit très originale et même assez fascinante. Chaque chapitre s'apparente à une nouvelle qui vient agrandir progressivement notre champ de vision. L'occasion pour le lecteur de prendre la pleine mesure du talent incroyable de l'auteur mais aussi de l'immensité de l'univers proposé. Sans toujours respecter la chronologie, les histoires qui nous sont contées se succèdent avec fluidité et pertinence. Elles s'emboîtent entre elles, se répondent, s'éclairent.  

Au fur et à mesure de nos découvertes, lesquelles sont réalisées à un rythme idéal, le mystère s'épaissit. Les questions s'enchaînent, les hypothèses fusent et la tension grandit jusqu'au dénouement final - absolument sidérant. Tout prend sens. Un choc, encore un, le dernier. Bien au-delà de ce que j'imaginais.

La force de l'impact serait bien moindre sans la vive émotion qui, tout au long du livre, étreint le lecteur. Derrière les dix-sept chapitres qui le composent, se cachent des existences bâillonnées, corsetées, violentées, annihilées. Des existences dont le tragisme et la sujétion déchirent le coeur. Je suis impressionnée par l'épaisseur donnée aux personnages en si peu de pages, par le lien qui s'est noué. J'emporte leur douloureux souvenir avec moi. 

(...) la véritable folie réside moins dans l'idée en soi que dans les conséquences que sa mise en oeuvre a impliqué de manière inexorable."

***

Un roman intelligent, passionnant et percutant qui de bout en bout surprend.
Une méditation sur le poids des traditions, la religion, le pouvoir (despotique), l'endoctrinement,  l'asservissement, ou encore le sens de la vie (non exhaustif).
À lire, relire, par tous, sans hésiter! 
Une pépite!




Remerciements chaleureux adressés à Nadège, ma co-lectrice. J'ai beaucoup aimé mêler nos regards, nos sensibilités et nos réflexions. Une LC qui a généré de riches échanges. 

À refaire, là aussi, sans hésiter!!! ^^

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« Texte »: du latin textus (« tissu », « trame (du récit) », « texte »), participe passé de texo (« tisser », « tramer »).
Le glissement sémantique entre le « tissu » et le « texte » se retrouve en français dans des expressions comme trame du récit ou intrigue cousue de fil blanc.
Je ne sais pas si en allemand l'étymologie de « texte » se prête aussi bien aux jeux métalittéraires, mais quel bonheur de lire une oeuvre qui emprunte aussi bien à la littérature populaire qu'à la réflexion critique, en toute subtilité et sans la ramener.
Soit des chapitres qui pourraient être autant de nouvelles indépendantes mais qui écheveau après écheveau tissent le motif.
Soit des échantillons de tous les genres de l'imaginaire qui chapitre après chapitre dévoilent leur unité.
Des milliards de tapis de cheveux raconte comment les mythes structurent nos vies. Il nous faut croiser des fils et même si le travail est dur, au moins le récit donne-t-il un sens à notre existence.
Auteur de S.F., Eschbach nous raconte comment l'irrationnel nous domine et nous subjugue. Nous sommes faits de l'étoffe de nos rêves.
Car nous sommes gens du livre: nous croyons à un Dieu caché, au pouvoir de son verbe, et si ce roman narre les ravages de la religion et ne nous cache rien de sa cruauté, il comble aussi notre besoin de paraboles et d'explications. La bible est dans la bibliothèque comme le ver est dans le fruit.
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Quelque part sur une planète oubliée de tous, la vie est rythmée par la guilde des tisseurs : chaque tisseur doit réaliser un tapis avec les cheveux de sa femme, ses filles et ses concubines, pour le vendre aux marchands de l'Empereur : la somme récoltée permettra au fils de fonder une famille et de tisser à son tour un tapis. Comme un tapis ne peut faire vivre qu'une famille, les garçons cadets sont tous éliminés.

Cependant, un jour, un homme se pose sur la planète : il prétend être un rebelle, et avoir fait partie d'un groupe qui a tué l'Empereur. Événement qui remonte déjà à plusieurs années. Personne ne le prend au sérieux et il est emprisonné pour hérésie. La vie continue comme avant, même si les marchands impériaux ne se présentent plus.

Curieux monde que nous décrit dans ce roman Eschbach : le fonctionnement de la guilde des tisseurs est tellement ancré dans les habitudes, par l'enseignement, la religion d'un empereur éternel, que la société est incapable de se transformer, et continue inlassablement, mécaniquement à produire ses tapis dont plus personne ne veut, alors que leur raison d'être a disparu depuis des années. Quand on apprend enfin à quoi servaient ces innombrables tapis de cheveux, la leçon semble encore plus cruelle.
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