Jacques Expert m'a encore procuré un immense plaisir de lecture avec
Hortense , son dernier roman paru aux éditions Sonatine.
Avec son style si particulier , on retrouve à nouveau l'une de ses principales caractéristiques , un travail sur la psychologie de ses personnages tellement soigné que ses protagonistes , j'ai le sentiment de les avoir déjà croisés. J'ai même pu mettre un visage sur Sophie , l'héroïne dont les malheurs nous sont contés ( mais attention , on n'est pas dans la comtesse de Ségur ) , tant elle ressemble à une collègue sans âge , solitaire et incapable de communiquer. J'insiste à chaque critique d'un Jacques Expert sur cet aspect réel mais il a vraiment un don pour rendre ses personnages très concrets. Ce ne sont pas des super héros mais des êtres blessés , donnant l'illusion d'une forme de normalité en surface alors que leurs souffrances leur font perdre pied et les déconnecte du quotidien. Alors certes un bon nombre de ses romans , dont celui - ci , s'inspirent d'affaires réelles , mais affiner les psychologies de ces personnes juste légèrement en marge de la société à ce point va bien au - delà d'une simple restitution de faits criminels.
Sophie est une femme très quelconque. Quand un homme particulièrement attirant - Sylvain - l'a remarquée , c'était comme un conte de fées. Pour que dure cette liaison elle était prête à tout accepter. L'entretenir notamment. Et tomber enceinte devait peut être lui permettre de retenir cet homme près d'elle en le mettant face à des responsabilités paternelles. Mais Sylvain n'avait aucune intention d'élever une enfant avec cette femme laide et insipide et a pris la fuite en l'insultant copieusement.
Sophie élèvera donc seule la petite
Hortense , une éducation assez ... discutable mêlant amour étouffant , innombrables cadeaux et sévérité. Jusqu'à ce qu'aux trois ans de la fillette le père - dont elle ne voulait plus entendre parler - ressurgisse dans leur vie et enlève sa fille , laissant Sophie plus seule et abîmée que jamais. L'enquête ne donnera rien. Et un jour , une vingtaine d'années plus tard , Sophie va croiser une serveuse prénommée Emmanuelle , dans laquelle elle va reconnaître
Hortense. Et une forme de complicité et d'amitié - parfois sincère , parfois malsaine - va naître entre les deux femmes , et c'est cette rencontre
qui est au centre de l'intrigue.
le récit alterne les points de vue des deux femmes dans de très courts chapitres , parfois entrecoupés de témoignages de divers intervenants. Dès le départ , le lecteur sait que l'issue du roman est dramatique mais ignore
qui sera la victime. Suffisamment d'indices sont disséminés pour permettre de reconstituer une grande partie des faits avant les derniers chapitres mais la tension est maintenue et les doutes demeurent. Sophie est certes une victime mais son intransigeance et une forme de complaisance dans son malheur empêchent l'attachement et la rendent même antipathique tant elle est guidée par sa haine sans possibilité de compromis. Et on se rend compte rapidement qu'elle n'est pas exactement toute seule dans sa tête.
De par bien des aspects ( la limite de la schizophrénie et certains loisirs ) Sophie fait penser au personnage de Norman Bates , ce que ne dément pas le final à la Psychose.
Si vous avez envie de lire un roman plein de gaieté et de bonne humeur , aux personnages tendres ,
Hortense n'est pas la solution la plus appropriée. Si vous voulez vous plonger dans les abysses d'une lente folie et tout simplement comprendre comment et pourquoi l'être humain peut basculer sans espoir de retour , c'est le livre idéal.