Germaine Tillion revint de Ravensbrück ; sa mère y était morte gazée. Sa grand-mère était décédée. Sans nouvelles de sa sœur qui était en Indochine, la jeune femme vivait des heures douloureuses. Mais elle trouva le courage de se consacrer à la mémoire des disparues et fut chargée de l’homologation de groupes de résistance qu'elle réunit sous le nom de Réseau du Musée de l’Homme-Hauet-Vildé. La mission de l’Aurès devait lui sembler vide de sens en 1945. Pas à moi. J’insistai pour qu’elle vienne voir l’exposition sur l’Aurès. Totalement ignorante de l’ampleur de l’horreur, je pensais pouvoir l’aider. Les déportés ne parvenaient pas encore à parler de ce à quoi ils avaient survécu. J’avais subi de mon côté une plongée dans l’enfer de l'hôpital psychiatrique. Lorsque nous nous retrouvâmes face à face sur les marches de l'escalier du sous-sol, nous étions toutes les deux bouleversées. Notre conversation a dû marquer Germaine, puisqu'elle a écrit plus tard dans ses carnets : À quelques pas de l'escalier, dans son petit bureau, elle me raconta alors, avec sa lucidité et son honnêteté de toujours, sa captivité dans un de nos hôpitaux de ce temps-là.
Malheureusement, l’intimité passée n'existait plus. Mon temps s’était figé dans les confins de l’Algérie, celui de Germaine continuait et avait même subi une incompréhensible accélération ; nous n’étions simplement plus en phase, seul l’Aurès nous reliait encore.