J'ai lu un peu comme une parenthèse ce court roman d'
Alice Ferney, auteur que je suis depuis "
Grâce et dénuement".
J'avoue que sur les 40 premières pages, je me suis demandé : "Mais qu'est-ce qui lui prend ?" J'avais la désagréable impression d'une apologie de la servitude volontaire de la femme, faite "naturellement" pour ce rôle de procréation, puis pour rester à la maison gérer l'intendance de la famille.
Et puis la veuve qui reste pour toujours fidèle à son mari...
Comme cela a été dit au-dessus, je restais en dehors, je ne me sentais pas familière de cet environnement aisé, traditionnel et catholique fervent. le personnage de Valentine ne me touchait pas plus que cela, peut-être effectivement en raison de l'écriture objective et finement précise d'
Alice Ferney, mais un peu clinique au premier abord.
Peu à peu, toutefois, j'ai commencé à être touchée par un certain charme, à partir de l'histoire de Mathilde et d'Henri, le fils de Valentine, et d'abord par leur couple. C'était ambivalent : d'un côté il me semblait terriblement despote et elle soumise, mais de l'autre, l'écriture, à ce moment, comme à dessein, opère un basculement : tout en maintenant le lecteur relativement à distance, le point de vue interne des personnages fonctionne, et surtout celui de Mathilde.
Je me suis dit que vraisemblablement
Alice Ferney voulait rendre hommage à des générations de femmes des "temps durs", qui n'avaient pas le choix, de par l'absence de moyens pour les femmes de maîtriser leur corps et leur fécondité, et surtout de par l'emprise d'une éducation rigoriste, formatée par l'idéal du mariage et de la maternité.
Et là, je me suis dit qu'
Alice Ferney faisait oeuvre d'ethnologue, et le reste de la lecture m'a paru plus intéressant. On voyait du reste bien comment cela fonctionnait avec l'éducation que le couple dispensait à leurs enfants. Et tout cela aussi se situe entre les deux guerres, même si cette évocation de l'éternel féminin maternel est tellement universelle qu'on oublie le contexte historique (qui ne se marque que par les deuils, tribut à la guerre).
En somme, ces femmes sont bien des héroïnes, non de la maternité ou de la soumission consentie, mais du "faire avec" : malgré l'inégalité entre l'homme et la femme (non contestée par elles), malgré la terrible fatigue de porter de nombreux enfants (Mathilde en aura 10 !), malgré les limites de leur horizon, elles essaient de communiquer l'amour de la vie à leurs enfants, d'être toujours présentes à eux pour qu'ils ne manquent de rien, et elles respirent aussi la vie dans leur présence charnelle, leur odeur, leur enfance, juste retour de l'amour qu'elles dispensent généreusement, sans compter.
Les personnalités des maris étaient aussi étonnantes : rigides, pétris de certitudes, ils ont des relations maladroites avec leurs femmes, ils sont souvent peu empathiques, n'expriment leurs sentiments que du bout des lèvres, mais ils ont besoin d'elles - en même temps, leurs relations avec leurs enfants sont vraiment symptomatiques d'une époque révolue, et on se prend à penser qu'ils ont tout raté, même si leurs enfants sont bien élevés et font bel effet à la messe...
J'ai suffisamment apprécié pour terminer cette lecture, mais je n'ai pas pu vraiment entrer dedans. A noter que c'est tout de même un bijou d'écriture, il faut juste aimer le thème et que cela "parle". Mais pourquoi pas ? Il y a en outre de belles réflexions sur la vie et la mort, le désir entre les êtres, l'amour maternel, ce qui fait la beauté d'une femme, et ce n'est quand même pas rien.