Je prends un ticket au guichet, monte dans le premier bus, peinture émaillée blanc et rouge. le soleil va bientôt se coucher, et l'esprit léger, je pars en week-end. C'est pas que j'y mets beaucoup d'attente, mais le brésil, la bière et les filles en bikini sur la plage, ça me met déjà en joie. Les gens commencent à monter, les places assises toutes occupées, je regarde, j'observe, je prends le pouls de la société. Toujours intéressant de monter dans un bus, on y croise de vrais gens, avec leurs problèmes, leurs caractères, leurs tics. le mien, c'est de sortir immédiatement un livre de ma besace. Et pour l'occasion, j'ai deux bouquins, un de
Charles Darwin le célèbre anthropologue anglais qui fit escale dans cette ville et parle d'un autre âge de l'esclavage, un de
Rubens Figueiredo, si amicalement prêté lors d'un "cercle" d'initiés dédié à la littérature sud-américaine et aux cookies. D'ailleurs t'es plus booky ou cooky...
J'essaie de sortir du centre-ville pour la banlieue, les librairies tirant leurs rideaux, les phares aveuglantes d'une file de voitures et de camions en sens inverse. le bus est maintenant bondé, mais nous n'avançons guère plus, une pluie fine et des émeutes sur la route, embouteillage assuré. La sueur dégoulinant après une journée de travail, un bébé pleure, une beauté entame une discussion sur le coût des racines de gingembre et des feuilles de menthe pour son mojito, une vieille tremblante essaie de trouver un siège et tente de faire avancer son cabas de provisions chargés aux roulettes désaccordées. Pour faire patienter ses clients, le chauffeur allume la radio. Je reconnais Eumir Deodato, le pianiste brésilien qui me parle de Zarathoustra.
A peine une quarantaine de kilomètres seulement mais une nuit intense en émotions, en Histoire. Ce parcours nocturne est ainsi l'occasion d'observer le coeur des habitants, l'âme des fazendas et des bidonvilles. Je pensais prendre le bus, j'ai pris bien plus qu'un ticket, j'ai reçu une leçon d'histoire. La musique s'arrête pour un flash d'information, la Seleçao jour ce soir au Maracanã, les supporters sont partagés entre joie et effroi, Neymar vient de se "tordre" la cheville à l'entraînement. Voilà de quoi encore alimenter la colère d'un peuple, les émeutes de cette nuit seront certainement encore plus violentes. D'ailleurs, le bus détourne son chemin, il n'ira pas jusqu'à sa destination finale, je finirai donc mon voyage à pied, le regard porté sur la lune bleue, l'espoir de retrouver le lit de Rosana et son jardin musqué.