Gustave Moreau débuta donc à l'atelier Picot vers 1848, et l'essai dont nous parlons, peint évidemment sous l'oeil sévère du professeur, nous est un spécimen du genre de travail auquel on s'y livrait. C'est bien, en effet, l'application la plus étroite et la plus routinière, la copie servile de la tradition. Sans doute, le peintre des Salomé songeait-il à cette esquisse, lorsque, commentant sa vie et son développement personnel, il répétait à ses élèves: « Songez que j'ai commencé par travailler à l'atelier Picot. » Quelque opinion que l'on ait d'un pareil début, on imagine aisément qu'il n'était pas pour plaire à cette nature enthousiaste. Mais à qui s'adresser? Car, à cet âge, l'esprit en pleine formation a besoin de maîtres sur qui s'appuyer; et Gustave Moreau, qui devait être dans l'avenir un peintre de tradition dans la plus haute et la plus large acception du terme, en éprouvait le besoin plus qu'aucun autre. C'est ici que commence pour lui la période que l'on peut bien dire romantique,
puisqu'elle se marque par l'influence d'Eugène Delacroix et. de
Théodore Chassériau.
Gustave Moreau eut l'occasion de voir Delacroix, car nous lisons dans le Journal du maître cette mention qui porte la date du 10 octobre 1856: « Convoi du pauvre Chassériau. J'y trouve Dauzats, Diaz, et le jeune Moreau, le peintre; il me plaît assez. » Il ne paraît pas que leurs relations aient eu de suite. Mais l'admiration pour le grand romantique et son influence transparaissent en quelques tableaux caractéristiques de cette première période, qui sont de la plus réelle importance. Cette influence, Gustave Moreau l'a subie, acceptée et voulue, non pas seulement dans l'exécution, mais encore dans la conception première et le choix des sujets. Il était de ceux qui ne croient pas à l'éclosion spontanée du talent, à la manifestation soudaine de la personnalité, mais qui pensent, au contraire, que l'originalité d'un artiste, à notre époque surtout, ne peut se dégager que lentement, après des transformations successives.
La destinée du peintre qui mourut voici quelques mois, en léguant à l'État la série considérable d'oeuvres où s'était complu son talent, apparaît bien comme une des plus exceptionnelles et des plus curieuses qui se puissent voir. De lui, certes, on peut dire en toute justice, et sans jouer sur les mots, qu'il fut à la fois illustre et inconnu; car son nom, qui signifiait pour les délicats l'art le plus complexe, le plus varié, le plus moderne de notre temps, n'éveillait aucun écho dans le public. Ses peintures et ses aquarelles, que les amateurs se disputaient à prix d'or, ne paraissaient plus dans les expositions depuis quelque vingt années; et cependant, parmi ceux qui s'intéressent aux choses de l'art, il n'en est pas un qui n'ait voulu visiter les oeuvres dont s'enrichissaient à mesure quelques collections particulières
En 1860, Gustave Moreau partait pour l'Italie, avec l'intention d'y demeurer plusieurs années. Sans doute éprouvait-il alors cette lassitude de la vie de Paris, bien connue des artistes, qui les pousse à chercher un milieu vivifiant, pour se replier sur eux-mêmes en interrogeant les maîtres. Le voyage d'Italie, si parfaitement inutile à tant de peintres dont les yeux et l'esprit sont invinciblement rebelles à ce magnifique enseignement,on se représente quel excitant ce dut être pour une intelligence aux besoins déjà complexes, et qui avait le sens inné des grandes et saines traditions d'art largement entendues. J'imagine qu'il dut y avoir là pour lui de ces rencontres, de ces joies spirituelles, qui pour une âme éprise de beauté passent toutes autres en séductions.
1852
Moreau est admis pour la première fois au Salon officiel une grande PIETÀ, aujourd'hui perdue. Il mène alors une vie de dandy, fréquente le théâtre et l'opéra, chante de sa voix de ténor bas dans les salons parisiens.
Ses parents achètent à son nom une maison particulière 14, rue de La Rochefoucauld et y aménagement dans les combles un atelier d'artistes : Moreau y demeureras jusqu'à sa mort.