Henry, le jeune héros de "
L'Art du jeu", magnifique roman de
Chad Harbach, a un jumeau. Il s'appelle Austin et est né de la plume de
Pete Fromm, sociétaire de la fameuse troupe des écrivains de Missoula.
Tous les deux sont des prodiges du baseball même si Austin n'a pas encore, au début du livre, traduit son formidable potentiel lors d'un match officiel.
Qu'on se rassure, il n'est nul besoin d'aimer le baseball, ni même d'en connaître les règles, parfois absconses pour un esprit européen, pour apprécier ces romans épatants. Au-delà de la vitrine que constitue ce sport éminemment Yankee, c'est le destin si particulier, parfois pathétique, toujours attachant de jeunes garçons à la recherche d'un idéal, d'une raison de vivre, d'un but dans l'existence qui nous est conté par ces deux écrivains brillants.
Mais j'ai eu l'occasion de dire tout le bien que je pensais du roman de Harbach. Parlons cette fois de son alter ego qui met en lumière les relations fortes et contrastées entre un frére et sa grande soeur, entre des parents visiblement dépassés et des enfants complices en dépit du comportement excessif de la jeune fille.
Celle-ci, Abilene, s'est mise en tête de faire de son frère, si doué depuis ses premiers lancers, une star du baseball en guise de compensation, car elle-même, lanceuse prodigieuse, a été rejetée par le club de son lycée tant il était mal vu qu'une fille puisse surpasser les garçons dans le sport-roi.
Abilene reporte donc toute sa force intérieure dans une volonté farouche de faire d'Austin l'as des as. Pour y parvenir, elle l'entraîne chaque jour depuis des années sur la piste d'un vieil aérodrome désaffecté, lui faisant lancer des balles jusqu'à épuisement à travers un vieux pneu d'avion suspendu à un poteau électrique.
C'est au moment où Austin livre un premier match formidable avec son école que Abilene part en vrille et disparaît comme happée par des fantômes venus embrouiller son esprit.
La famille est proche de l'implosion et l'appel à une psy qui diagnostique des troubles bipolaires n'apporte aucun apaisement à Austin qui se refuse à admettre ce verdict. Et qui juge ses parents responsables de l'état de sa soeur. Devant le spectacle d'une Abilene prostrée, passive, ailleurs, il veut récupérer celle d'autrefois, d'avant les médocs.
L'atmosphère devient irrespirable dans cette maison perdue au fin fond du désert texan et la famille en jachère enclenche le mode survie.
Pete Fromm livre un roman poignant qui fouille les recoins de l'âme humaine avec la précision d'un entomologiste et tente de mettre à jour les mystères des relations familiales.
Abilene, revenue de son voyage dans les confins de la folie, lance à son frère : "Il n'y a rien à reprocher à papa et maman. Ils sont juste tellement normaux. Je voulais mieux pour toi et moi." La phrase-clé de ce roman tellement juste dans la description sans pathos du mal-être d'une génération.
Pete Fromm s'inscrit, dès sa première tentative (livre publié en 2000) parmi les écrivains américains qui comptent. La suite le confirmera.