Peut-être avez-vous eu l'occasion de voir le documentaire "Sexe et amour au Maghreb" diffusé l'hiver dernier sur M6. Voici le livre. L'auteure, la journaliste Michaëlle Gagnet, sait de quoi elle parle, elle a vécu trois ans en Tunisie et a mené l'enquête. Il en résulte une série de témoignages édifiants, difficiles à croire parfois et pourtant bien vrais. Qui imaginerait à notre époque qu'on puisse se retrouver en prison pour un baiser échangé dans une voiture ? qu'à 35 ans, une femme toujours célibataire est considérée comme "périmée" ou que des voisins appellent la police pour dénoncer un couple d'amoureux ?
Chaque chapitre se construit autour d'une histoire et d'une problématique particulière : la virginité, le mariage, les mères célibataires, l'avortement...
Shirine, Edna, Kamel, Ryme, Lila, Aziz, ce ne sont pas seulement les portes de leur intimité qu'ils nous ouvrent mais celles de leur coeur et quand on referme le livre, on ne peut qu'avoir envie de leur souhaiter le meilleur pour l'avenir.
"L"amour interdit" est un excellent ouvrage, très documenté, facile à lire, qui donne aussi la parole à des professionnels de santé et à des militants engagés pour les droits des femmes et des homosexuels à qui on souhaite également de voir leur combat aboutir un jour.
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. « Notre société est un peu ambivalente : il ne faut pas avoir de relations sexuelles avant le mariage, mais pendant la nuit de noces, il faut être fort. Comment voulez-vous que deux personnes qui ne se connaissent pas, qui ne se sont jamais vues nues, qui ne se sont jamais caressées, puissent vivre une nuit de noces épanouie ? Sachant que pèse sur l’homme cette pression de la performance : il doit être fort, endurant, faire jouir sa femme, l’acte doit être parfait. Eh bien non, ça ne se passe pas comme ça, la sexualité ! » Le corps de l’autre est souvent une terra incognita. « Les jeunes ont dans la tête des références de films pornographiques ; pour eux, c’est ça la sexualité : de la performance brute, sans souci du désir de l’autre ni de son plaisir. "
Lesbiennes et homosexuels se terrent, victimes d’une homophobie partagée par une grande partie de la société, de toutes tendances, islamistes comme modernistes, jeunes, vieux, voilés ou non, bourgeois ou nom. Dans ces trois pays du Maghreb, ils risquent trois années de prison pour « homosexualité masculine et féminine ». Victimes d’injures et d’agressions presque quotidiennes, ils rasent les murs, perçus comme « des sous-hommes » qui portent atteinte à la virilité. Ou à l’image que certains s’en font.
Dans certaines régions subsiste encore la coutume du drap. La mère et la belle-mère doivent voir le sang de la défloration. Alors, dans son cabinet, le docteur Hamdi écoute patiemment, sans jugement : les accidents juste avant le mariage, les relations plus anciennes… La plupart du temps, les futurs maris ne sont pas au courant. Certains viennent consulter en couple et lorsque le gynécologue s’aperçoit que la jeune fille n’est plus vierge, il ne dit rien au futur époux soupçonneux. Puis il s’arrange pour convoquer la femme seule, une autre fois. Quand le fiancé insiste, demande si « tout va bien », il explique encore que la jeune fille doit revenir, que ce premier examen ne montre rien. Jamais il ne dévoile la vérité, pas plus qu’il ne cherche à convaincre ses patients de l’absurdité de cette tradition. Il dit ne pas mentir, « seulement par omission ».
L’opération est sans risque et simple pour ce spécialiste rompu à l’exercice. L’hymen est recréé avec les tissus restants, le chirurgien utilise les séquelles de la peau déchirée. Si les « restes » sont insuffisants, il effectue un prélèvement sur les muqueuses environnantes pour reconstituer une membrane solide. Il suture ensuite avec un fil résorbable qui disparaît après dix à quinze jours. La cicatrice est invisible. La duperie est impossible à déceler. L’hyménoplastie réussit à chaque fois. Il y a aussi une autre opération pour « les situations d’urgence » : l’hyménorraphie qui reconstitue l’hymen seulement de manière provisoire. Elle doit avoir lieu au plus tôt sept à dix jours avant le mariage. Cette réparation temporaire de l’hymen qui ne dure pas permet de simuler la virginité et de saigner le jour des noces.
Mais le mariage peut aussi être source de grandes déconvenues. Le corps de l’autre est pour certains une « terra incognita » et le plaisir féminin méconnu. En Tunisie, où la sexologie est une spécialité toute récente (2014), les cabinets des spécialistes voient passer de jeunes couples, fraîchement mariés et désespérés par leur nuit de noce. Ils consultent pour une panne, l’absence de plaisir, un blocage. L’éducation sexuelle est quasi inexistante. En parler est parfois considéré comme une façon de « pousser au vice », d’où ce cercle infernal du non-dit et de l’ignorance. Une omerta qui tait de nombreux abus.
Vidéo de Michaëlle Gagnet