Il est trop tard aujourd'hui pour vous envoyer dare-dare au Musée de Maison rouge, près de la Bastille.. les deux magnifiques expos qui s'y tiennent s'achèvent, et bientôt c'est le musée lui-même qui fermera ses portes, en octobre 2018.
Restent, comme toujours, les livres...
Ce catalogue est à l'image de l'expo: très visuel, peu de texte car la petite cohorte silencieuse de ces poupées noires africaines-américaines se dresse entre ses pages comme dans la scénographie étonnante de l'expo: côte à côte, sur leurs petits socles, dans la pénombre éclairée, elles nous adressent nombre de questions, d'interpellations, d'émotions du plus profond de leur mystérieuse présence..
Ont-elles remplacé, auprès des petites filles blanches qu'elles étaient chargées d' élever, tous ces bébés noirs que leurs mères, esclaves, mettaient au monde pour les voir le plus souvent vendus sur les marchés du Sud esclavagiste?
Ont-elles représenté, dans les bras des petits enfants noirs, la maman, le papa, le frère, la soeur qu'on leur avait arrachés?
Ont-elles été, pour les enfants des planteurs blancs, eux qui allaient devenir des maîtres et des prédateurs à leur tour- un message muet, un appel à la pitié, un rappel de la tendresse que leur avaient prodiguée ces femmes noires qui les avaient élevés?
Certaines poupées sont presque des portraits: grandes jupes à carreaux, étoffe grossière, larmes cousues au petit point sur des visages désolés ..toute la souffrance et la misère dans une poupée de chiffon...
D'autres sont comme des projections d'une classe et d'une race sur l'autre: grande bourgeoise noire avec collet montant et robe corsetée, black mister très élégant en costume à gilet...des rêves de notabilité, de confort, à la façon des patrons blancs?
Des photographies de l'époque -archives "blanches" le plus souvent - nous montrent des enfants blancs, parfois dans les bras de leur nounou noire, serrant contre leur coeur un poupon noir...et des petites filles noires , tout endimanchées pour la photo, exhibant fièrement une blonde aux yeux bleus, en celluloid ou en porcelaine!
Des poupées "topsy-turvies" noires d'un côté , blanches de l'autre, selon la partie du corps que l'on choisit de cacher sous le vêtement en le retournant, ajoutent à notre perplexité .. Une des hypothèses est qu'elles auraient pu être conçues pour expliquer le métissage aux enfants nés d'union mixtes ou, pire - et plus fréquemment- du viol.
"Avec qui jouons-nous lorsque nous jouons, vivons avec une poupée d'une autre race?' se demandait la critique et journaliste Margo Jefferson.
Les poupées, les photos et le très beau film " Like dolls I'll rise", réalisé par Nora Philippe et présenté au sous-sol de cette exposition, ne donnent aucune réponse.
Rien que des hypothèses.
Troublantes...
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Deborah Neff : ..quand on replie le visage noir par-dessus la tête, on découvre les yeux vides de la tête blanche. C'est surprenant, on reste un moment sous le choc. D'ailleurs le visage est délibérément cousu pour pouvoir être replié ; il ne s'agit pas ici d'un fil qui se serait décousu ou quelque chose de ce genre. Il doit avoir été conçu pour servir de masque -et le masque, aux États-Unis est fortement associé au Ku Klux Klan. Je ne sais qu'en penser , si ce n'est que j'y vois une poupée noire exprimant une certaine menace blanche. Je n'ai jamais rien trouvé qui ressemble à cette poupée. Différents experts que j'ai consultés non plus.
(Ces poupées noires) sont silencieuses, au sens propre comme au sens figuré; elles refusent de répondre aux questions concernant leur provenance, l'identité raciale ou les intentions de leurs créateurs et de leurs utilisateurs. Les poupées de cette exposition sont complexes, mystérieuses, évocatrices, provocantes, belles. Elles ne sont jamais simples.
Nous savons qu'avant la guerre de Sécession, par exemple, les poupées noires étaient vendues à des foires anti-esclavagistes pour récolter des fonds en faveur d'activités abolitionnistes. Lors d'une de ces foires, qui s'est tenue à Salem dans le Massachusetts en 1841, on a vendu des poupées fabriquées par des enfants africains-américains affranchis, et la chose était assez inhabituelle pour être notée.
Le mur, œuvres de la collection Antoine de Galbert.