» Cet ouvrage ne porte pas sur les personnalités qui ont dominé l'Islam (comme je l'ai cru d'abord) mais sur les mentalités . Il st écrit par un spécialiste reconnu de ces questions. Il s'articule en quatre parties : « Vers un idéal historique concret », « A l'âge classique :la diversité des catégories sociales » , « Un Islam ou des Islam(s) ? », « les mentalités musulmanes aux âges modernes et contemporains » . Bien qu'un peu ancien (1977) il reste une bonne approche d'une problématique capitale à notre époque (à compléter par des ouvrages plus récents , Burgat,Kepel …)
Commenter  J’apprécie         10
Quel que fût l’attrait des « sciences étrangères », nous ne devons pas oublier que tout étudiant avait été, dans son enfance, élève des kuttâb(s), écoles primaires si l’on veut, qui apprenaient à réciter le Coran par cœur, en y joignant les rudiments de la lecture et de l’écriture arabes. Les enfants du peuple, même s’ils ne devaient pas poursuivre leurs études, fréquentaient ces « écoles coraniques ». Ceux qui deviendront des humanistes à l’esprit quelque peu frondeur avaient ainsi, dans leur prime jeunesse, inlassablement répété et psalmodié le texte du Livre. On ne saurait trop insister sur l’impact de cette rumination du texte, agissant sur tout l’être, et jusqu’aux zones du subconscient. « Mâchez et remâchez le Coran », est-il dit volontiers. Et cela reste vrai pour le peuple comme pour les lettrés, au long des siècles et jusqu’à nos jours.
Au surplus, l’enseignement, même supérieur, faisait largement appel à l’effort de mémorisation. Une très précise transmission orale du savoir gardait la précellence ; elle était soutenue et comme garantie par la lecture de textes écrits connus par cœur. Il s’agissait d’entendre, de noter en leur mot à mot, de lire et d’assimiler en s’en pénétrant les commentaires du maître. Cette méthode, très voisine de celle des Universités du Moyen Age latin, pouvait conduire, bien sûr, à un savoir de surface, non intériorisé ni discuté, et où l’extension des connaissances l’emportait sur leur compréhension. La psychologie moderne juge aisément avec mépris de tels procédés. Mais peut-être, ce faisant, néglige-t-elle quelque peu le rôle formateur de la mémoire. La culture musulmane classique fut à la fois écrite et orale, et bien des esprits réfléchis surent approfondir les données de base mémorisées. Il en résultait un respect de la parole et de l’écrit, non exclusif d’un appel à la réflexion, qui sut former des chercheurs de haute valeur scientifique. Nous avons ainsi d’une part des types d’hommes à l’esprit encombre d’affirmations massives et non contrôlées ; d’autre part, des types d’hommes chez qui les connaissances mémorisées furent le point de départ de jugements personnels et d’œuvres originales. L’étudiant en tout cas apprenait de son maître que le savoir acquis par pure tradition passivement reçue (taqlîd) est sans valeur, et que seule la connaissance ou science (‘ilm) « prouvée » doit être prise en considération. (pp. 147-148)
Quels que soient en effet ses conditionnements de lieu ou de temps, quelles que soient ses difficultés d’adaptation concrètes, un musulman se sentira toujours « chez lui » en tout pays d’Islam où il se trouve. Cette réalité-là fut pendant longtemps juridiquement authentifiée en quelque sorte par une règle du droit (fiqh) : aux yeux des autorités locales, un voyageur musulman n’est jamais « étranger », si lointain que puisse être sa terre d’origine. Les conditions de la vie moderne ne sont pas, il est vrai, sans battre en brèche cette donnée de la juridiction classique. Les Réformistes contemporains le constatent, non sans nostalgie du passé : « Le Turc, jadis, écrivait Rashîd Ridâ (mort en 1935), lorsqu’on lui demandait sa nationalité, répondait : ‘’Je suis musulman, grâce à Dieu.’’ C’est par là qu’il se distinguait du Grec et de l’Arménien. Il répond aujourd’hui qu’il est Turc. »
Mais l’évolution du droit international répond-elle pleinement à la réalité vécue au fond des cœurs ? On nous permettra de citer un simple fait, parmi bien d’autres. Un étudiant en pharmacie pâkistânais, poursuivant des études en France, – un pays qu’il reconnaissait aimer, et dont les conditions de vie lui plaisaient, – dut aller faire un stage de botanique au Maroc. Au retour, il avoua à ses amis français son étonnement et sa joie de s’être retrouvé « chez lui » en terre maghrébine. Ni l’ethnie, ni la langue, ni le destin historique du peuple dont il venait d’être l’hôte, n’étaient les siens. Mais un comportement existentiel à l’égard du monde, des hommes et de Dieu répondait à sa propre vision des choses, et relativisait singulièrement les différences de base. (pp. 18-19)
En dépit de certaines affirmations, qui sont rares, un total agnosticisme,et encore plus un total athéisme, n'apparaît guère.