Pour des raisons totalement obscures, je m'imaginais
Romain Gary écrivant à la manière de
Proust. Je le voyais comme un grand auteur classique au style bien tordu et aux idées nébuleuses. Pas très engageant donc. le fait d'en avoir entendu parler encore et encore en cours, le fait de le voir partout en librairie pour la commémoration du centenaire de sa naissance ont eu raison de moi. J'ai fait fi de mes préjugés pendant quelques secondes au détour d'un rayon de librairie et j'ai commencé à parcourir les premières pages de
la vie devant soi. Encore une fois, j'avais des a priori sortis d'on ne sait où concernant ce roman. Je pensais qu'il s'agissait d'une autobiographie à la 3ème personne à la manière d'A la recherche du temps perdu. En gros, j'avais tout faux. En gros, j'ai failli passer à côté d'un des meilleurs auteurs qu'il m'ait jamais été donné de lire!
Il n'a pas fallu plus du premier paragraphe de
la vie devant soi pour me convaincre d'aller plus loin. Momo (Mohammed, c'est trop long) est un petit garçon de 10 ans vivant dans un quartier misérable de Paris, élevé par la vieille madame Rosa en mauvaise santé qui récupère les enfants de putes en attendant qu'elles puissent trouver une autre solution. Mais contrairement à ses petits camarades, Momo n'a pas de mère qui va revenir le chercher. Tout simplement parce qu'il n'a pas de parents du tout. Il se fait donc "adopter" par Madame Rosa, une juive avec de vrais faux papiers. Pendant 273 pages, il nous raconte son enfance: ses bêtises et sa relation avec la vieille dame.
Ce roman aborde en profondeur à travers les yeux d'un enfant non éduqué par les règles édictées par le gouvernement des thèmes aussi variés que la religion, les sans-papiers, la quête d'identité, la maternité, la prostitution, la misère, l'amitié, la vieillesse, le sens de la vie, l'abandon, etc. C'est à la fois une plongée romanesque dans une autre catégorie sociale un autre monde et une mine inépuisable d'informations sur ce milieu. Beaucoup de lecteurs ont qualifié l'intrigue de "basique", je ne suis pas d'accord. Je situerais ce roman entre le roman d'apprentissage et l'essai, mélange quand même pas facile à obtenir surtout pour un résultat de cette qualité.
D'autant plus que l'histoire nous est racontée par la bouche de Momo. le style très oral n'a pas dû être une mince affaire à travailler. Il est parfois difficile de le suivre étant donné que le petit gars utilise des expressions bien à lui, qu'il a entendu dans la bouche d'adultes et qu'il répète avec un sens différent (mention spéciale aux putes qui "se défendent"). Cette façon très particulière de raconter donne toute sa force au roman. Elle lui fait raconter une histoire qui passe pour vraie, authentique au point d'en en oublier son caractère fictionnel. Sans les expressions de Momo,
La vie devant soi n'aurait rien été d'autre qu'une énième histoire de misère humaine. Ici, c'est la vision naïve mais pas pour autant innocent qui s'exprime. C'est impressionnant!
Ce roman est plein d'anecdotes autour de sa publication:
>
Romain Gary a publié ce roman sous le pseudonyme d'Emile Ajar. Il ne dévoila sa véritable identité qu'à sa mort. A cette période de sa vie, il était un auteur assez controversé dans la presse. Il aspirait ainsi à retrouver une certaine liberté d'écriture. Un critique du magazine Lire n'hésita pas dans un article à vilipender l'oeuvre de Gary, avant de conclure « Ajar, c'est quand même un autre talent. » Comme on dit maintenant : MDR !
> Ce roman reçut le prix Goncourt en 1975. Ce prix ne peut normalement être décerné qu'une unique fois par auteur. Or Gary l'avait déjà reçu en 1956 pour
Les racines du ciel. S'il voulut dans un premier temps le refuser, il lui fut tout de même remis puisque le prix récompense davantage l'oeuvre que son auteur. Et c'était tellement mérité !
En conclusion, j'ajoute
Romain Gary à ma liste d'auteurs dont je veux lire toute la bibliographie (même si c'est impossible vu le nombre de livres qu'il a écrit tous pseudos confondus). J'ai adoré, cette lecture a été la plus belle découverte de cette année !
Lien :
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