« Personne à Naples ne peut se targuer de faire les cafés mieux que moi. Je tiens cela de mon père. Pas le premier, l'autre : Garibaldo Scalfaro. Lui-même le tenait de son oncle. Je sais faire les cafés pour chaque désir, chaque humeur. Violent comme une gifle pour se réveiller le matin. Enrobé et serein pour faire passer un mal de crâne. Onctueux pour appeler à soi la volupté. Robuste et tenace pour ne plus dormir. le café pour attendre. le café pour se mettre hors de soi. »
Mais qui est Filippo Scalfaro de Nittis qui guette sa proie, Toto Cullaccio.
« Je lâche le plateau, le café, le verre d'eau, tout se répand à mes pieds dans un fracas de vaisselle et je lui plante mon couteau dans le ventre. » « Il buttera sans cesse sur cette étrangeté qu'il ne pourra comprendre : je m'appelle Pippo de Nittis et je suis mort en 1980. »
Le point de départ est juin 1980, par une chaude journée, dans une rue de Naples un père excédé, essoufflé, énervé traîne son fils Toto, 6 ans, par le poignet, pour ne pas arriver en retard à l'école.
Dans ce moment père-fils qui aurait dû sceller leur complicité il n'y a que pleurs et injonction. En une fraction de seconde, tout bascule, c'est la fusillade, l'enfant s'écroule, terrassé. le père ne veut pas comprendre, il ne voit la mort de son fils qu'à l'arrivée à l'hôpital dans les yeux de sa femme.
Une fraction de seconde, comme une étincelle, leur vie est fichue.
Giuliana veut que Mattéo lui ramène leur fils ou qu'il tue l'assassin.
Quel drame plus profond, plus incompréhensible que la mort d'un enfant ?
C'est ce drame qu'écrit
Laurent Gaudé avec une écriture simple pour mieux ancrer le lecteur dans le quotidien de ces parents en souffrance. Cette simplicité ne fait que renforcer la prégnance de l'émotion.
« Ils ne pouvaient plus rien l'un pour l'autre, que s'écorcher de leur présence commune, de leurs souvenirs douloureux et de leurs pleurs secrets. »
En un va et vient entre deux époques, l'auteur nous mène par le bout du nez, entre ombre et lumière, dans cette danse folle entre le père et le fils « revenu ».
Le périple qui mène Mattéo et le curé Mazerotti est d'un réalisme qui entraîne le lecteur qui ne se posera pas la question de savoir pourquoi un enfant de 6 ans, une petite victime de la folie des hommes, se trouve en Enfer et non pas au Paradis.
« C'était la porte que l'on n'ouvre pas, celle du monde d'En-Bas où ne vont que les morts. »
Par cette écriture unique qui caractérise
Laurent Gaudé, cette faculté qu'il a d'écrire des livres sublimes sans jamais se répéter, toujours à nous éblouir de ses histoires uniques. Cette fois encore son sens de la dramaturgie nous fait vivre cette histoire sans jamais alourdir sa narration de son érudition.
L'alternance avec laquelle il joue de manière magnifiquement maîtrisée, renforce nos visions les plus cauchemardesques de la souffrance ultime.
L'importance de nos morts, ce qu'ils disent de nous, car nos vies ne se font pas avec des « si j'avais su » …
Dans cette histoire il n'y a pas que Naples qui tremble, nous aussi.
En refermant ce livre, bizarrement une force est en nous, sûrement celle des êtres aimés qui nous habitent.
©Chantal Lafon
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