C’était un thème classique de seize mesures, composé de quatre articulations musicales bien carrées, avec juste une petite subtilité rythmique vers la dixième mesure. Jouant et rejouant sans hâte la mélodie, Andréa s’imprégnait de sa pulsation. Il comprenait de mieux en mieux le passage à la troisième phrase qui, de toute évidence, constituait la clé de voûte du morceau. Et comme chaque fois qu’il commençait à se sentir à l’aise avec un air, son timbre prit du grain pour se faire plus expressif. Avec l’émotion dégagée par la nouvelle ampleur du son, les idées musicales se formèrent toutes seules dans sa tête avant de se bousculer pour gagner ses doigts. Le thème initial s’en trouva métamorphosé, doublant de tempo à certains endroits ou, au contraire, se brisant à d’autres en une myriade de notes colorées.
C’était à cause de tels instants qu’Andréa aurait voulu pouvoir remercier quelqu’un – Il existait forcément, sa musique en était la preuve ! – d’avoir fait de lui un musicien.
Comme je vous l’ai dit, c’est mon anniversaire, mais aujourd’hui c’est moi qui vais lui faire un cadeau : ma première fois. Alors j’ai peur. Il paraît que c’est toujours intimidant la première fois, surtout pour les filles. Et moi, en plus, je ne suis pas n’importe quelle fille. Je suis... différente. J’ai un peu honte de mon corps qui n’est pas parfait, qui n’est pas conforme à l’idéal féminin. Je suis à la fois incomplète et de trop. Pas vraiment finie. Lucas m’a dit qu’il m’aimait et que cela ne changeait rien pour lui. Mais je crains que lorsqu’il me verra nue, il ne change d’avis. Je ne le supporterais pas. Son rejet m’anéantirait. Je crois que je ne m’en remettrais pas. J’ai tellement besoin de son amour pour continuer à exister.
Je me décide à sortir enfin de mon armoire, mon cœur bat la chamade, j’ai peur, mais je dois le faire. Je serai probablement mieux mort que traînant ma carcasse triste dans ce monde qui s’acharne contre moi. J’entends la voix de ma mère, elle provient de la cuisine, elle discute avec mon oncle, sans avoir la moindre idée de ce qui se trame.
J’ouvre la fenêtre, le vent frais de ce mois de novembre me caresse les joues. Je monte sur le rebord, sous mes pieds la banlieue est calme. Sept étages plus bas, l’asphalte froid et morbide. J’ai le vertige, je me cramponne au cadre de ma main gauche, l’autre fouille dans la poche de mon jean. Je sors mon portable, reprends mon souffle, puis lance mon dernier appel.
Il se trouvait presque gracieux en se contemplant. Il n’avait pas le physique d’un jeune premier : il était un peu gros, les excellents plats de sa mère et le manque de sport y étaient pour beaucoup, mais heureusement il était grand, ce qui adoucissait sa silhouette. Ses cheveux noirs étaient toujours décoiffés et il se rendit compte qu’il aurait eu besoin d’une bonne coupe. Ses yeux étaient beaux : verts comme ceux de son père. Il fixa Lucien quand ce dernier vint se placer près de lui et se dit qu’ils formeraient un joli couple s’ils étaient ensemble. Lucien plus petit, plus fin, irait parfaitement bien à son bras, dans ses bras, dans son lit.
Mais j’en avais envie, terriblement envie de le rencontrer après avoir passé plus d’un an à discuter avec lui de tout et n’importe quoi. Du matin jusqu’à tard dans la nuit.
Il fait partie de mon quotidien, aussi fou que ce soit. Mes parents ne comprennent pas trop comment on peut s’attacher à quelqu’un qu’on n’a jamais rencontré, pourtant, c’est un fait. Je connais Scott, et il me connaît. Derrière un écran, la timidité disparaît. On ose beaucoup plus, on parle beaucoup plus, on se confie plus facilement aussi. Le fait de ne pas voir l’autre, de ne pas assister à ses réactions en direct est d’une certaine façon rassurante.
Journaliste et auteur rouennais, Sébastien Monod présente son livre "Dahovision(s)". En étudiant les chansons, mais aussi les pochettes de disques, les clips, les concerts, les interviews, Sébastien Monod fait ressortir les principales influences musicales, littéraires, artistiques et cinématographiques d'une des icônes de la pop française.