L'avènement des techniques de génétique moléculaire a permis à des équipes de chercheurs, dans de nombreux laboratoires, d'isoler et de caractériser les gènes, et d'étudier les mutations génétiques. La drosophile (Drosophila melanogaster), cette petite « mouche du vinaigre », est le sujet d'étude approprié pour ces recherches. En déplaçant un gène (donc une partie de son ADN), à un autre endroit, cette pauvre petite mouche peut se retrouver avec une patte à la place d'une antenne, sans ailes, ou... avec une nouvelle couleur pour ses yeux rouges.
W.J.Gehring rassemble dans ce livre toutes les connaissances acquises dans le domaine de l'embryologie, c'est-à-dire de la façon dont se développe un organisme vivant. (Il inclut ainsi ses travaux à ceux d'Edward Lewis, Christiane Nüsslein-Volhard et Eric Wieschaus, qui obtinrent le prix Nobel de physiologie/médecine en 1995).
Il nous amène dès lors dans un voyage au coeur des mécanismes du vivant, en décrivant pas à pas les découvertes des différentes équipes qui travaillent sur le sujet.
Les gènes « architectes », qui déterminent le plan d'organisation du corps lors de l'embryogenèse, remontent très loin dans le temps de notre histoire évolutive. Particulièrement « stables » (c'est-à-dire qu'ils subissent peu de mutations – auquel cas, on aboutit à un « monstre » ou à un individu non viable), ils n'ont pas changé depuis des centaines de millions d'années. Ainsi, le gène eyeless qui « commande » par exemple la formation d'un oeil, est identique chez une chouette, un calmar ou un homme.
J'ai plus particulièrement apprécié dans ce livre ce qui touche à l'histoire évolutive du vivant, car il est fascinant de voir que nous avons, dans l'ADN de chacune de nos cellules, tant de gènes en commun avec des espèces animales qui nous sont si éloignées dans l'histoire de l'évolution. L'autre aspect intéressant est relatif aux mécanismes d'expression des gènes : l'ADN seul ne suffit pas, le noyau de la cellule non plus, de nombreuses protéines se trouvant dans le cytoplasme sont déterminantes, et la mère elle-même transmet des messages à l'embryon dans les premières phases de son développement.
Sur un plan plus philosophique, ces découvertes en biologie m'amènent à des réflexions plus générales, notamment que le vivant est vraiment le fruit d'un « bricolage » hasardeux, mais tenace, bien plus qu'un plan figé, établi par un ingénieur rigoureux et omnipotent, et qu'il n'est nul besoin d'en appeler à un « être supérieur » et « créateur » pour expliquer la vie.
(je m'explique : le bricolage hasardeux, ce sont les mutations génétiques aléatoires, et le bricolage tenace, c'est la sélection naturelle... les deux piliers avec lesquels Darwin à substituer à l'explication divine... une explication scientifique).
Comme le dit
Jean Chaline, « l'embryologie est la passerelle entre la génétique et la paléontologie ». Ce livre marque donc un point d'étape très important dans l'éclairage que la génétique a apporté à la théorie de l'évolution, il est relativement abordable au plan conceptuel, il plaira ainsi à tous ceux et toutes celles qui sont curieux de découvrir la façon dont se développent les embryons de tout être vivant.