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Citations sur Hors champ (28)

Le sommeil, la belle affaire ! Sa défaillance n'est rien en comparaison de celle de la sexualité une fois franchie la cinquantaine. Non seulement on tarde à entrer en érection, mais une fois parvenue à l'état idoine, on peine à s'y maintenir. Ah, fini le beau temps des six coups par nuit ou des délices prolongées ! Il faut revoir ses prouesses à la baisse, c'est humiliant, et désolant.
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Il appuie sur la sonnette de tout son poids. Aucun son. Il frappe à coups redoublés contre la porte, en vain. Il n'a plus d'emprises sur les choses. Si encore, dans son malheur, il avait acquis la fluidité d'un passe muraille; il n'en est rien, son corps, bien qu'invisible, reste une masse. Il crie, il hurle son nom. ses tempes lui cuisent, mais sa voix reste inaudible à tout autre que lui. A nouveau, il s'inspecte, se palpe. Il se pince jusqu'à se faire mal. son corps est d'une sensiblilité accrue. "Non, se dit-il, je vais me réveiller..ou bien, ce sont les autres peut-être qui ont perdu le contact avec le réel? Qui donc s'est altéré à son insu, eux ou moi?
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Aurélien regarde la femme arpenter le trottoir ; elle marche au ralenti. Il se peut aussi qu'elle dorme en marchant, juchée sur ses talons lunaires qui rehaussent la minceur et la clarté ambrée de ses jambes. Celles-ci sont très joliment galbées, de même que les cuisses, elles ne peuvent qu'attirer le regard ; de vrais hameçons. Mais la plupart des clients qui y mordent et embarquent la belle-de-nuit si bien jambée ne doivent même plus avoir l'idée, une fois qu'ils l'ont à leur disposition, d'admirer ces membres sveltes, d'en caresser la peau soyeuse. Ils n'ont pas de temps à perdre, ils louent un instrument de jouissance dont l'utilisation est minutée.
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Il n'y a plus de place, plus de force dans ce corps ravagé pour accueillir de nouvelles perceptions, pour supporter la moindre émotion : l'homme a mué en un animal improbable, en un loup-épouvantail en rupture de meute, de gîte, de faim, de temps. Sa puanteur tient les autres à distance, ses yeux en éclats de silex assignent le monde à l'indifférence, à glaciation perpétuelle ; l'assignent à haine, à rien.
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Sa curiosité est retombée, il parcourt à présent distraitement le site qu’il visitait, pressé même dans sortir et de se remettre au travail. Soudain il s’arrête, la main en suspend. Un paysage vient de happer son attention. Il s’agit du Château de Blonay, panneau peint par Courbet pour servir de cache à sa sulfureuse Origine du monde. Un ciel d’hiver, vaste, gris blême, la masse obscure du château dressée sur une colline noire, et au premier plan, des arbres nus sur fond de neige. Il contemple longuement le tableau, s’imprègne de ses tons froids, de son austérité, de son silence. L’ordinateur finit par se mettre en veille, l’image disparaît de l’écran qui se laque de noir où tournoient des spirales mauves et bleu électrique, Aurélien ne bouge pas, il ferme les yeux. C’est en lui qu’il ranime l’image, et peu à peu celle-ci se transforme, elle s’étend, l’horizon recule, tirant une ligne bleuâtre entre le ciel blafard et la terre enneigée.

Il a trois ou quatre ans, il glisse le long d’une pente, blotti contre sa mère sur une luge. Des arbres défilent à vive allure, leurs branches sont griffues et leurs silhouettes maigres, on dirait des squelettes de sorcières calcinées. Il pousse des cris – de joie, d’excitation, de peur, d’émerveillement. C’est la première fois qu’il voit la neige, la touche, la sent. Ses cris se cassent aussitôt dans l’air glacé, comme des stalactites, il a l’impression que sa voix se détache de son corps et qu’elle part rebondir au lointain. La clarté du jours est étrange, elle poudroie, soyeuse et cendrée, il n’en n’a jamais vu de semblable. C’est une clarté d’aube du monde, ou de sa fin, à moins qu’il ne soit entré par effraction, par enchantement dans un autre monde ? Toute cette beauté insolite l’éblouit et l’inquiète, c’est comme s’il assistait à sa propre naissance. Mais laquelle ? Est-il en train de naître ou en voie de mourir ? Et derrière lui, l’enserrant, est-ce bien sa mère, toujours, ou une autre personne… un de ces arbres-sorcières, peut-être, ou la cruelle Reine des neiges ? Il n’ose pas se retourner. Le vent siffle, lèche sa face d’une langue râpeuse. Est-ce la langue d’un loup immense et invisible ? Il rit, d’un rire aigu ou perce la panique. Sa mère resserre son étreinte et lui chantonne à l’oreille sa ritournelle, dont les drôles de mots sonnent si joliment : « Biedroneczko lec do nieba, przynies mi kawalek chleba. » Son rire s’apaise aussitôt et tinte avec gaieté ; seule sa mère sait chanter cela, dérouler cette phrase ainsi qu’un filet d’eau fraîche versé d’une cruche avec vivacité.
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Le lecteur, si vraiment il s'engage dans sa lecture, devient un personnage lié au roman qu'il lit puisqu'il entre à son tour dans l'histoire et refait, à sa façon, tout le parcours du texte. Mais ce personnage échappe totalement au pouvoir, à la volonté, à l'imagination de l'auteur du livre dont il n'est pas une "création", mais un invité. Un drôle d'invité, anonyme, venu on ne sait d'où, qui arrive à l'improviste et sort quand ça lui chante de l'espace du livre, sans souci de ponctualité, de la moindre convenance, qui s'y attarde ou le traverse à toute allure, riant, bâillant d'ennui, râlant, applaudissant ou se moquant, selon son humeur, sa sensibilité, ses intérêts.
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Les grands romans grouillent ainsi d'hôtes anonymes qui fouillent dans les coins, dérobent par-ci par-là une poignée de mots, une ou deux idées, quelques images qu'ils utilisent ensuite dans leur vie.
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Il est un ectoplasme tout à fait vivant, pensant, souffrant, une esquisse très singulière de matière insubstantielle; une buée d'homme, néanmoins toujours soumis aux lois de la nature, dans un dysfonctionnement croissant.
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Au fond, les mécréants qui bravent l'absurdité de ce monde et défient l'ennui en grands jouisseurs, vaille que vaille et par tous les moyens, sont des héros, des héros tragiques, les seuls que j'admire.
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Il murmure tout bas "Biedroneczko lec do nieba, przynies mi kawalek chleba..." Ces mots prennent un goût de larmes dans sa gorge. Il se retire sans bruit. Le chien ne s'est pas réveillé.
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