Intrigué par la polémique autour du choix d'un extrait de
Jours de Colère, pour le proposer à la sagacité des prétendants au bac de français 2022, j'ai décidé de lire ce roman, ignorant jusqu'alors l'existence de
Sylvie Germain, l'auteure qui a fait les frais d'une décision qui ne lui appartient pas.
Et là, BINGO.
Jours de Colère est un conte lyrique et moral stupéfiant, reposant sur une ode à la nature et à ceux qui l'habitent ; «De loin en loin se serait levé le chant bref d'un bruant, le sifflement d'une grèbe ou la mélodie d'un loriot, et tout comme chaque arbre aurait été doublé d'un éternel reflet chaque chant d'oiseau aurait été accompagné de son écho , et dans l'eau chaque poisson aurait mangé en compagnie de son ombre».
Une nature de «forêts sur les hauteurs d'un socle de granit», dans le Morvan profond dans la région de Clamecy, où vivent les bourgeois exploitant les forêts alentours et des paysans vivant «davantage dans les forêts que dans leurs hameaux, où certains campaient au bord des rivières lorsqu'ils accompagnaient le flottage à bûches perdues»
Dans ce décor de «granit hérissé de forêts sombres, percé de sources et d'étangs, clairsemé de chaos et de prés cloisonnés de haies vives et de hameaux tapis dans les ronces et les orties.», s'affrontent les humains vivant de l'exploitation du bois.
«Tous les hommes étaient bucherons, bouviers et flotteurs à la saison du lancement des bûches (...) les femmes et les enfants participaient aux travaux d'ébauchage, d'écorçage, de ramassage de petit bois et de fabrication de fagots d'allumage.»
Ambroise Mauperthuis, flotteur de bois devenu propriétaire des «forêts de Saulches, de Jalles et de Failly» ; dont il a dépouillé son ancien employeur Vincent-Corvol par une basse manoeuvre qu'il tait mais que la rumeur rend plus mesquine, plus sale et plus machiavélique...
Ambroise a déshérité son fils Éphraïm après que ce dernier ait annoncé sa volonté d'épouser Reine La Grasse fille d'Edmée et de Jousé Verselay des paysans travaillant pour Ambroise et vivant à la Ferme-Du-Bout .
Neuf enfants naîtront de l'union d'Éphraïm et Reine.
Servi par une écriture flamboyante qui étourdit le lecteur d'images, de symboles, de sentiments, le récit relate le combat du bien contre le mal sous toute ses formes.
De la religion du dogme contre la religion de l'amour sans limites du prochain.
De l'amour des arbres contre l'amour du gain.
De l'amour contre la haine.
De la recherche de la vérité contre le mensonge.
Pas étonnant qu'une partie de nos chères têtes blondes nourries de réseaux sociaux, de télé réalité et autres procédés technologiques plus nocifs au raisonnement les uns que les autres ait pété un câble en lisant :
«Ils étaient hommes des forêts. Et les forêts les avaient faits à leur image. À leur puissance, leur solitude, leur dureté. Dureté puisée dans celle de leur sol commun, ce socle de granit d'un rose tendre vieux de millions de siècles, bruissant de sources, troué d'étangs, partout saillant d'entre les herbes, les fougères et les ronces. Un même chant les habitait, hommes et arbres. Un chant depuis toujours confronté au silence, à la roche. Un chant sans mélodie. Un chant brutal, heurté comme les saisons, — des étés écrasants de chaleur, de longs hivers pétrifiés sous la neige. Un chant fait de cris, de clameurs, de résonances et de stridences. Un chant qui scandait autant leurs joies que leurs colères.»
Admirable et je pèse mes mots !
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