Les Nourritures Terrestres /
André Gide
« Nathanaël, ne t'attache en toi qu'à ce que tu sens qui n'est nulle part ailleurs qu'en toi - même, et crée de toi, impatiemment ou patiemment, ah ! le plus irremplaçable des êtres. »
Publiées en 1897, les Nourritures Terrestres traduisent sur le mode lyrique la libération, l'évasion et même la délivrance que
Gide a connue alors convalescent pendant son premier séjour en Tunisie. Il embrasse alors la vie comme quelque chose qu'il a failli perdre. Ce recueil assez disparate au style poétique qui, à sa publication, heurta alors le goût du jour et ne connut aucun succès, est composé de huit livres où sont subtilement mêlés les versets solennels, des pages de journal, des poèmes et le récit de Ménalque.
« J'écrivais ce livre au moment où, par le mariage, je venais de fixer ma vie ; où j'aliénais volontairement une liberté que mon livre, oeuvre d'art, revendiquait aussitôt d'autant plus. Et j'étais en l'écrivant, il va sans dire, parfaitement sincère; mais sincère également dans le démenti de mon coeur. »
Au premier abord, le personnage de Ménalque ne semble jouer qu'un rôle secondaire dans l'oeuvre gidienne. Toutefois, les circonstances entourant sa création indiquent des liens étroits entre l'auteur et son personnage. de plus, Ménalque est le héraut d'un idéal qui exprime les aspirations profondes de
Gide et révèle un tournant capital dans la vie et la pensée de l'écrivain: l'émancipation de certaines inhibitions sexuelles; l'acceptation de l'homosexualité; la manifestation de l'expérience de la catharsis et d'un renouvellement de la conception esthétique. Par les valeurs et l'idéal qu'il incarne, ce héros contraste avec les personnages qui le précèdent et constitue un modèle exemplaire, mais critique, pour les personnages ultérieurs. Tout en manifestant un moment particulier de la conscience de l'écrivain, ce personnage indique l'évolution de l'auteur, l'intérêt croissant envers les rapports entre l'individu et la société, et le rôle d'émancipateur que
Gide exerce à travers son oeuvre et dans sa vie.
Gide distribue ainsi entre divers personnages la révélation qu'il destine à Nathanaël, petit pâtre imaginaire.
Cette oeuvre définit assez bien l'attitude gidienne devant la vie :
« Nathanaël, je t'enseignerai la ferveur,..une existence pathétique, plutôt que la tranquillité…Jusqu'où mon désir peut s'étendre, là j'irai…Nathanaël, je ne crois plus au péché…Nathanaël , ne distingue pas Dieu de ton bonheur !... Car , je te le dis en vérité , Nathanaël, chaque désir m'a plus enrichi que la possession toujours fausse de l'objet même de mon désir .
Et plus loin : « Famille je vous hais ! », foyers clos, portes refermées, possession jalouse du bonheur.
Gide présente cette oeuvre comme le livre d'un convalescent qui embrasse la vie comme quelque chose qu'il a failli perdre. Tout connaître et tout goûter devient un devoir. L'unique bien, c'est la vie et chaque nouveauté doit nous trouver tout entiers disponibles. Il faut savoir abandonner le bonheur acquis. Une manière d'apologie du dénuement.
Dans le livre premier,
Gide exprime que tout choix est effrayant, quand on y songe, effrayante une liberté que ne guide plus un devoir. S'adressant toujours à Nathanaël, il lui affirme qu'il faut que l'importance soit dans le regard, non dans la chose regardée.
Gide se confiant se veut hérétique entre les hérétiques, toujours attiré par les opinions écartées : « Agir sans juger si l'action est bonne ou mauvaise. Aimer sans s'inquiéter si c'est le bien ou le mal. Nathanaël , je t'enseignerai la ferveur… Ne cherche pas, dans l'avenir, à retrouver jamais le passé. Saisis de chaque instant la nouveauté irressemblable. »
Et plus loin : « Être me devenait énormément voluptueux. J'eusse voulu goûter toutes les formes de la vie; celles des poissons et des plantes. Entre toutes les joies des sens, j'enviais celles du toucher.. »
Dans cette oeuvre de jeunesse kaléidoscopique, véritable hymne panthéiste,
Gide, exalté, sensuel et lyrique, célèbre à chaque ligne la vie, la nature, le désir et « invite son lecteur à éduquer sa sensibilité vers une acuité de l'instant, du mouvement, du dénuement. Vers l'amour libéré de ses contraintes morales ou religieuses. Il prône une vie nomade et sans attaches. »
Gide veut transmettre un éveil, un élan qui, rende grâce au simple fait de respirer. »
Un récit initiatique aux nourritures assez indigestes, à lire à petite dose pour en apprécier la grande richesse.
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