L'artiste reconnu de son vivant sent déjà rôder autour de lui l'odeur fade de la mort. Car son art ne peut être définitif. Il le sait. Dans le moment même où il est acclamé, un jeune homme inconnu, mal lavé, en chandail, dans un grenier futile, prépare des voies différentes et plus lumineuses. Le public a toujours raison, avec le temps. Le public est Moloch. Et l'artiste est fatalement dévoré, brûlé par Moloch. Mort ou vivant.
L'artiste ne joue que sur deux portes de sortie: la gloire ou l'oubli. Mais ces tombeaux, pour lui, possèdent le même vide, la même sécheresse. Il sait que le public goûte surtout les morts éprouvés. Les morts célèbres. Bien étiquetés, soigneusement classés, cloués au mur, comme ces papillons épingles au tableau de l'entomologiste. Des morts de musées, avec la patine définitivement glacée du génie.
J'écris pour me rappeler. Il paraît que c'est le propre des vieillards. Je n'ai pas encore atteint ces âges. C'est [pour cela], et pour moi, que je trace ces lignes.