J'ai retrouvé avec plaisir
Benoîte Groult dans "
La Touche étoile" après l'avoir découverte dans "
Les vaisseaux du coeur" où on reconnait justement sa touche féministe. le mot fait peur (à certains) mais comme elle l'explique si bien à travers ses personnages, être féministe ce n'est pas être une folle furieuse, c'est juste défendre l'égalité, défendre ses droits et se défendre contre des aberrations. Moïra, figure mythologique grecque, qui est maître de la destinée, distribue les cartes et on se penche avec elle sur plusieurs générations de la famille d'Alice. Alice, quatre-vingt ans, qui a obtenu le droit de vote à quarante seulement et a dû avorter en secret, un délit à l'époque sévèrement puni. Alice est journaliste et en fin de carrière , victime du jeunisme, on lui refuse son ultime article sur les talons aiguilles.
"Je les avais bien crûs liquidés , moi aussi, les talons aiguilles, en vogue dix ans plus tôt et condamnés par le corps médical. J'oubliais un peu vite que les fantasmes masculins, eux, n'étaient qu'assoupis. dans cet article incendiaire, qui lui fut d'ailleurs refusé, Alice affirmait que dans l'inconscient masculin le talon aiguille représentait l'équivalent occidental des pieds des chinoises, transformés en petons attendrissants par le port de brodequins de torture entre deux et sept ans, jusqu'à déformation osseuse irréversible. a chacun sa méthode, le but restant le même: interdire aux filles le bonheur de courir, l'intégrité de leur corps, la liberté en un mot. _ L'objectif n'est pas de marcher pour une femme, quelle vulgarité, mais de faire rêver, [...] les artisans de ce type de chaussure sont des pervers sadiques. Maurice lève les yeux au ciel [...] née trop tôt dans un monde où elle n'a pu donner sa mesure. Adrien, lui, somnole vaguement [...] Il considère l'éviction de sa moitié comme une excellente nouvelle."
Moïra s'amuse aussi à jouer avec la destinée de Marion, la fille d'Alice, qui pensait être heureuse en mariage en formant un couple moderne avec Maurice. Moïra redistribue les cartes et met sur son chemin Brian, un irlandais authentique un peu poète et assez fou pour lui faire vivre une liaison passionnée et s'évader de son quotidien.
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La Touche étoile" traite aussi de la vieillesse et de la mort. Celle d'Alice, de sa soeur, des compagnons mais aussi du regard de la société vis-vis des personnes âgées et encore davantage vis-vis des femmes. Comme elle le souligne aussi p.101 "-Mais vous ne savez pas le plus beau, je crois que c'est pour ça finalement que le journal a refusé mon article. je démontrais que le talon aiguille a un avantage supplémentaire: mettre hors jeu les guenons vieillissantes! La moindre gonarthrose ou coxarthrose ou même vulgaire foulure, condamne en effet à poser bêtement le pied à plat sur le sol; résultat pas de talons aiguille pour les vieilles! Ainsi les mâmes ne risquent plus de confondre les bêtes sur le retour avec les jeunes nanas du troupeau! Je concluais en disant que la stratégie des mecs, depuis le sale coup porté par les féministes à leur ego surdimensionné, c'était de remettre les bonnes femmes en position de précarité: essai réussi. La deuxième manoeuvre consistait à cloisonner la vie des guenons en étapes, prétendues incontournables, à commencer par la ménopause que nos grands singes diplômés ont longtemps refusé de soigner. "Laissez faire la nature, chère madame, les hormones c'est dangereux ", me déclarait mon gynéco, il y a vingt ans, assis à sa table de travail, où j'apercevais un cendrier débordant, un paquet de Chesterfield, une pipe Dunhill et un coffret de cigares cubains offert par une cliente reconnaissante! "Le tabac aussi c'est dangereux, cher docteur!" lui ai-je fait remarquer avant de changer etd e me débarasser de mes bouffées de chaleur [...]" et ça ne s'arrête pas là mais je ne vais pas tout vous dévoiler. Groult nous pousse à réfléchir sur nos acquis et sur ce qui ne l'est pas encore. du chemin a été fait mais du chemin reste encore à être fait et il faut des femmes comme elle pour remettre en question nos façon de faire et de penser la société.
Elle aborde aussi la vieillesse en général, le fait que les personnes doivent cacher leurs faiblesses car c'est mal vu et mal accepté. Les moyens de transports sont aussi mal adaptés mais personne en s'en soucient. Alice prend le métro et donc les escaliers et parle de son supplice. C'est abordé avec humour. le fait aussi que le soir ce n'est plus un lieu accueillant pour eux et qu'ils finissent par ne plus sortir du tout. le respect qui a disparu et s'est même changé en hostilité. Les personnes âgées ont alors peur de sortir tard et restent chez elles même si elles aimeraient. Quelque part, ce livre m'a fait réfléchir et
Benoîte Groult soulève des problèmes de société. Un livre intéressant à lire pour la réflexion qu'il apporte.