Benoîte Groult publie cet ouvrage en 2006 alors qu'elle a 86 ans et n'a pas écrit de roman depuis 1988 ! Un retour à la fiction pour témoigner de la vieillesse, de l'âge auquel la vive confiance et la douce insouciance n'appartiennent plus, de l'âge incompris auquel la lucidité s'installe et avec elle les doutes.
Nous suivons les routes et les réflexions de plusieurs femmes dont Alice, 80 ans, et sa fille Marion. Sur leurs routes, quand elle en juge le tracé injuste, l'omnisciente Moira, « destinée » dans la mythologie grecque, vient parfois offrir de joyeuses intersections, d'heureux chemins parallèles.
Aidée par la bienveillante Moire, Alice, journaliste féministe à la retraite et « jeune » écrivaine, grand-mère consternée et soeur comblée, affronte avec panache la vieillesse. La vieillesse dans son corps, la vieillesse dans le regard des autres, des jeunes, la vieillesse dans une société en incessante et rapide mutation. Une vieillesse parfois subie, parfois assumée et revendiquée, mais toujours tournée en dérision par l'humour décapant du personnage.
Marion quant à elle, revendique un mariage moderne respectant la liberté de l'autre mais souffre pourtant parfois d'être la Beauvoir actuelle d'un
Sartre un peu trop affranchi. Moira fera d'elle l'amante passionnée d'un bel irlandais. Ce sont là deux relations amoureuses durables et parallèles qui évoluent dans le temps entre joies et incertitudes, et qui font réfléchir le lecteur sur la marche du temps au sein du couple.
S'il s'agit d'une fiction, c'est toutefois une oeuvre très personnelle que nous livre l'auteure. Les deux magnifiques personnages de femmes qu'une génération pourtant sépare portent chacune en elles une part de
Benoîte Groult. On retrouve en l'une ou l'autre l'engagement féministe, le goût de la liberté, l'attachement à la Bretagne, la passion du jardin, de la pêche, l'écriture, les avortements multiples, la difficulté d'une union « libre », l'importance de l'amour sororal, …
J'ai 28 ans, cette histoire m'a parlé et je me suis pleinement identifiée à ces femmes.
Les mots sont beaux et les images si justes et qu'elles ne peuvent que toucher le lecteur, et le faire réfléchir à sa propre vie, son propre destin. Au sein de la narration d'Alice, l'auteure écrit au début de l'ouvrage « L'âge est un secret bien gardé. Dire ce qu'est la vieillesse c'est chercher à décrire la neige à des gens qui vivent sous les Tropiques ». Benoîte réussit pourtant à faire de l'hiver une saison universelle en laissant entrevoir avec justesse et sans craintes quelques flocons de neige même aux lecteurs qui du haut de leurs quelques printemps vivent encore en été.
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