Une comédie sociale savoureuse, comme sait les trousser depuis longtemps l'auteur de
Mort d'un parfait bilingue… Tom a cinquante ans, et il se sent au milieu de sa vie, las de cette première moitié qu'il quitte, appréhendant la suite comme une mauvaise répétition avant l'irrémédiable déclin. Gérant d'une boutique de compléments alimentaires et de produits de fitness pour tous les candidats à un corps lifté à la musculature de rêve, pratiquant lui-même depuis longtemps le bodybuilding, il a conscience désormais du discours factice qu'il tient quotidiennement auprès de ses clients autant que du silence qui a envahi sa relation avec Mathilde, une épouse pour qui il n'éprouve plus de désir et avec qui il ne partage plus qu'un malaise silencieux. Cumulant ainsi tous les symptômes de la dépression, il voit sa routine bouleversée par les arrivées conjointes à son domicile de deux personnages encombrants, son père qui s'y installe pour ne plus avoir à supporter dans la solitude les désagréments d'une chimiothérapie, et son fils, jeté hors de son propre domicile par la rupture avec sa compagne, une jeune femme d'origine coréenne, hautaine et capricieuse.
Les deux « invités », loin d'apporter un renouveau salvateur à son existence, ajoutent leur dose de désarroi au désespoir du protagoniste. «Dans le coeur de Tom, quelque chose s'était mis à grandir : une matière sombre faite de la sédimentation d'émotions négatives. le ressentiment à l'égard de son père qui n'avait su être un père, l'amertume de n'avoir su trouver les mots pour le lui dire, la culpabilité d'avoir été à son tour un mauvais père et un mauvais mari, et finalement la colère de n'être que lui-même, un homme sans destin, sans courage, sans talent et dont l'existence, parce qu'il n'en avait rien fait, serait oubliée aussitôt qu'elle aurait pris fin. » Un voile de noirceur semble ainsi boucher l'horizon de Tom. Mais un jour, un incident vient bousculer ce quotidien triste et sans avenir. Quand une jeune femme se fait insulter et traiter avec violence par son compagnon, un homme beaucoup plus âgé, devant sa vitrine, quand regrettant de ne pas avoir réagi assez vite pour porter secours à la victime, il répare ses torts quelques jours plus tard, en assistant à une nouvelle scène de violence entre les deux mêmes personnages, repoussant l'homme pour sauver la jeune femme en l'invitant dans son magasin. Mais, bien vite, il découvre les réticences de la dame à accepter son hospitalité, en même temps qu'elle lui fait part d'une étrange étrangeté concernant sa personnalité, une incroyable particularité génétique… Tom, dès lors, s'emploiera à percer le mystère des origines de cette jeune femme, cette N7A (Enceta ?) au nom bizarre et qui n'a pas de papiers d'identité, d'abord face à l'hostilité des siens, puis avec leur soutien, l'incongruité de ce nouveau personnage devant paradoxalement le ressort de la résilience.
le lecteur ne peut qu'être charmé par le ton léger du récit, les astuces de la narration, la vivacité des dialogues, tous les ingrédients de la potion magique de
Thomas Gunzig, et l'on passe un agréable moment à accompagner la métamorphose de Tom et de son univers. Mais il reste aussi, cette fois, un peu sur sa faim, regrettant que les différents thèmes abordés, le vieillissement et la perte des illusions, l'estime de soi et les doutes sur son identité, les secrets de famille et les pièges de la mémoire, les manipulations génétiques enfin, soient assez mal articulés entre eux, sans être finalement assez explorés, comme si ce roman restait le canevas d'une oeuvre plus ambitieuse, un récit qui rate la profondeur promise. Bon, c'est vrai, cela déçoit un peu, mais on ne doute pas que
Thomas Gunzig puisse mieux faire, comme il l'a déjà montré !
Merci à Pierre Krauze, à Babelio et aux Editions Au Diable vauvert pour m'avoir permis de découvrir ce livre.