A l'occasion de la sortie de son roman "Le Sang des bêtes", nous avons réalisé une interview de Thomas Gunzig, dont voici un court extrait.
- Parfois je ne sais plus très bien ce que je suis, répondit-elle.
- C’est normal, la société a tendance à vous essentialiser, les normes sociales vont tout faire pour éliminer les gens comme vous, ceux qui refusent les cases qu’on leur assigne, la liberté est un combat de tous les jours. C’est terriblement difficile d’avoir la force de se définir lorsqu’on se trouve hors du cadre.
Les plus vieilles sagas irlandaises furent écrites il y a plus de mille ans......
Les " pierres de levage " y ont une importance quasi divine, s'expliquant probablement par la nécessité d'être fort pour pouvoir survivre sous ces latitudes froides et tempétueuses.
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Ceux qui soulevaient Fullsterkur étaient considérés comme " pleinement forts " et recevaient un salaire complet. La puissance physique ouvrait la voie vers le succès.
Tom trouvait que le métier de sa fille avait l'air d'un ennui mortel : toute la journée à remplir des tableaux Excel de chiffres représentant le nombre de plateaux rentrant et sortant. Il trouvait qu'un aussi joli bébé qui dormait les poings serrés dans une chambre décorée de dentelle rose, qu'une aussi jolie petite fille qui aimait dessiner des princesses et des licornes, qu'une aussi jolie jeune fille qui voulait devenir « soigneuse de dauphins » soit finalement devenue comptable et travaille, assise, huit heures par jour, face à un ordinateur, à gagner l'argent d'actionnaires qui n'hésiteraient pas à mettre fin à son contrat si ça augmentait leurs dividendes, il trouvait que tout ça, c'était une belle illustration de l'absurdité de la marche de l'existence.
Jean-Jean se demandait souvent comment la tristesse pouvait s'installer dans une vie et s'y planter durablement, comme une vis bien serrée avec une couche de rouille par-dessus. Une chose dont il était certain, c'était que ce mouvement d'installation de la tristesse se faisait lentement, par une sédimentation obstinée et progressive à laquelle on ne prêtait pas tout de suite attention. C'était un mouvement tellement discret qu'il fallait du temps et de l'attention pour se rendre compte que doucement le profil de sa vie s'était déformé pour ressembler à une flaque de boue.
Les gens comme ça, les gens qui ont des vies de riches ou bien des vies où tout va presque toujours bien, ils veulent qu’on leur raconte des histoires qui confirment l’état du monde, pas des histoires qui remettent en cause l’état du monde. Parce que le monde leur convient comme il est.
Et tu verras,
ça c'est un truc que tu vas rencontrer souvent dans ta vie :
des gens qui ont l'air compétents,
mais en fait, ils sont cons.
- T'es hyper fort en français. C'était marrant, finit-elle par dire.
Je compris que "marrant" était pour elle un mot fourre-tout qui pouvait lui servir pour traduire toute une série de sensations pour lesquelles il lui manquait des ensembles entiers du lexique francophone.
- J'aime bien lire.
« Au début, il n’y avait rien.
Ni espace, ni lumière, ni temps qui passe.
Pas d’hier, pas de demain, pas d’aujourd’hui.
Pire qu’un jour de grève.
Pire qu’une rupture de stock.
Rien d’autre que le rien, mais bon, le rien, c’était déjà pas mal.
Le rien, ça laisse quand même des perspectives. »
Génétiquement, ses parents avaient opté pour du moyen de gamme Pioneer, du pas très robuste, le genre d’organisme fait pour travailler trente-cinq heures dans un bureau calme et pas cinquante à ranger des sandwiches dans des frigos.
Vous avez développé une technologie qui vous a permis de tout détruire. Ça vous a rassurés de faire ça. Aujourd'hui vous ne laissez vivre que les animaux qui vous amusent ou qui vous nourrissent. C'est à la fois terriblement égoïste mais surtout c'est très lâche.