Melissa et Andy s'écrivent depuis plus de 40 ans, depuis la réponse à une invitation à un goûter d'anniversaire. Et c'est cette correspondance que nous livre ce texte théâtral. J'étais sceptique quant à l'association lettres/théâtre. Mais il faut avouer que la lecture est une franche réussite, et que voir ce texte sur scène doit valoir le détour !
Les lettres s'enchainent, sans introduction, formule de politesse, ou date. Parfois très proches, se répondant, certaines ont parfois quelques années d'écart, mais se suivent pourtant toutes de la même manière. Cela crée une immersion, une petite perte de repère, mais aussi l'impression que cet échange ne connaît pas d'interruption, fait bien ressentir que cet amour les accompagne tout au long de leurs vies.
Melissa vient d'une famille riche, mais négligente. Elle est un peu délurée, un peu perdue. Andy vient d'une famille plus modeste, mais équilibrée, est pondéré et sage. C'est deux là sont différents, et pourraient se compléter. Ils se cherchent d'ailleurs, mais ils laissent passer le moment qui aurait pu changer leur vie.
C'est beau et touchant, tendre. Tout est à sa place dans ce texte d'une belle sensibilité. Une vie de lettres, une vie d'échanges, de rendez-vous manqués et réussis.
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Andy : J'ai commencé l'aviron. Je suis chef de nage de la quatrième équipe.
Parfois je pense m'en sortir avec brio et BAM on me rétrograde deux équipes plus bas. D'autres fois je suis complètement largué et ils me font monter. Ca ne rime à rien.
J'ai été voir Mr Clark qui est notre chef de nage et je lui ai dit :
"Ecoutez monsieur Clark, il y a quelque chose qui ne marche pas dans votre système. Les gens passent leur temps à monter et à descendre et personne ne comprend pourquoi. Il n'y a aucune logique, monsieur".
Et Mr Clark m'a répondu : "C'est la vie Andy." Et il est parti.
C'est peut-être la vie, mais ça ne devrait pas être ça, la vie. C'est quand même pas compliqué de faire des règles qui soient logiques : les bons monteraient et les mauvais descendraient. Au moins on comprendrait.
Plus tard j'envisage sérieusement de faire du droit.
Melissa : Tu sais ce qui ne va pas ? Ces lettres.
Ces foutues lettres !
Je te connais par "lettre" - je ne te connais pas "en vrai".
C'est pour ça que je regardais par-dessus ton épaule, je cherchais la personne qui était avec moi dans ces lettres durant toutes ces années. Ou qui n'y était pas.
J'en n'en sais rien en fait.
Tous ce que je sais c'est que tu n'es pas cette personne Andy.
Je ne dis pas qu'en vrai tu sois nul mais ce que je veux dire c'est que toutes ces lettres, tous ces mots ont tout embrouillé.
Ils nous ont fait passer pour des gens que nous ne sommes pas.
Et du coup il y avait deux absents à l'hôtel Duncan cette nuit-là : le vrai toi et le vrai moi.
En maths on entame les équations à deux inconnues.
Parfois j'imagine que X c'est moi et Y c'est toi. Tu serais surprise des résultats...
Je dois retenir par coeur la dernière strophe du Paradis perdu.
C'était pas trop dur finalement, parce que ça me fait penser à nous, toi et moi chassés du paradis...
"Le monde entier était devant eux, où choisir le lieu de leur repos, et la providence était leur guide. Main dans la main, à pas incertains et lents, ils prirent à travers l'Eden leur chemin solitaire."
Je t'embrasse. Andy
Melissa : L'exposition a été un désastre.
Le passé est une pente qu'on ne remonte jamais, tu pourras me citer si tu veux.
Je vais faire de la photo. Place au réalisme ! Regarder le monde droit dans les yeux, sans crainte...
Oh Andy, on pourrait pas se voir ?
Andy : Joyeux Noël, je t'embrasse. Qu'est-ce que tu fais de beau ces temps-ci ?
Melissa : Je travaille l'argile.
Tu sais cette espèce de terre grise qu'on utilisait au cours d'art plastique quand on était petits.
J'essaie d'en tirer quelque chose.
Je fais des chats, des chiens...
J'ai même fait un kangourou qui saute au-dessus d'un verre de jus d'orange.
Tu te souviens ?
J'essaie de retrouver ces vieux sentiments de l'enfance.
Il me faut retrouver des sentiments, n'importe lesquels, sinon je suis morte.
A. R. Gurney parle des WASP, un milieu social des Etats-Unis dont il traite dans ses pièces. En anglais sous-titré en anglais.