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3,14

sur 338 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
J'avoue avoir pris un certain plaisir à la lecture de Tiens ferme ta couronne. Comme le double de l'auteur j'aime le cinéma et la littérature. J'ai infiniment aimé Moby Dick de Herman Melville et The Deer Hunter Mickaël Cimino. Il est toujours étrange de lire un roman où tout semble raisonner. Des allusions fugaces qui nous donnent comme une impression de déjà-vu.

A l'instar du protagoniste je me suis moi aussi abandonné à la douce solitude d'un appartement tournant uniquement autour des trois pôles écran - frigo - lit et j'ai aimé laissé s'écouler ainsi le temps à l'infini. Moi aussi j'aime Twin peaks que je regarde en ce moment. Moi aussi j'aime Robert de Niro et Apocalypse Now. Et Isabelle Hupper.

Mais si la premiere moitié du Roman Yannick Haenel nous tisse une rêverie ambitieuse et éthérée de vapeurs d'alcool dans laquelle je me suis voluptueusement laissé engourdir, j'ai fini par ressentir une sensation de pesanteur au fil des pages. L'allégorie de la chasse, du chasseur lui même traqué par sa proie. le mystique un peu lourd, m'a moins séduit

Mars 2018
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Extrait d'une conversation surprise au nord de l'Hélicon, dont voici à peu près la retranscription :

DIONYSOS : Salut !
APOLLON : Salut, fils de Sémélé. Alors, tu l'as fini, ce roman ?
DIONYSOS : Oui, et je ne suis pas mécontent de pouvoir confirmer qu'il s'agit bien, en fin de compte, d'un roman. le doute subsista quelque temps, en raison du volume conséquent des considérations théoriques plus ou moins digressives qui fleurissent en son sein. Mais vrai, ces méditations enrobent une succession de mésaventures par lesquelles on se laisse happer. Être capable d'allier avec fluidité tant d'introspection aux rebondissements prenants de la vie ordinaire, cela témoigne d'une très bonne maîtrise romanesque.
APOLLON : Je suis d'accord avec toi. On a comme l'impression d'une épopée burlesque en lisant, sauf que le comique n'est pas assez exagéré pour faire franchement rire. J'imagine que c'est un peu à ça que ressemble le burlesque du point de vue d'un personnage coincé dans un roman : il a conscience que ce qu'il vit est ridicule, mais il n'est pas exactement mort de rire.
DIONYSOS : Et la tenue de l'histoire doit beaucoup à l'efficacité de ses personnages. Aux mecs suant la testostérone (et aux losers s'efforçant de suggérer qu'ils en seraient capables), d'abord, qui semblent droit sortis d'un film (ou d'un livre) de genre (façon fantasme macho actuel d'un scénariste biberonné aux gangsters des années 70 et à l'ironie des années 90) : en tête de file desquels se distingue Tot, chasseur, joueur de poker professionnel et voisin violent du narrateur. Et, d'autre part, aux figures traditionnelles de la vie parisienne, qui d'un ancien réalisme ont basculé il y a longtemps déjà dans l'archétype : entre autres, la concierge râleuse du protagoniste, Mme Figo. Les personnages produits par ces deux creusets, américain et français, se croisent en une danse captivante.
APOLLON : La chorégraphie est encore compliquée par l'apparition de personnalités bien réelles, notamment Michael Cimino et Isabelle Huppert. Ils conservent un pied dans la fiction, car Huppert a joué dans La Porte du paradis, film réalisé par Cimino et l'un des chefs-d'oeuvre sur lesquels revient sans cesse l'obsession du narrateur, mais, étant des célébrités de ce monde, ils tirent aussi le récit vers le pseudo-documentaire, de type making-of.
DIONYSOS : Et que penser alors du maître d'hôtel, personnage bien fictif auquel est attribué une ressemblance avec Macron, lui bien réel, au point que ce surnom finit par suffire à le désigner ? Faut-il considérer que le principe est le même, que sa fonction garantit son ancrage dans la fiction alors que son allure le pousse vers l'actualité ?
APOLLON : En tout cas, le dispositif du caméo lui-même est très cinématographique, mais ce roman, dans le fond, ne révèle pas grand-chose sur le cinéma. le choix de Cimino est tout à fait significatif à cet égard : parler du cinéma en centrant son propos sur un artiste qui a renoncé à ce médium, c'est se débarrasser à la source de toute interrogation spécifique sur les manières propres au cinéma. (Et aussi s'assurer déjà d'orienter son propos sur les conditions de l'art plus que sur la réalisation de l'oeuvre ?)
DIONYSOS : Remarquons toutefois que la fascination du narrateur pour les perceptions d'ordre visuel, par exemple pour l'évolution de l'aspect des feuilles d'un arbre au cours de la journée, s'inscrit bien dans une préoccupation de nature cinématographique.
APOLLON : Vrai, mais cette captation reste passive. Et elle demeure entravée par une attirance léthargique pour le moins : la recherche du point de vue n'est pas dynamique. Cette fainéantise dans la quête du narrateur l'empêche de jamais connaître personnellement le spectaculaire et le grandiose, qui sont pourtant des constituants notables du succès des films pour lesquels il se passionne, en premier lieu Apocalypse Now.
DIONYSOS : Ce qui se montre actif, dans tout le roman, c'est l'esprit du narrateur. En permanence, il tisse des liens, réfléchit aux qualités des grandes oeuvres d'art, saisit divers instants pour les habiter, presque les épuiser par la parole. de cette façon, il retranscrit merveilleusement ce qu'est la pensée créative, l'intérieur du cerveau de l'écrivain.
APOLLON : Et il investit ainsi, en même temps qu'il exemplifie, ce que cet état d'esprit doit à la logique des connexions. le narrateur est immergé et nous immerge dans la folie du « démon de l'analogie ».
DIONYSOS : À propos de démons, mentionnons au passage combien le livre nous offre une plongée réussie dans la psychologie de l'addiction – le discours intérieur du narrateur débite un flot constant de rationalisations qui justifient son recours permanent à l'alcool.
APOLLON : Par ailleurs, malgré sa solitude, le héros ne mène pas complètement sa vie dans une bulle. Ou plutôt si, la plupart du temps, mais parfois cette bulle est percée par les événements et de cette confrontation entre l'intériorité d'un individu et la marche de l'histoire surgissent de rares actions de générosité de la part du narrateur, comme lorsqu'il vient en aide à deux jeunes migrants dont la police détruit le campement. Perturbateurs, le présent et le concret sont aussi salutaires à la littérature.
DIONYSOS : Leur propre chaos impose des priorités qui ordonnent l'angoisse, elle-même chaotique, de l'examen de soi.
APOLLON : Ces irruptions du monde contemporain ne signifient pas pour autant que ce livre respire le XXIe siècle à tous crins. le statut des personnages féminins y fleure bon le siècle dernier. Ces femmes évoquent davantage, du cinéma, les mystérieuses créatures et autres jolies étudiantes qu'il s'est complu à camper jadis que les débats sur l'égalité, dont Hollywood se trouve aujourd'hui agité. Et je ne m'attarderai pas sur certaines équivalences douteuses qui font d'une lesbienne une authentique vierge.
DIONYSOS : Nous sommes, moi et toi le Delphien qui lance au loin, sûrement mal placés pour en juger, mais il se pourrait en effet que le mythe de Diane chasseresse, auquel le roman ne cesse de se référer, ait fait son temps. Et que la fréquentation des femmes, si exceptionnelles apparussent-elles à celui qui les désire, ne suffît point à l'élévation de l'âme. Il convient cependant de reconnaître que l'une des aspirations les plus intéressantes de ce livre est justement celle qui relie la représentation de l'expérience artistique à une forme de mystique. le récit déborde d'un désir de spiritualité qui convoque tour à tour (ici dans le désordre) Dieu, Diane et la bonne vielle Nature. Seulement, sa mystique ne relève pas de la révélation mais de l'expérience.
APOLLON : le culte de l'art n'aboutit jamais qu'à une oeuvre : en l'occurrence, au roman même que nous avons entre les mains.
DIONYSOS : La nature, d'ailleurs, échappe en grande partie à ce récit, pourtant marqué par l'idée de la chasse. Elle n'intervient que sous la forme d'un discours rapporté (une affaire de cerf mort), de souvenirs ou d'un locus amoenus où sa vigueur a été bien domptée.
APOLLON : La nature n'est accessible au narrateur que par l'intermédiaire de l'art, son roman n'est rendu possible que par le cinéma. Il s'agit avant tout d'un magnifique « Portrait de l'artiste en homme pollué ».
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Dois-je l'avouer ? J'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce roman essentiellement dévolu au monde du cinéma et plus exactement de la création, qu'elle soit sous forme de scénario ou de roman. Il faut donc avoir quelques références, au risque de se perdre dans les dérives d'auteurs malchanceux : alcool, drogues et autres qui mènent immanquablement à des considérations frisant les hallucinations.
Le style de Yannick Haenel est heureusement très fluide , avec de très belles images et réflexions qui ne manquent pas d'intérêt, ce qui nous sauve du marasme!
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Tiens ferme ta couronne, par Yannick Haenel. Elles sont dignes d'admiration ces personnes habitées par une passion unique, on dira monomaniaques. Ne jurer que par Proust ou par Schubert et Faulkner, voilà des exemples où certains se reconnaîtront. Dans ce livre, le narrateur en a deux en réalité, une en littérature, Herman Melville, l'auteur de Moby Dick, une autre en cinéma, Michaël Cimino, le réalisateur de Deer Hunter (Voyage au bout de l'enfer).
Le narrateur, dont le prénom Jean est cité une fois, a écrit un scénario de 700 pages, The Great Melville, qui retrace la vie de l'écrivain génial et maudit, qui a pour particularité d'avoir « l'intérieur de la tête mystiquement alvéolé », mais surtout d'être en quête d'une vérité que l'auteur figure sous la forme d'un daim blanc effarouché en fuite dans la forêt. Ce daim apparaît dans le film ci-dessus cité de Cimino, Robert de Niro, le chasseur, s'abstenant de tirer sur sa proie quand il la rattrape et l'a dans le viseur.
L'auteur du scénario essaie de placer son pavé auprès de producteurs, qui n'en ont que faire et “l'écoutent en tapotant sur leur portable“. Jusqu'à ce qu'il rencontre un producteur plus attentif, Pointel, qui lui donne le moyen de rencontrer Michaël Cimino à New-York. Ce que Jean fera, recevant du cinéaste un accueil plutôt engageant. de retour à Paris, une sorte de spleen le fait tourner en rond, du frigo à l'ordinateur, puis à la flasque de vodka. Fauché, il ne fait que regarder des films, trois ou quatre par jour, et presque tous les jours Apocalypse Now, de Coppola. Ses seules sorties consistent à promener Sabbat, le dalmatien de son voisin dont il a la charge, faisant accessoirement l'amour avec la copine de ce dernier. Cela étant, à cinquante ans, le bilan est celui d'un loser : « Je vivais reclus dans un studio de vingt mètres carrés (dont j'allais être renvoyé dans une semaine) et je regardais des films en buvant de l'alcool ». Mais il sent qu'il est habité par un feu sacré, en particulier ce 23 septembre, jour de son anniversaire, quand il va retrouver Pointel, Isabelle Huppert et Léna au restaurant Bofinger, flanqué de Sabbat, ce qui donne lieu à des séquences assez drôles.
Dans la dernière partie du roman, une fois la cuite des cinquante ans au Bofinger passée, Jean cherche Sabbat qu'il a perdu, s'éclate avec Léna, assiste à une cérémonie mortuaire inédite, et finit par s'isoler au bord d'un lac en Italie pour écrire. Dans l'attente de Léna, il apparaît que sa vie a repris du sens.
Au delà des péripéties de sa vie, ou d'anecdotes cocasses et parfois peu réalistes, Jean reste un intellectuel, un cérébral lucide qui s'épanouit dans des concepts appliqués, esthétiques, parfois un peu fumeux tout de même, autour de l'existence de mondes réels ou invisibles, volontiers mystérieux, autour de l'écriture, de l'expérience vécue ou de ce qui n'existe pas, de la vie sociale avec ses rencontres, enfin “des noms“ qui ont trait à la littérature et au cinéma et qui défilent dans sa tête en permanence.
On se perd parfois dans ses démonstrations, dans ses considérations à la limite d'un certain cabotinage, on s'interroge devant sa présentation de scénariste maudit ou d'écrivain décelant un point effrayant et sacré qui lui est consubstantiel, ou encore devant la multiplication des références culturelles et littéraires. Mais une certaine légèreté, un vrai papillonnage, la coexistence de ces digressions “sérieuses“ et d'une bonne dose de dérision, une façon de ne pas trop appuyer sur tout cela, sauve le roman et le romancier
Une lecture agréable, somme toute.
Lien : https://lireecrireediter.ove..
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Un livre complètement fou avec un personnage de looser magnifique aussi attachant qu'irritant. Mené tambour battant sur un laps de temps court on va croiser Cimino, Isabelle Hupert, Apocalypse now, un dalmatien et des cerfs ! Tout se tient mieux qu'on l'imagine et l'écriture fiévreuse n'y est pas pour rien. C'est aussi l'histoire d'une résurrection, celle d'un quinquagénaire écrivain rongé par l'alcool et l'introspection. Quelques jours dans la vie (bordélique) de ce personnage c'est plonger dans un monde chaotique où l'alcool coule à flot et la solitude ronge ceux qui en abusent.
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Le narrateur a écrit un scénario de 700 pages sur la vie d'Herman Melville, l'auteur de Moby Dick, pour lui le plus grand écrivain américain. Ce qu'il veut faire entendre de Melville, c'est sa pensée, plus exactement "l'intérieur mystiquement alvéolé" de la tête de Melville. Difficile avec ça de trouver un producteur capable de porter le projet à l'écran, d'autant que pour le narrateur, seul quelqu'un de la trempe de Michael Cimino serait à la hauteur du challenge. Et puis, par hasard, un producteur français, Pointel, lui donne le numéro de téléphone de Cimino. le narrateur contacte le cinéaste, obtient, sans difficulté, un rendez-vous trois jours plus tard, à New York, devant Le Cavalier polonais de Rembrandt à la Frick Collection.

Hé oui, ce livre démarre très fort !
Et ce début prometteur n'est pas un leurre, ça continue sur le même rythme pendant 331 pages, dans lesquelles on rencontre Michael Cimino, certes, mais aussi Isabelle Huppert en personne, un sévère maitre d'hôtel sosie d'Emmanuel Macron, un dalmatien pataud, une jeune chercheuse très attirante, un voisin irascible et absent, pour ne citer que quelques figures de ce roman, sans parler du héros, qui se qualifie lui-même à plusieurs reprises de fou. Je ne sais pas s'il est réellement fou, mais ce dont je suis sûre, c'est qu'il est fou de cinéma, et en particulier de Voyage au bout de l'enfer et de la porte du paradis de Cimino, ainsi que d'Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, passant ses jours et ses nuits à voir et revoir sans cesse ces films en boucle, décortiquant les actions, analysant les personnages et revisitant les figures mythiques des oeuvres, en écho au daim blanc qui symbolise la vérité selon Melville.
Un peu déstabilisée au début de ma lecture, j'ai été néanmoins assez vite conquise par la passion du narrateur pour les films cités ci-dessus et intéressée par son analyse et sa vision.
À partir de là, j'ai oublié mes réticences et j'ai continué ma lecture sans à priori, je suis entrée dans cet univers foutraque et déjanté, j'ai accepté de suivre le narrateur dans ses errances alcoolisées, j'ai ri aux péripéties de sa soirée dans un grand restaurant chic, j'ai compati à ses démêlés avec sa concierge et à ses problèmes de voisinage. Je me suis inquiétée du sort de Sabbat, le dalmatien et je suis d'ailleurs très fâchée contre Yannick Haenel qui n'a pas pitié de nous, pauvres lecteurs, puisqu'il nous a laissés sans nouvelles de l'animal, comptant sans doute sur nous pour continuer à le chercher dans les rues de Paris !
Une belle expérience de lecture...
Lien : http://ruedesiam.blogspot.fr..
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Ce livre m'a fait vivre une expérience étonnante : je vous la raconte en deux mots.
D'abord, j'ai pesté : je ne comprenais rien ou pas grand-chose. le propos, métaphorique, allégorique, philosophique, symbolique me laissait plus ou moins à la porte. J'avais beau vouloir entrer, rien à faire. Il me semblait parfois m'approcher du but : tiens, c'est peut-être une quête de la Vérité dont il est question. Oui mais quelle Vérité ? N'y a-t-il qu'une Vérité ? Non, c'est plutôt l'histoire d'un looser halluciné, paumé et frappadingue (c'est lui qui le dit), vivant en marge d'une société plutôt violente, un homme qui chercherait à atteindre une espèce de royaume (perdu?) où régnerait encore l'innocence. Oui, c'est plutôt ça, une espèce de parcours spirituel vers une forme de pureté qui n'existe plus dans notre monde sinon sous forme de traces, notamment dans l'Art et peut-être aussi dans la beauté de la nature. Encore faut-il être capable de la voir, cette beauté, qui peut n'apparaître que de façon fort éphémère. « Lorsque l'on agit contre son propre intérêt (lorsqu'on se sabote), [comme le fait le narrateur] c'est toujours par fidélité à une chose plus obscure dont on sait secrètement qu'elle a raison. »
Contente de mes interprétations, je retombai cependant quelques pages après dans des sphères plus ou moins nébuleuses dans lesquelles je poursuivis ma lamentable errance.
Bon, très bien, me suis-je dit, si tu me résistes, sacré bouquin (oui, oui, il a quelque chose à voir avec le sacré ce bouquin!), je vais t'avaler d'UN COUP comme un verre d'alcool un peu fort (d'ailleurs notre narrateur picole pas mal dans le livre, de la vodka notamment).
Et je l'ai lu d'une traite cherchant ainsi à dompter l'animal sauvage (il est aussi question d'animaux sauvages dans le livre!)
Et là, MIRACLE, tandis que je voulais au plus vite en sortir, j'y suis rentrée. En effet, alors que j'avais cessé depuis longtemps de chercher un sens à tout, tout me parlait. J'étais sous l'emprise.
Je pense donc que c'est un roman dans lequel il faut se plonger en se laissant porter par l'écriture sans s'interroger sur la moindre formule. Certains passages sont éblouissants d'ailleurs. Il ne faut pas lire ce roman par à-coups, une page par-ci, deux pages par-là. le charme n'opère pas.
Bon, venons-en au sujet : le narrateur, 50 ans, vit seul dans un petit studio parisien dont il sort très peu. « ...ma vie, que je croyais une aventure, tournait autour de mon ordinateur, devant lequel j'étais posté dix heures par jour, autour de mon frigo, qui était inlassablement vide, et de quelques bars de Gambetta… où j'allais m'enivrer en racontant n'importe quoi à n'importe qui. » Il est « un type qui n'a aucune ambition - ou qui la place dans un lieu que la société ne répertorie pas », il occupe ses journées à lire ou à regarder des films de façon obsessionnelle, notamment Apocalypse now de Coppola qui tourne chez lui en boucle.
Il a écrit un scénario de sept cents pages sur la vie d'Herman Melville : The Great Melville qu'aucun producteur n'a retenu. En effet, l'auteur de Moby Dick le fascine, et notamment, « l'immensité qui peuple la tête d'un écrivain comme lui. »
Lorsqu'on le lui demande, le narrateur précise que son travail porte sur « l'intérieur mystiquement alvéolé de la tête de Melville », ce qui évidemment fait fuir tout le monde ! Il faut dire que ce garçon se pose beaucoup de questions comme s'il portait en lui une forme de grandeur, d'absolu qu'il rechercherait, une espèce de vérité (attention, c'est là que ça se corse et que l'on décolle) que l'on atteindrait par exemple par l'art, à condition de vouloir consacrer à cette quête spirituelle une grande partie de sa vie, ce qui suppose que l'on n'entre pas tout à fait dans le moule proposé par la société : travail, réussite sociale, famille, enfants… car il faut rester « disponible » et « pur » d'une certaine façon, être capable de percevoir les signes de la vérité, d'où la nécessité d'avoir l'esprit (et la vie qui va avec) libre !
Encore faut-il savoir ce que l'on veut faire de sa vie ! Tiens, finalement, c'est peut-être ça la question essentielle de l'oeuvre… Sait-on ce que l'on veut faire de sa vie ? Est-on capable « de vivre dans la vérité ? »
Or, d'après une phrase de Melville, « en ce  monde de mensonges, la vérité est forcée de fuir dans les bois comme un daim blanc effarouché » et donc, il faut la traquer, en rechercher les traces, partir à sa poursuite. Il va donc tenter d'entrer en contact avec Michael Cimino, réalisateur du Voyage au bout de l'enfer (The Deer Hunter = le chasseur de daim), un homme qui cherche le scénario « qui saura attirer Dieu dans ses pages ». le narrateur est persuadé que ce réalisateur le comprendra puisque dans ce film ci-dessus cité, un chasseur joué par Robert de Niro poursuit un daim qu'il ne tue pas finalement. Or, ce daim serait « le survivant d'un monde régi par le crime, il témoigne d'une vérité cachée dans les bois » et il tiendrait tête à la criminalité qui a envahi le monde. le moment suspendu où le chasseur ne tire pas symbolise une espèce de moment de grâce, de vérité : soudain et seulement à cet instant précis, le mal n'existe plus, le crime s'interrompt sur terre et une forme de pureté semble retrouvée. Seulement, ce moment de vérité, encore faut-il être capable de le voir, de l'entendre.
« La vérité n'est pas un concept immuable, elle apparaît et disparaît, c'est une épiphanie, elle n'existe qu'avec l'éclair qui la rend possible. »
Michael Cimino incarnerait donc celui qui a eu le courage de dénoncer « le secret de la fondation de l'Amérique, son destin criminel : les génocides des Indiens, la démence de l'impérialisme militaire au Vietnam, et tous les crimes sur lesquels était fondée en secret la démocratie. » Cimino est celui qui dit la vérité, il est le daim blanc et son oeuvre en garde la trace.
Et c'est vers cette vérité que notre narrateur va avancer dans une quête complètement folle, pleine de mésaventures archi-loufoques : il croisera Isabelle Huppert, rencontrera Cimino à New York, devra s'occuper de Sabbat, le dalmatien de son voisin, discutera avec une concierge peu aimable et visitera en bonne compagnie le Musée de la Chasse. « La vérité ne fuit pas les rois qui l'aiment et qui la cherchent. Au contraire, elle fait signe partout, il suffit d'ouvrir les yeux, de lire les livres, d'écouter ce que le temps vous dit. », alors, s'il est un roi et s'il tient ferme sa couronne, peut-être la trouvera -t-il…
Finalement, je crois que c'est une oeuvre qui me restera si j'en crois le besoin que je ressens déjà de relire régulièrement certains passages… Ça valait donc le coup d'insister et de tenir ferme… son livre !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Le livre retrace les tribulations de l'auteur d'un copieux scénario sur la vie de Herman Melville . Des rencontres plus ou moins vraisemblables, une bonne qualité d'écriture mais une fin un peu décevante : un moment de lecture bien agréable .
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Dans un récit chronologique, émaillé de flashbacks, Yannick Haenel nous fait partager une tranche de vie d'un écrivain, obnubilé par le scénario qu'il a écrit et pour lequel il ne trouve pas de réalisateur. En donnant pour titre à son livre une citation issue des Carnets de Proust, il indique déjà au lecteur ce que sera ce roman : une lutte, à la limite de la folie, pour ne pas se faire expulser du royaume des élus. Les références christiques et bibliques sont au moins aussi nombreuses et importantes que les références littéraires et artistiques. En 33 chapitres, il traite régulièrement des thématiques du sacrifice, de l'errance, de la rédemption. Il cherche sans fin des interlocuteurs à "l'intérieur de la tête mystiquement alvéolée", en référence à Moby Dick et Melville, dont il fait le sujet de son scénario. Il oscille en permanence entre ces références symboliques et celles de la chasse et de la guerre (le Vietnam, l'histoire personnelle de Tot, Fontainebleau), à la recherche de son "daim blanc".
Ce parcours initiatique trouve son acte fondateur, on le découvre tardivement, dans un événement sordide qui questionne le narrateur et par contrecoup, le lecteur, sur le sens de l'existence. L'oeuvre d'un écrivain peut/doit-elle être contenu dans sa propre existence? N'être faite que d'"aventures"?
En revanche, la fin, en forme d'"happy end" m'a un peu déçue. La résolution rapide du conflit intérieur qui l'occupe pendant 300 pages en une pseudo-révélation créé un décalage un peu sec. Dommage.
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