Puis-je dire que l'élève a dépassé le maître ? Lisant
les Trophées, dédiés à
Leconte de Lisle, juste après avoir terminé ses
Poèmes barbares, je déclare préférer la poésie de
José Maria de Heredia. J'avais trouvé des longueurs chez
Leconte de Lisle, je regrettais le manque d'organisation - certes, cela peut sembler le contraire de la poésie de faire des classements, ou plutôt des sections, mais chez Hérédia, on se retrouve plus facilement, on comprend mieux l'élargissement du monde - on ne passe en quelques poèmes de la Babylone antique à la savane africaine ou à l'Irlande païenne. Hérédia se disperse donc moins en quelque sorte, et reste dans un domaine de référence plus accessible - relativement, mais je suis plus familière de la mythologie grecque que des légendes hindoues.
D'un point de vue de la langue, je dirais aussi que je préfère Hérédia, en partie parce que les poèmes sont plus courts, avec des formes souvent assez classiques - beaucoup de sonnets, mais les vers résonnent, les rimes sont plus musicales. D'ailleurs, Hérédia reprend certains thèmes de son "maître et ami", notamment la réécriture du mythe du Cid. Combien ai-je préféré la version d'Hérédia, plus évocatrice, plus subtile, plus forte. Très beau poème dernier poème également, "les Conquérants de l'or", avec sa chute au sens propre dans le dernier vers, la echute du soleil" qui marque la fin d'un monde.
Et puis, d'un point de vue très personnel, très intime, j'ai eu les larmes aux yeux en découvrant des vers dont je ne connaissais pas l'auteur mais que mon grand-père récitait souvent dans des repas de famille : "Sempronius consul, fier de sa gloire neuve, a fait lever la hache et marcher les licteurs", des mots que je ne comprenais pas forcément quand j'étais enfant, mais qui maintenant me relient à mon cher grand-père disparu. Et c'est finalement ça la beauté de l'écriture et plus encore de la poésie, unir ceux qui s'aiment, par-delà les générations et la mort.