Oui, je l'avoue, c'est la couverture kitsch qui a été chez moi le déclencheur de l'achat de ce livre de
Elodie Hesme, une couverture passablement originale puisqu'elle montre de jeunes gars body-buidés, souriants, gominés, identiques (des sosies !), en slip rouge et dans une pose décontractée alors même que derrière eux se tient un minet, à cheveux gras et lunettes noires, portant - comme un trophée - la tête décapitée mais souriante d'une Bimbo blonde aux yeux bleu ! Pour corser le tout, une main manucurée désigne du haut et à la Terre entière l'ensemble de cette mise en scène …
Vous dites, original ? Certes, mais plus encore. Avec ce livre, nous découvrons l'histoire d'une très jolie jeune femme, devenue unique et richissime héritière de ses parents suite à leur disparition dans un tragique accident d'avion survenu en pleine jungle nicaraguayenne. Cette jeune femme s'envoie en l'air et dépense sans compter son argent comme sa santé dans une course effrénée au plaisir, passant des night-clubs à la coke, aux vodkas melon (tiens, il faudra que je goûte ça!), aux achats de vêtements haute-couture et aux amants de passage, le tout sur un rythme endiablé. Elle rencontre un jour un éditeur au look minable qui lui propose d'écrire sa biographie, ce qu'elle accepte comme un jeu, le jeu du chat (elle) et de la souris (l'éditeur). Mais l'homme impose vite ses règles du jeu et il la séduit. Elle ne maîtrise alors plus rien et sous nos yeux c'est une comédie dramatique qui se déroule, où la passion, les débordements, la violence faite à soi-même (coupures, laxatifs, somnifères, brûlures ...), la folie puis la destruction et la mort font leur travail.
Dans un style sec, nerveux, moderne et précis comme peut l'être un scalpel,
Elodie Hesme nous décrit - en alternant futilité et gravité - la lente mais inexorable dégringolade de cette jeune femme, de cette « Barbie girl », vampirisée par son Ken d'éditeur. L'écriture est cinématographique et très abondamment détaillée. Poupée évoluant dans un univers kitsch, parfait et coloré, femme moderne, cynique, intelligente, égoïste, VIP, carnassière, menteuse, solitaire, extravertie, nymphomane, éblouissante et désirable, notre héroïne s'emprisonne d'elle-même dans la toile de son crâneur d'éditeur : ce Ken fait de sa Barbie un objet sexuel qu'il peut brader, rabaisser, une chose qu'il peut jeter après usage, comme un déchet. Nous sommes dans un monde parisien en perte de repères où tout est superficiel : « I'm a Bimbo girl in a fantasy world. I'm your dolly. You're my doll ». Ken et Barbie se livrent tout au long du livre une guerre amoureuse sans merci, se fuyant et se remettant ensemble à plusieurs reprises, dans une débauche continue de sentiments et de sexe. Ange, autre personnage du livre, tente bien de récupérer et d'apaiser notre Barbie, jouant tour à tour envers elle un rôle de grande soeur et de mère, mais rien n'y fera. Pas même la rencontre d'un américain de passage, prévenant, affectueux et protecteur envers notre Barbie. La fin est incroyablement étonnante : je vous laisse la découvrir. Vous n'en sortirez pas indemne !
Des explications ? le livre se lit selon moi à plusieurs niveaux : celui de la dénonciation d'une société gadget, celui de la place de la femme dans les rapports homme-femme, celui de l'auto-mutilation comme ultime moyen de se sortir d'un mal-être existentiel.
La dénonciation d'une société gadget ? Je ne reprendrai pas à mon compte la description fastidieuse des frasques de notre jeune femme qui évolue dans Paris, présentée par
Elodie Hesme comme la « capitale des 3 V, comme Vanité, VIP et Va-te-faire-enculer ». Je n'évoquerai pas plus les allers-retours continus entre nos deux héros, Barbie et Ken, sur le mode « Je t'aime, moi non plus » ou les relations sentimentales avec des partenaires, relations qu'on monte et démonte dans l'instantanéité, sans respect pour l'autre, sans vergogne et sans aucune espèce d'humanité.
La place de la femme dans les rapports homme-femme ? La femme, c'est manifestement la séduction, l'amour mais aussi le poison (il vaut mieux quitter les yeux de la femme qui peut empoisonner), l'envoûtement et la mort. L'amour est fragile et il se défait avec le temps. L'amour est comme l'alcool et la drogue : il procure un bonheur illusoire et dangereux.
Elodie Hesme nous livre à cet égard un extrait éloquent du poème de
Guillaume Apollinaire, « Les colchiques ». Notre « Bimbo girl » constate (page 73) que si « la vie est une plaie ; l'amour est le sel sur la plaie ». Elle s'enfonce donc avec délices dans une quête désespérée de l'amour physique (page 103 « je suis une femme […] un clitoris et de la chair autour »). A cet être idéalisé, ce Ken de passage qui la violente, elle dit (page 52) : « mon amour, fais-moi vivre, fais-moi revivre ».
L'auto-mutilation comme ultime moyen de se sortir d'un mal-être existentiel ? Avant d'être cette jeune et richissime héritière, notre héroïne n'était qu'une simple adolescente. Précipitée dans l'âge adulte par la disparition tragique de ses parents, empêchée de pouvoir faire le deuil de ses parents (disparus en pleine jungle), notre héroïne est livrée à elle-même. Plongée sans préparation aucune dans un univers qui lui est étranger, elle se cherche une aide et des repères, une aide que son père, strict, rigoureux dans l'éducation qu'il lui prodiguait, et pudique, ne peut plus lui apporter. Quand son Ken n'est pas là, quand la perturbation intérieure qu'elle vit devient trop forte, insupportable, quand elle est en détresse, alors notre Barbie s'automutile, désirant ainsi souffrir tellement fort pour combler ce manque de l'être aimé, se roulant dans sa douleur (page 138) « comme un porc dans sa fange ». L'auto-mutilation, signe d'immaturité émotionnelle, devient un moyen de se punir (car elle est dans une situation qu'elle ne mérite pas) mais aussi de priver l'autre de la jouissance du corps ; mais l'auto-mutilation ne fait revenir ni la jeunesse (elle va sur ses trente ans), ni les amants. Notre héroïne s'enfonce dans sa souffrance ; (page 173) si son Ken « disparaît, elle meurt ; s'ils se retrouvent et restent ensemble, c'est l'amour qui meurt ». A ce petit jeu là (page 192), « chaque jour de plus est un jour de trop ». Notre « Bimbo girl » joue un jeu dangereux, un jeu dont l'issue ne peut être que fatale sauf si son Ken prononce les trois mots magiques : « Je vous aime ». Il ne les prononcera jamais. Ayant subi un abus émotionnel pendant son enfance, ayant une mauvaise image d'elle-même, ayant des problèmes de relations avec sa famille et ses partenaires, isolée socialement et affectivement, notre Barbie trouvera le moyen de s'évader d'une situation inextricable, mais quel moyen !
Bravo
Elodie Hesme pour ce premier roman, dérangeant et prometteur.