Deux parties composent ce livre : d'abord un journal ("
Une vie bouleversée"), puis une correspondance ("
Lettres de Westerbork") ; le journal, c'est celui qu'écrit
Etty Hillesum entre le 9 mars 1941 et le 13 octobre 1942 ; la correspondance, ce sont certaines des lettres qu'elle a écrites du camp de transit de Westerbork, d'où les juifs hollandais partaient ensuite en train pour le camp d'Auschwitz, et qui ont été rassemblées après la guerre.
Le journal débute en mars 1941, un mois après sa rencontre avec Julius Spier, un psychologue de cinquante-quatre ans spécialisé dans l'interprétation des lignes de la main, la "chirologie". D'abord cliente, Etty devient très vite son élève, sa secrétaire (c'est ainsi qu'elle se définit page 93), et son amie de coeur. Un homme qui entretient en effet avec elle une relation ambiguë, malsaine, proche de l'emprise. Malgré leur différence d'âge, ils ressentent une forte attirance réciproque, mais ni elle (page 24), ni lui (page 29) ne veulent d'une liaison. Cette jeune femme juive de vingt-sept ans, qui reconnaît en début de journal qu' "il est bien difficile de vivre en bonne intelligence avec Dieu et avec son bas-ventre" (lundi 4 août 1941 - page 44), a l'impression, à ses côtés, de "boire à une source vivifiante" (vendredi matin, 9 heures moins le quart - page 82). "L'homme qui fut l'ami le plus grand et le plus inoubliable de ma jeunesse" (26 avril 1942 - page 114) lui fait ainsi découvrir la Bible et
Saint Augustin et la met sur les traces de Dieu. Lors de sa mort, elle lui rend donc un émouvant hommage : "J'avais encore mille choses à te demander et à apprendre de ta bouche ; désormais, je devrai m'en tirer toute seule. Je me sens très forte, tu sais, je suis persuadée de réussir ma vie. C'est toi qui as libéré en moi ces forces dont je dispose. Tu m'as appris à prononcer sans honte le nom de Dieu. Tu as servi de médiateur entre Dieu et moi, mais maintenant, toi le médiateur, tu t'es retiré et mon chemin mène désormais directement à Dieu" (mardi 15 septembre 1942 - page 202).
Son cheminement intérieur la conduit à affirmer à plusieurs reprises que la vie est belle, riche de sens et digne d'être vécue. Il constitue une phase de préparation mentale et spirituelle -mais aussi physique- à ce qui l'attend en camp de concentration. Même si elle s'en fait une idée vague et éloignée de la terrible réalité, elle reste très lucide : "Je sais que dans un camp de travail je mourrai en trois jours, je me coucherai pour mourir, et pourtant je ne trouverai pas la vie injuste" (page 152). Dans le sac à dos qu'elle emportera dans cet "avenir inconnu" (22 septembre 1942 - page 216), elle réfléchit à ce qu'elle mettra : la Bible est mentionnée en premier, ainsi qu'un volume de la correspondance de
Rilke. Devenue chercheuse de Dieu,
Etty Hillesum peut enfin écrire le 25 septembre 1942 : "Je crois en Dieu".
Les
lettres de Westerbork représentent, elles, un témoignage historique sur la vie dans ce camp pré-concentrationnaire. L'heure y est à la gravité : "Un moment vient où l'on ne peut plus agir, il faut se contenter d'être et d'accepter" (samedi 10 juillet 1943 - page 243). "Il ne s'agit déjà plus de vivre, mais plutôt de l'attitude à adopter face à notre anéantissement" (31 juillet 1943 - page 302).
Une vie bouleversée est un itinéraire spirituel hors du commun. Il fait penser à la fois à Histoire d'une âme et à la montée des marches, pas celles du festival de Cannes, mais celles de l'échafaud que représente l'inéluctable déportation. A ce titre,
une vie bouleversée est une lecture bouleversante.