Un premier roman comme une gifle glacée.
Caroline Hinault, agrégée de lettres et enseignante en lycée à Rennes, fut bien inspirée de troquer le Bic rouge et les copies contre la plume de l'écrivain!
J'ai dévoré ce court livre de 128 pages, à la couverture qui donne déjà le ton, avec ces baraquements sur leur étendue gelée, balayés par des vents blancs de neige. C'est dans ce paysage polaire, fascinante unité de lieu, que l'auteur dépeint
Solak, une presqu'île imaginaire du cercle arctique, où elle dépose quelques bicoques et un drapeau, histoire de revendiquer ce territoire isolé. Les lieux sont gardés par trois militaires (un peu en surnombre pour veiller sur un seul étendard !) et un scientifique, chargé d'effectuer des relevés.
Le caractère désertique du cadre pourrait laisser présager d'un morne récit (peu de risque avec ce style littéraire affûté !). Or, celui-ci débute avec l'arrivée d'une nouvelle recrue, un des trois militaires de la base s'étant suicidé. le lecteur pénètre donc dans cette base polaire par le biais d'un hélitreuillage, permutant un cadavre avec un jeune soldat.
Voilà,
Caroline Hinault vient de briser l'équilibre anémié qui régnait à
Solak. Elle fait de ce jeune personnage ce qu'elle appelle un "accélérateur d'intensité narrative", car sa présence, mais aussi son mutisme, vont "rebattre les cartes" au sein de ce micro groupe.
En effet, celui qui sera nommé "le gosse" se révèle muet et donc peu enclin à la communication. Tendu, il écoute et observe, griffonnant régulièrement dans un petit carnet des pensées qu'il garde pour lui.
S'il est plutôt bien accueilli par le scientifique, surnommé Grizzly, qui lui fait partager ses connaissances et n'hésite pas à l'intégrer à ses missions de chercheur sur le terrain, ses deux collègues militaires sont plus circonspects à son égard. Piotr et Roq sont opaques et l'on pressent que leurs histoires personnelles sont lourdes. Car qui voudrait, comme Piotr, résider 20 ans sur une base polaire désertique ? Sans apparemment aucun espoir, ni volonté de retour. Quant à Roq, il ne cache pas sa brutalité, voire sa bestialité, qu'il canalise à peine à travers son activité favorite : chasser, tuer et tanner les peaux de tout ce qui bouge sur ou sous la banquise. le tout arrosé de pas mal de Vodka.
Avant tout, avant même le récit,
Solak est un titre qui claque dans sa sonorité et qui reflète une écriture et un style acérés, percutants, révélant une forme de brutalité: par les mots choisis, mais aussi par la fulgurante véracité qui s'en dégage.
Caroline Hinault sait à loisir asséner des constats d'une telle authenticité que lorsqu'elle les enduit d'ironie, sa plume se fait tranchante, et pourtant, paradoxalement, quelle poésie derrière ces mots incisifs ! Ces derniers sont assemblés pour contenir une colère et une violence ourdies, nous donnant la sensation continue d'une déflagration à venir.
Le récit se fait à travers un unique narrateur, Piotr, plus tout jeune, acceptant cet exil avec philosophie et résignation. Par sa narration à la syntaxe accidentée, Piotr mène ce monologue désillusionné et fataliste, promenant son oeil désabusé et paradoxalement contemplatif sur cette petite communauté, mais plus largement sur l'humanité. La force du récit lui doit beaucoup car Piotr est un personnage désamorcé mais qui sait voir la violence sans fard des autres.
Le roman se divise en plusieurs chapitres mensuels, d'août à mars, faisant ainsi se dérouler l'action peu avant la plongée dans la "grande Nuit", jusqu'au retour timide de la lumière. L'auteur nous entraîne dans une traversée sous tension de cette Nuit interminable, un huit clos dans un baraquement chaud, seul refuge dans cette étendue glaciale et hostile. Et alors que tous les dangers sont dehors, c'est à l'intérieur que réside la menace. le préambule au premier chapitre cueille le lecteur, en guise de bienvenue, par la sauvagerie qui se fait délivrance. Cette scène prendra tout son sens une fois le livre refermé et c'est un tour de maître que d'aboutir ce roman en apothéose, soufflant le lecteur et le renvoyant à ce préambule, bouclant ainsi la boucle.
Solak est court et intense, n'offrant que peu de répit au lecteur, dans son rythme mais surtout dans sa tension soutenue. Si le style m'a percutée au commencement, attisant tout mon intérêt, cette écriture tranchante et cette syntaxe hachée m'auront presque menée à l'overdose, mais c'était sans compter sur un dénouement qui m'a relancée dans ce "ring littéraire", achevant cette lecture en m'assénant un uppercut !
Caroline Hinault écrit sauvagement, comme un individu qui blessé gravement, plongerait à pleines mains dans sa blessure, et s'en repaît. Mais derrière son thème majeur, la violence et sa fatalité, subsiste encore, comme dans la boîte de Pandore, une ultime humanité.
À préciser que ce roman est publié aux éditions du Rouergue noir, qui proposent sur leur site internet 3 interviews vidéo de l'auteur, qui s'exprime sur "le lieu", "les personnages", "la révolte".