Un Babélien, dans sa critique, reproche à D. Horvilleur de n'avoir point défini ce qu'est l'identité. J'ai eu, pour ma part, le sentiment d'une définition implicite, certes, non normative, mais me permettant de comprendre le cheminement de sa pensée.
Cela dit, il faut admettre la polysémie du terme identité. Elle recouvre tant de phénomènes ; pour le cas qui nous intéresse ici, il s'agit à la fois de la singularité d'un individu qui le fait distinct d'un autre, et d'une appartenance à une communauté, une culture, qui autorise à parler, par exemple, de la judéité comme composante de l'identité d'un individu de la communauté juive. On peut en dire autant de l'appartenance à d'autres communautés, à d'autres cultures.
Voilà pour le décor. D. Horvilleur, à travers l'évocation de
Romain Gary pour qui elle voue une grande admiration au point de lui reprocher presque son suicide en 1980, s'interroge sur l'identité d'un être, sa liberté ou son enfermement à l'égard de l'identité qu'il a reçue à sa naissance et que le temps, jusqu'à un certain point, a consolidée.
Le cas de
R. Gary est intéressant à plus d'un titre puisque né juif sous le nom de Roman Kacew dans l'Empire russe en Lituanie, il est devenu français dès les années 30 et s'est battu pour la libération de la France durant la dernière guerre. Cependant, devenu écrivain, il a utilisé divers
pseudos et semblait prendre un malin plaisir à désorienter ses interlocuteurs avec ses variations identitaires.
En tout cas, la plus spectaculaire de ces variations est celle qui permet à R. Garry d'obtenir sous ce
pseudo, le prix Goncourt en 1956, puis un autre prix Goncourt dans les années 70 sous un autre
pseudonyme,
Emile Ajar.
Ce qui me frappe dans ce petit essai, c'est que D. Horvilleur semble opérer une critique en règle des obsessions identitaires qui enferment l'individu, nuisent à sa liberté, le rendent incapable de transcender l'identité reçue en héritage par sa filiation biologique et culturelle pour décider d'être un autre, à la manière de Gary, en définitive.
Dans le même temps, rappelant la judéité de Roman Kacew, elle semble faire une certaine apologie de cette identité juive sous le couvert un monologue très critique d'un
pseudo fils d'E.
Ajar, qui s'autorise tous les excès verbaux contre la culture abrahamique, contre le Dieu unique des Juifs, contre la circoncision, bref ! Contre tout ce qui fait qu'un Juif est juif.
J'y perçois une critique forcée, feinte, à l'égard d'une culture qui demeure fière de ce qu'elle est, fière de sa singularité dans
L Histoire. Au fond, quoi de plus naturel !
Du reste, D. Horvilleur est Rabbin (ou Rabbine ?), en d'autres termes, même si elle se déclare appartenir à la branche libérale du rabbinisme, en tant que Rabbin, elle est d'une certaine manière gardienne de l'identité juive, de la tradition juive qui comporte en sa racine, un germe de séparation d'avec le monde, selon la volonté de Dieu d'ailleurs, séparation qui se manifeste par exemple encore sur le plan matrimonial.
D'où ma perplexité, après avoir lu ce livre ; qu'elle était le but de la démonstration ? Nous naissons avec une identité, et dans les pays libres, plus tard, nous pouvons en choisir une autre, manifester notre préférence pour telle culture et abandonner la nôtre, voire quitter notre pays pour cela, changer de nationalité, de nom, bref, changer d'identité.
La vraie question est celle-ci, un Juif, un Musulman, contrairement à un Chrétien, peuvent - ils décider de cesser d'être Juif ou Musulman ? Les interdits alimentaires sont-ils transgressables, même quand on prétend se détacher de ces cultures ou de ces religions ?
Par contre, si l'on ramène l'identité à une couleur de peau, le Noir, ni
Le Blanc, ni le Jaune ne peuvent changer de peau. Mais est-ce que la couleur de la peau a quelque chose à voir avec l'identité ? La raison devrait nous conduire à répondre non. le personnage qui monologue semble dire que l'absence de prépuce le lie à jamais à la culture juive. Il a l'air de le regretter. Ma peau me lie à jamais au monde noir, mais cela ne m'empêche pas de dormir.
Malheureusement, si pour le Noir dans une société noire, le Jaune dans une société jaune et
Le Blanc dans une société blanche, cela n'a absolument aucune importance, lorsqu'une couleur de peau est minoritaire au sein d'une société, elle devient un élément de l'identité de l'individu, en bien ou en mal, à cause du regard des autres.
En définitive, la cristallisation du phénomène identitaire vient d'une discrimination historique qui se perpétue, ou en tout cas, est perçue comme se perpétuant, au sein d'une société. D'où la dérive victimaire qu'on observe en France et qui autorise toutes les outrances et des polémiques inutiles, alors que le vivre ensemble pourrait être si simple avec un peu d'intelligence. L'intelligence, c'est la clef du vivre ensemble.
Pat