Cela faisait plusieurs années que j'avais lu ce livre, que j'avais adoré.
Je viens de le relire pour la 3e fois, et il m'a encore davantage impressionné !
En 1968, les Soviétiques ayant envahi la Tchécoslovaquie, et interdit la publication de leurs ouvrages à de nombreux auteurs tchèques,
Bohumil Hrabal, qui subissait lui aussi ces pressions du pouvoir idéologique, s'adonnera néanmoins à l'écriture de ses plus grands livres, parmi lesquels «
Une trop bruyante solitude » (en 1976).
A savoir que les manuscrits circulaient en samizdats (écrits signés par l'auteur pour ne pas être considérés comme des publications clandestines par les autorités, mais comme simples manuscrits), et il a fallu attendre la fin des années 1980, (voire le début des années 1990) pour les voir édités à nouveau, légalement !
« Voilà trente-cinq ans que je travaille dans le vieux papier, et c'est toute ma love-story.
Voilà trente-cinq ans que je presse des livres et du vieux papier, trente-cinq ans que, lentement, je m'encrasse de lettres… ».
Ainsi commence ce livre, qui a fait connaître
Bohumil Hrabal en France.
C'est un court roman, magistral, un « Majestueux cri de révolte lancé à l'assaut des sociétés totalitaires ».
B. Hrabal y déplore un monde perdu.
Il l'aborde à travers le parcours du antihéros de son roman, qu'est Hanta. Son travail consiste à pilonner toute la journée, des livres, des encyclopédies et autres imprimés, au fond de la cave glauque d'une vieille usine, où grouillent les rats !
Hanta est « submergé » au sens propre comme au sens figuré, - submergé par le nombre impressionnant de livres qu'il sauve de la destruction, et qu'il amasse chez lui (tant bien que mal),
et – submergé par la destruction de toute une culture à laquelle il reste très attaché.
« Comme on ne peut plus y ajouter un seul volume, j'ai fait faire dans ma chambre, …des étagères en forme de baldaquin, …et j'y ai empilé deux tonnes de livres trouvés pendant ces trente-cinq ans ; quand je m'endors, ces deux tonnes de bouquins pèsent sur mes songes comme un énorme cauchemar… »
Les ouvrages qu'il ressuscite du pilon, vont du Talmud à
Schopenhauer en passant par Camus « parce qu'un livre renvoie toujours ailleurs hors de lui-même ».
Tout au long du récit, on voit Hanta se livrer à une étrange célébration de la destruction. C'est comme un grand rituel funéraire, mais il veut refonder la vie contre le désordre du système.
Hrabal avait fait beaucoup de petits boulots pour gagner sa vie, et lui-même avait été employé dans un dépôt de papier récupéré.
Hanta, cet antihéros, solitaire et marginal apparaît bien comme son alter ego. - Marginal, parce qu'il est fidèle aux valeurs d'un monde donné pour révolu, - marginal parce qu'il fait le métier de marginaux, en s'occupant de déchets, - ironiquement marginal, parce qu'il est chargé de détruire ce qui est infiniment précieux pour lui, mais dépourvu d'intérêt et de prix aux yeux de la société, alors que les oeuvres qu'il doit liquider sont bien celles de l'esprit humain !
Bohumil Hrabal fit le choix d'un ultime et radical plongeon. Sa vie s'est arrêtée entre le 5e étage et le RDC d'une clinique praguoise en 1997.
C'est aussi le sort qu'il attribua à son héros !
Et
Bohumil Hrabal de confier : « Je ne suis venu au monde que pour écrire -
Une trop bruyante solitude - »
On ne peut qu'acquiescer et reconnaître que ce roman court est un chef d'oeuvre de la littérature tchèque !
Je voulais ajouter aussi que le choix de l'oeuvre de
Paul Klee en 1re de Couv., ce crieur double qui fait la grimace, me semble bien approprié pour représenter l'état mental dans lequel se trouve Hanta et la souffrance qu'il éprouve.