Bon, je vais tenter de ne pas faire comme
Victor Hugo, c'est-à-dire trop long.
J'indique que, ayant lu plusieurs de ses livres, j'ai eu plusieurs heures de bonheur mais là c'est trop. Trop de redondances hugoliennes : ce qu'il exprime clairement en une phrase, il le décline ensuite en plusieurs, me donnant le sentiment qu'il fait étalage de ses possibilités à varier sur un thème. Je sais que cela fait partie de son style, reconnaissable, je sais qu'Hugo crée un monde en décrivant, crée une pensée en commentant, je sais que l'écriture d'Hugo est "logos" (à la fois "lieu" et "langage") mais j'ai trouvé que là il abusait et usait les figures de styles typiques de son style.. Énormément de courtes phrases contenant souvent une opposition ou une contradiction ( "il était dans une plaine et une colline, et il n'y était pas". " Il était palpable et évanoui"etc ). de même les citations latines (pas traduite dans mon édition Nelson). Presque une auto-parodie, une caricature de son style, en tous cas une surenchère. Ce qui fait le sel de ses poèmes nuit à ce roman, l'impression qu'il a lâché la barre et laisse le vent de sa maîtrise de la langue faire ce qu'il veut du bateau..
Trop. Beaucoup trop de passages qui n'apportent rien au récit, bien au contraire : il en avait déjà abusé dans
Notre Dame de Paris (les chapitres sur l'architecture de l'ancien
Paris..) mais là il a exagéré et j'ai survolé nombre de pages en diagonale (ce que je fais rarement). Pourquoi énumérer indéfiniment les noms et titres des Lords, ducs etc ? Il a dû copier des passages de livres et documents historiques. Les listes sont un genre :
Charles Dantzig, par exemple, en a fait (
encyclopédie capricieuse du tout et du rien), les variations sur un thème aussi mais c'est annoncé tel quel..
Pourquoi toute ces pages documentaires ? Quelques exemples auraient suffi et aurait évité d'attendre 300 pages avant de revenir à l'histoire des personnages qui nous intéressent..
On parle de son projet en 3 temps : un livre sur l'aristocratie, un sur la monarchie et le dernier sur la Révolution (ou la République ou la démocratie je ne sais plus).
Quatre-vingt Treize (le 3ème) est beaucoup plus digeste.
Pour montrer qu'il sait faire des listes ? Je ne suis pas sûr qu'il ait agrandi sa culture en faisant cela et il a barbé, agacé, le lecteur que je suis. Pour quoi ? Il s'est laissé enivré dans son cabinet d'écriture tout en haut de Hauteville-House dominant la mer ? Je préfère quand Hugo se laisse moins emporté par ses élans lyriques.
Quel dommage car l'histoire est bonne, en général bien écrite (malgré mes bémols sur le style), prenante, émouvante, dramatique, édifiante.. le début, tout en ombres, en silhouettes.. est tout de suite prenant. le naufrage est à mettre dans une anthologie littéraire des naufrages. On a droit à des "morceaux de bravoure" où les excès (de reformulation etc) peuvent être tolérés mais, en l'occurrence, le principal passage "héroïque" ( le discours de Gwynplaine face aux Lords) métamorphose un personnage, qui jusque-là a peu parlé, en orateur hors-norme, car l'orateur est en fait Hugo lui-même, qui se fiche là de la vraisemblance romanesque, et ceci devient un point intéressant du livre : Hugo en filigrane dans cet écrit. Il est à Guernesey, en exil et l'exil forcé est au début et à la fin du "roman". Il se documente sur les lieux proches et cela donne le naufrage au début du récit.. Comment ne pas voir aussi Lord Clancharlie (le père) en exil comme un portrait d'Hugo en exil ?
La fin - que certain(e)s trouve mièvre ou décevante ou autre - m'a touché car j'y ai vu, peut-être à tord, la réminiscence cathartique de la noyade de sa fille et de son gendre, survenue 20 ans auparavant.
Il y a aussi dans ce texte de grandes réussites : par exemple, cet enfant que le narrateur omniscient (et omnipotent) regarde et décrit, de loin,de près, est comme le premier enfant du monde.. que l'écrivain démiurge est en train de créer, les phares des Casquets, la marche dans les rues nocturnes désertes, le sommeil des enfants, la soi-disante bonté du très riche..
Ma déception est à la hauteur de mon attente sur ce livre. J'ai un meilleur souvenir des Travailleurs de la Mer (dont le titre est d'ailleurs assez peu adapté à mon avis).
Expurgé de tous les passages encyclopédiques, listes, documents historiques etc,
l'Homme qui Rit est digne des meilleurs récits de Hugo : ursus vaut bien Jean Valjean, Gwynplaine Gilliat et Déa Cosette.. N'est-ce pas ce qu'ont nécessairement fait les adaptations cinématographiques (que je n'ai pas vues) et les versions raccourcies (que je n'ai pas lues) ?