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sur 1308 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Lire Hugo c'est entrer en littérature.

Car la première rencontre dans ce roman, ce n'est pas l'Homme qui rit, c'est Victor Hugo. Plus exactement son style, toujours le même, de la première à la dernière page. Hugo ne se contente pas d'une comparaison par-ci par-là, non il impose son ossature stylistique “être ceci c'est encore être cela”, “cela a besoin de ceci pour exister” etc et à partir de là il déroule tout un nuancier de maximes, comparaisons et de métaphores, presque jusqu'à la redondance parfois, pour que son lecteur touche au plus près et au plus complet de sa pensée, tenez par exemple :

“On résiste à l'adversité mieux qu'à la prospérité. On se tire de la mauvaise fortune plus entier que de la bonne. Charybde est la misère, mais Scylla est la richesse. Ceux qui se dressaient sous la foudre sont terrassés par l'éblouissement. Toi qui ne t'étonnais pas du précipice, crains d'être emporté sur les légions d'ailes de la nuée et du songe. L'ascension t'élèvera et t'amoindrira. L'apothéose a une sinistre puissance d'abattre.

Se connaître en bonheur, ce n'est pas facile. le hasard n'est autre chose qu'un déguisement. Rien ne trompe comme ce visage-là. Est-il la Providence ? Est-il la Fatalité ?

Une clarté peut ne pas être une clarté. Car la lumière est vérité, et une lueur peut être une perfidie. Vous croyez qu'elle éclaire, non, elle incendie.”

Vous-êtes encore là ? Je vous le concède, le père Hugo dérange, agace, son héritage moral est comme trop lourd à porter dans une société à l'individualisme exacerbé, plus Stendhalienne qu'Hugolienne regrettait Régis Debray dans un récent essai.

Déjà l'auteur de “L'Homme qui rit” n'amuse pas ses contemporains, lors de la parution du livre Barbey d'Aurevilly, acerbe, écrit (pas sur babélio ça n'existait pas encore hein…) : “Il (Victor Hugo) coupe le fil à son récit et à ses personnages avec des dissertations abominables” … ce qui est un comble quand on sait à quel point le dandy normand aime à s'écouter gamahucher avec force amphigouris et prolégomènes au carré, il bave son encre sur des kilomètres de feuillets, mais c'est pour ça qu'on l'aime, n'est ce pas !

Néanmoins il est indéniable que cet ouvrage d'Hugo n'est pas qu'un roman. L'écrivain total, poète, romancier, dramaturge et essayiste a voulu en quelque sorte disserter par l'exemple, s'intéressant, sous le prisme de sa Noblesse, à l'Histoire de l'Angleterre, où il s'est exilé après avoir traité de nabot et de guenon Napoléon III (malaise…). Hugo historien vient manger le pain de Michelet ! Les familles aristocrates, les intrigues royales, les coutumes notabiliaires et l'exercice du pouvoir font l'objet de longues et énumératives digressions, laissant le lecteur sonné par l'énoncé de tant de patronymes facultatifs à la narration qui se retrouve quelque peu archipelisée… Histoire donc, mais aussi politique, Hugo le député, l'orateur, n'oublie pas son combat pour la démocratie c'est à dire l'égalité, l'Etat de droit ; c'est le système des castes, des classes qu'il veut démolir dans un discours à la chambre des Lords à la fois enlevé et lucide (dans l'accueil qu'il reçoit de l'auditoire), une leçon de rhétorique en direct pour le lecteur, par l'un des plus grands tribuns de son temps !

“L'éloquence est un mors ; si le mors casse, l'auditoire s'emporte, et rue jusqu'à ce qu'il ait désarçonné l'orateur. L'auditoire hait l'orateur. On ne sait pas assez cela.”

Vous commencez à comprendre qu'en dépit du nom du bouquin, l'Homme qui rit n'est pas spécialement drôle…vous voilà prévenus. Mais si vous avez le courage de poursuivre avec Hugo alors vous allez vous régaler car c'est une superbe aventure littéraire, avec quel éclat Hugo nous plonge au coeur du déchainement des éléments, comme dit la chanson “il y a des tempêtes et des naufrages” dans l'Homme qui rit !

"Victor Hugo n'est pas de la race des hommes, il est né des temps du dragon." écrivait son rival Sainte-Beuve. L'intrigue est résolument romantique, la tragédie grandiloquente, des marginaux dans leur solitude et leurs infirmités physiques ou sociales se réunissent, ils puisent ainsi la force dans le groupe, dans la noblesse (car la vraie noblesse, Hugo la place chez eux) et la pureté des sentiments qu'ils éprouvent les uns pour les autres. Des personnages machiavéliques, merveilleusement décrits, à l'image de Barkilphédro : “Il était habile à cet art qu'on appelle la suggestion, et qui consiste à faire dans l'esprit des autres une petite incision où l'on met une idée à soi.”

“La femme nue, c'est la femme armée.” le romantisme s'exprime encore dans une intrigue amoureuse un peu binaire : la pureté contre la tentation, la vertu contre le vice, la pâleur maladive, condamnée contre le pourpre et les baldaquins.

"L'Homme qui rit est supérieur à tout ce que Victor Hugo a écrit depuis dix ans. Il y règne un souffle surhumain” Emile Zola. Comme avec le personnage de Notre-Dame de Paris, Hugo joue sur le duo laideur/bonté, à contrepied des croyances crétines de son époque (et de la nôtre). Gwynplaine, le personnage principal est en effet affublé d'un triste sourire, scarification indélébile, génie littéraire que de créer ce clown triste au sourire sardonique, à la postérité mondialement connue sous les traits du fameux Joker de la bande-dessinée Batman, dont le sourire se transfigura en un rire retentissant dans les salles obscures avec le concours de Jack Nicholson, Heath Ledger ou encore Joaquin Phoenix…

“– Ne ris donc plus !
– Je ne ris pas, dit l'enfant.
Ursus eut un tremblement de la tête aux pieds.
– Tu ris, te dis-je.”

L'Homme qui rit est comme une bouteille à la mer, jetée par un comprachicos repenti, arrivera t-elle jusqu'à vos rivages…

Qu'en pensez-vous ?
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Sourire en coin, façon Joker, Gwynplaine ne hante pas les rues de Gotham City pour chasser de la Chauve-souris mais l'Angleterre de la fin du XVIIe et début du XVIIIe siècle. J'écris en chiffre romain puisque certains musées voudraient les supprimer pour simplifier la lecture des visiteurs. Pourquoi ne pas dégenrer monsieur Patate tant qu'on y est ? Ah, ils vont le faire aussi. J'abandonne.
Enlevé par les Comprachicos, qui ne sont pas des guitaristes manouches mais des personnes au CV peu recommandables puisqu'ils mutilaient des enfants pour les revendre dans les foires, Gwynplaine est secouru et élevé par Ursus, un saltimbanque philosophe après avoir été abandonné par ses ravisseurs. L'amuseur possède un chien-loup appelé malicieusement Homo.
Défiguré au scalpel, Gwynplaine grandit dans une roulotte auprès de Déa une jeune fille aveugle et d'une grande beauté. Les deux enfants sont inséparables et tombent éperdument amoureux. A la différence de Quasimodo et d'Esméralada, Déa ne peut voir le monstre et tombe sous le charme de son humanité. La belle s'éprend de la bête.
Gwynplaine constitue l'attraction principale des spectacles joués par sa petite troupe. Nul nez rouge, puces savantes ou numéro de jonglage, son sourire monstrueux suffit à attirer les foules et sa notoriété finit par attirer la curiosité de l'aristocratie.
Comme il s'agit de Victor Hugo, les choses tournent mal. Si femme qui rit à moitié dans son lit, l'homme qui rit, comme la vache, finit plutôt à l'abattoir de l'histoire. Ecrit pendant son exil à Guernesey, la météo locale et ses humeurs politiques lui inspirent ce drame baroque qui tient plus de l'opéra ou du théâtre que du roman. Hugo n'écrit pas ici des chapitres mais des actes, tant sa puissance d'évocation grave chaque scène dans l'esprit du lecteur. le génie Hugolien mixe histoire et poésie, drame social et philosophie. Au-delà de son goût pour les monstres, le poète est impitoyable avec l'aristocratie et il dénonce une nouvelle fois la peine de mort et les errements de la justice.
Gwynplaine va découvrir qu'il est de noble ascendance et va siéger à la chambre des Lords mais il est éloigné de Déa. Moqué par ses pairs lors d'un discours d'anthologie qui met en cause l'aristocratie, ses privilèges et sa capacité à maintenir son peuple au régime, il fuit ses titres pour retrouver Ursus et sa belle dans un dénouement tragique.
Les descriptions sont parfois interminables, les titres des lords sont énumérés sur plusieurs pages comme si l'auteur organisait des entractes entre des scènes à forte intensité dramatique… et pour permettre à son lecteur de faire des pauses pipi car le livre fait quand même 800 pages. Mais quel style ! Sous sa plume, les personnages fricotent toujours avec le mythe et le ton grandiloquent, ridicule chez certains, se mue en séance d'hypnose ici.
Echec public à sa sortie, peut-être lié à un trop plein d'intentions, « L'homme qui rit » n'est pas le plus lu des romans de Victor Hugo, ni le mieux structuré, mais les discours d'Ursus, la scène du naufrage et celle du gibet en début de roman mériteraient un classement à l'Unesco. Pourquoi pas des mots puisqu'il est question d'y classer la baguette de pain ou certains fromages ?
Une histoire qui ne prête pas à sourire.

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"L'homme qui rit" a beau être l'un des romans les plus connus de Victor Hugo, et peut-être, avec "Les Misérables", celui qui a le plus inspiré les sphères littéraire et cinématographique, on aurait tort d'y voir un roman.

De son propre aveu, Hugo se fait ici à la fois romancier, philosophe, historien et poète. D'où la richesse incroyable de l'oeuvre au final.

"L'homme qui rit" est le premier volet d'une trilogie qui devait traiter, dans cet ordre, de l'aristocratie, de la monarchie et de la révolution. Si le troisième tome, "Quatrevingt-treize" a bien été produit, le roman sur la monarchie n'aura, quant à lui, jamais vu le jour.

Pour le lecteur qui pense aborder un "simple roman", "L'homme qui rit" risque d'ennuyer car ce grand drame social laisse la part belle aux analyses tantôt politiques, tantôt philosophiques et tantôt historiographiques d'un auteur très documenté et très averti. C'est d'ailleurs là un reproche qu'on peut faire à Hugo, lorsqu'il a fouillé un sujet à fond - et c'est son habitude -, il veut le restituer avec un peu de trop de minutie, ce qui alourdit globalement la narration.

Non pas que ses analyses soient inintéressantes, bien au contraire mais elles créent des longueurs, nous faisant abandonner les personnages pendant parfois des chapitres entiers. Au coeur de ces dissections qui se font dissertations, se trouvent des thèmes forts et universels : la destinée, le devoir et le pouvoir, le divertissement et le plaisir, l'amour, les vices et les vertus, la richesse et la pauvreté, la vérité et la justice, etc.

Enluminant le récit, la plume admirable, miracle de finesse, de précision et de poésie tout à la fois. Absolument personne n'écrit comme Hugo, le poète se dissimule mal derrière le romancier. Sa puissance d'évocation n'est comparable à aucune autre, on est téléporté dans l'univers qu'il crée pour nous ; qu'il soit noir ou lumineux, peu importe, Hugo brille dans tous les registres.


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S'attaquer au grand Victor Hugo et finir cette lecture avec des sentiments mitigés, eh oui, malheureusement c'est ce qui m'est arrivé. J'avais lu, il y a très longtemps, Les misérables, et en gardais le souvenir d'une lecture passionnante. J'ai retrouvé ici l'écriture flamboyante de l'auteur qui me plait toujours autant, mais je me suis parfois ennuyée, d'autant plus que le livre I de ce roman m'avait envoutée et plaçait donc la barre très haut. Cette promesse n'a pas été complètement tenue.

Il s'agit de l'histoire de Gwynplaine, enfant mutilé par le désir d'un roi, qui sera abandonné une nuit d'hiver sur un rivage d'Angleterre. Son visage a été fendu pour la vie d'un éternel sourire, il est devenu à jamais et pour son malheur L'homme qui rit.
Recueilli par Ursus, l'homme et Homo le loup, avec Dea, bébé qu'il a recueilli sur le cadavre de sa mère, il deviendra le clou du spectacle que ce saltimbanque présente dans la banlieue de Londres. Dea et Gwynplaine sont amoureux. Dea aveugle ne peut voir la figure de son compagnon et ne voit que la beauté de son âme.
Tout est bien pour cette petite troupe, mais, écrit par Hugo, ce roman ne pouvait en rester là. Et le retournement de situation arrivant, qui semble bénéfique au premier abord, va précipiter les évènements vers une issue que l'on redoute tragique …

L'écriture d'Hugo prend toute son ampleur dès le livre I, qui est pour moi, hélas le plus réussi du roman. Je dis hélas, car c'est probablement une des raisons de ma demi déception pour la suite. Je n'y ai pas retrouvé cette osmose parfaite entre le fond et la forme, qui m'ont séduite autant l'une que l'autre.
J'ai aimé la description de cette tempête, le récit du naufrage, du lent cheminement de Gwynplaine à travers la lande glacée.La progression sur la lande glacée, au milieu des rochers escarpés fait écho à celle au milieu des flots déchaînés. Ces deux mondes, ces deux humanités s'opposent dans un déploiement magnifique où l'écriture poétique de Hugo prend toute son ampleur sans, à mon avis dans ce livre I, devenir grandiloquente, ce qui est avouons-le le péché mignon de l'auteur.
J'ai beaucoup aimé aussi cette introduction à ce qui constitue un des points clés du roman, la critique de l'aristocratie britannique. là aussi, dans ce livre I, l'ironie mordante de Hugo envers ces élus m'a séduite sans m'ennuyer, ce qu'il réussira très bien à faire par la suite :-(

Un début donc en fanfare pour moi qui ne sera jamais égalé par la suite, même si j'ai continué d'apprécier la prose, si certains passages m'ont fait sourire, d'autres ébloui par toujours cette flamboyance dans l'écriture.
Je n'ai pas retrouvé par la suite l'empathie que j'avais ressenti envers ces deux enfants, au départ. Gwynplaine et Dea adultes m'ont paru désincarnés, plus des symboles que de vrais personnages, regroupant dans leurs personnes tout ce qu'Hugo veut défendre et qu'il oppose à cette aristocratie qu'il méprise... Et Ursus restera mon personnage préféré.

Merci à tous mes compères pour cette lecture commune. Il est toujours si agréable et rassurant de pouvoir partager son ressenti et savoir que l'on n'est pas seule à peiner sur une lecture.
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Du grand Hugo, du gros Hugo même !
« L'homme qui rit » rassasie en effet pour un moment son lecteur, tant il est riche de mots (que de termes inconnus !), d'intrigue implacable, de savoir sur la seigneurie anglaise, d'amour absolu entre Gwynplaine le dévisagé et Déa l'aveugle, tout en emphases, en grondements, en orageuses ou lumineuses envolées, parsemé de passages d'anthologie (il n'y a pas à dire : les scènes du pendu, du naufrage, du spectacle par Ursus, du discours à la chambre des Lords coupent littéralement le souffle !)
Tant de grandeur tempétueuse, c'est presque trop pour ma petite personne, plus en phase avec la construction romanesque « classique » des Misérables, et j'avoue avoir par moment souffert d'un trop plein sous l'accumulation d'enflures de style, magistrales mais bourratives, et courbé l'échine sous les passages d'histoire déroulant les avoirs et l'exercice du pouvoir des Lords.
Le bonheur de lire n'en a pas moins été là, « l'homme qui rit » est un immense roman d'amour et d'aventure et cotoyer les mots du grand Victor reste toujours une expérience qui élève et épanouit !





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« Dans une destinée, quand l'inattendu commence, préparez-vous ceci : coup sur coup. »

Victor Hugo est un auteur que j'ai découvert et aimé adolescente, mais sa bibliographie est tellement longue que beaucoup de ses récits me sont inconnus. Après « Les travailleurs de la mer », me voici donc à lire « L'homme qui rit », un titre qui cache beaucoup d'ironie et de souffrance.

Tout comme Quasimodo dans « Notre-Dame de Paris », l'auteur, dans « L'homme qui rit », met en opposition l'aspect physique et la moralité, le héros de ce roman étant un homme généreux mais affreusement défiguré.
Un autre trait que l'on retrouve dans ses romans : son écriture poétique, plutôt emphatique mais tellement belle, décrit admirablement les paysages et les personnages, diffusant une ambiance sombre parfois chaotique, mystérieuse mais singulière.

*
Dans ce récit, Victor Hugo nous fait voyager dans l'Angleterre de la fin du XVIIe siècle, sous le règne de la reine Anne Stuart.

L'histoire commence de manière poignante par une nuit d'hiver glaciale, dans une petite crique isolée de la baie de Portland. Des vagabonds, appelés « Comprachicos », abandonnent un petit garçon sur une plage déserte. Cet enfant nommé Gwynplaine, regarde le bateau s'éloigner sans émettre un seul cri de détresse.
Autrefois appréciés pour leur talent à mutiler et défigurer les enfants exhibés comme des monstres de foire, ces fugitifs devenus indésirables sont chassés du sol anglais.

Le petit garçon va errer, seul, pieds nus et affamé, dans la tempête de neige. Au détour d'une potence, Gwynplaine découvre un nourrisson à peine vivant, une petite fille aveugle et chétive serrant encore le sein de sa mère morte de froid alors qu'elle la nourrissait.
Plus tard, ils seront recueillis par un vieux vendeur ambulant un tantinet philosophe qui se fait appeler Ursus, et son fidèle loup, Homo.

« Une loquacité de charlatan, une maigreur de prophète, une irascibilité de mine chargée, tel était Ursus. »

« Homo n'était pas le premier loup venu. A son appétit de nèfles et de pommes, on l'eût pris pour un loup de prairie, à son pelage foncé, on l'eût pris pour un lycaon, et à son hurlement atténu en aboiement, on l'eût pris pour un culpeu; mais on n'a point encore assez observé la pupille du culpeu pour être sûr que ce n'est point un renard, et Homo était un vrai loup. »

C'est ainsi que nous faisons connaissance avec des personnages principaux que nous retrouvons par la suite, quinze ans plus tard, en 1705.
Gwynplaine a bien grandi, il est devenu un jeune homme doux et sensible, aussi beau intérieurement que repoussant extérieurement par son visage mutilé et défiguré qui lui laisse un rictus perpétuellement heureux.

« Qui était−il? Il ne le savait. Quand il se regardait, il voyait un inconnu. Mais cet inconnu était monstrueux. Gwynplaine vivait dans une sorte de décapitation, ayant un visage qui n'était pas lui. Ce visage était épouvantable, si épouvantable qu'il amusait. Il faisait tant peur qu'il faisait rire. Il était infernalement bouffon. C'était le naufrage de la figure humaine dans un mascaron bestial. »

La petite fille sauvée du froid, qui s'appelle désormais Dea, est d'une beauté rare et délicate. Elle est tombée amoureuse de Gwynplaine et de son visage éternellement souriant.

« Ils semblaient être nés chacun dans un compartiment du sépulcre; Gwynplaine dans l'horrible, Dea dans le noir. Leurs existences étaient faites avec des ténèbres d'espèce différente, prises dans les deux côtés formidables de la vie. Ces ténèbres, Dea les avait en elle et Gwynplaine les avait sur lui. »

Avec Ursus, ils forment une petite troupe de comédiens qui gagne sa vie dans des représentations théâtrales, au cours desquelles les spectateurs rient du visage grotesque de Gwynplaine.
Meurtri intérieurement par ce sourire gravé à jamais qu'il offre aux regards railleurs, Gwynplaine, surnommé « l'homme qui rit », trouve l'amour dans le regard innocent et pur de Dea, dans la bonté un peu sauvage d'Ursus, dans la force tranquille et la fidélité d'Homo qui se moque bien de son apparence.

Mais qui est Gwynplaine ? D'où vient-il ? Comment s'est-il retrouvé entre les mains de ces bohémiens spécialisés dans le trafic d'enfants ?

« le malheur avait mis le doigt sur lui, le bonheur aussi. Deux destinées extrêmes composaient son sort étrange. »

*
Victor Hugo a un talent indéniable pour dessiner avec minutie de magnifiques portraits, mes préférés étant ceux d'Ursus et d'Homo.
Il les peint avec grandeur et éclat, beauté et générosité, déployant une langue riche et profonde pour pénétrer les pensées et décrypter les profondeurs de l'âme humaine.

En ce qui concerne notre héros romantique Gwynplaine, l'auteur a adopté un style plus subtil, nous laissant voir un personnage simple et candide, mais torturé et plein de contrastes. Il se cherche et se questionne, et, sous la pression de la société et le regard des autres, souffre.

Dea est magnifiée, décrite par petites touches d'une grande délicatesse, dans des teintes nacrées et douces pour faire ressortir son innocence, sa pureté virginale.

*
Lire Victor Hugo n'est pas facile : il y a une sorte de grandiloquence et d'exubérance qui, à mon avis, dessert l'intrigue et les personnages en les diluant dans de nombreuses digressions.
Ainsi, mon intérêt a oscillé, ondulé, parfois bercée et enivrée par la poésie de l'auteur, d'autre fois engloutie sous de longues descriptions, développements ou analyses, intéressants au demeurant, mais trop détaillés et redondants.

Néanmoins, ces passages plus délicats à aborder valent la peine d'être franchis pour retrouver le fil du récit et la beauté de l'écriture, car n'est pas Victor Hugo qui veut.
Sa plume, verbeuse et érudite, fougueuse et passionnée, éloquente et poétique, décrit, raconte, perce les pensées. Et même la souffrance, la pauvreté, la laideur, la médiocrité et la nuisance humaines, sont magnifiées par une écriture d'une extrême beauté.

*
« L'homme qui rit » de Victor Hugo est un roman très intéressant car il éclaire et analyse la société de son époque.
Tout en explorant les thèmes de l'identité et du destin de l'homme, de l'amour et de la mort, il soutient des valeurs humanistes et aborde les droits de l'homme, la liberté, la justice sociale et les discriminations, la misère et l'exclusion sociale, offrant ainsi une critique subtile de la noblesse.
Ces thématiques trouvent une résonnance particulière encore aujourd'hui.

« … c'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches. »

Le ton est souvent d'une ironie noire, mordante et sarcastique, laissant courir une impression d'obscurité et de noirceur autant que de grotesque qui perdure le livre refermé.
L'auteur a réussi à créer un bel effet de clair-obscur en abolissant les frontières entre la beauté et la laideur, l'amour et la haine, le bonheur et le malheur. Il resserre la gamme chromatique autour des contrastes entre ombre et lumière, être et apparence, amour et désir, bonheur et ambition, pauvreté et noblesse.

*
Comme une proximité qu'il a créé durant ses années d'exil à Guernesey, l'océan est souvent présent dans l'oeuvre littéraire de Victor Hugo comme miroir et métaphore des pensées et de la destinée humaines.

« Sous de certains souffles violents du dedans de l'âme, la pensée est un liquide. Elle entre en convulsions, elle se soulève, et il en sort quelque chose de semblable au rugissement sourd de la vague. Flux, reflux, secousses, tournoiements, hésitations du flot devant l'écueil … »

C'est dans la première partie du livre que l'auteur fait preuve de toute sa puissance lyrique pour traduire l'esprit de l'océan, le déferlement de ses vagues poussées par le vent, sa puissance titanesque, l'animant d'un visage inhospitalier et démesuré, implacable et destructeur.
La tragédie qui se joue au début du récit est celle qui m'a le plus plu.

« Les navires sont des mouches dans la toile d'araignée de la mer »

*
Pour conclure, « L'homme qui rit » est un roman complexe, une satire de la monarchie anglaise, une fable sombre et triste qui oppose l'histoire simple et touchante de deux âmes innocentes prises dans l'étau de l'hypocrisie et de la cruauté humaines.
Politiquement engagé, Victor Hugo se fait tour à tour poète, conteur, dramaturge, historien, humaniste, transportant les lecteurs dans l'univers tragique, sans concession et sans espoir.

« Ainsi est fait le genre humain. Hostile, mais reptile. Dragon, mais ver. »

*
Je remercie mes compagnons de lecture pour cette incursion dans l'oeuvre de Victor Hugo. Que l'on adore ou que l'on soit plus réservé, tous ces regards croisés et ces échanges sont très enrichissants.
*
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Une lecture dérangeante mais, qui pour le coup, je suis sûre de ne pas oublier. Dans cette adaptation en bande-dessinée par Fernando de Felipe, cela l'est d'autant plus qu'il y a les images qui restent, rajoutant un peu plus à l'horreur déjà décrite par Victor Hugo.

Gwynplaine est alors un jeune garçon lorsqu'il se présente, frigorifié et affamé à la roulotte d'Ursus, un homme solitaire appartenant à une troupe de saltimbanques. Il ne s'y présente pas seul puisqu'il a recueilli dans la neige, arraché aux bras de sa mère rongée par la peste, un jeune nourrisson, une petite fille à laquelle le froid aura ravie à jamais la vue. Tous trois, accompagnés, du fidèle compagnon, d'Ursus, Homo, un chien-loup auraient pu vivre heureux si le voile n'avait pas été levé sur la véritable condition de ce jeune garçon, défiguré à jamais et désormais appelé par tous"l'homme qui rit". Je ne veux pas trop vous en dire sur cet acte cruel de barbarie qui lui fut infligé dès l'enfance car là repose tout le mystère de sa condition. Là où l'on découvre jusqu'où peut être poussé des hommes jaloux, bien trop envieux de la richesse et du pouvoir des autres et qui seraient prêts à tout pour que la vérité n'éclate jamais au grand jour...

Un ouvrage remarquable que je n'ai lu que dans sa version grandement allégée en me concentrant pour l'instant sur cette adaptation en bande dessinée mais je n'oublie pas de me pencher un jour sur les oeuvres intégrales de ce grand maître de la littérature et penseur que fut Victor Hugo !
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Mr Hugo m'a piégée ! Je suis parvenue à lire ce pavé et j'en suis tout étonnée ! Mais cette lecture, dense et démente, m'a laissée "groggy". Tout y est démesuré et sujet à maintes digressions ( que je me suis autorisée parfois à survoler). Tout est matière à exacerbation des émotions ( EFFROI dans la scène mémorable du gibet), exagération de circonstance dans des scènes improbables ( une "petite vie", sous la neige ensevelie , dans les bras de sa mère morte, blottie). Tout est prétexte à diversions, circonvolutions, comparaisons. Mr Hugo en fait des tonnes, au risque d'être assommant. Ses écrits ont certainement eu du poids en ces temps-là !
Ceci dit, Mr Hugo nous écrit un roman d'une grande amplitude, avec une diversité de tons, une variété de thèmes, une foison d'émotions, que l'on ne peut que saluer cette oeuvre magistrale et majestueuse . Il se fait le chantre d'une partition multidimensionnelle et l'on ne peut que rester ébahi, ébloui, conquis.

Mais, pour moi, Hugo, c'est fini. Je ne crois pas que j'y retournerai un jour.
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Cet être nommé Gwynplaine a été façonné pour faire rire. Mais c'est un rire à frémir. Ce personnage en a d'ailleurs inspiré quelques-uns: d'Ellroy, qui l'évoque dans le dénouement du "Dahlia noir", à Marvel avec l'aspect terrible du Joker.

Mais Gwynplaine est un être sensible derrière son masque de chair. Il devient au fil du roman un messager du peuple qui souffre. Ce message sera-t-il compris à la chambre des Lords d'Angleterre?

C'est une grande oeuvre que ce roman servi par des scènes incroyables de bateau pris dans la tempête, d'enfant perdu dans la neige, de pendu servant de repère sur la côte anglaise, de tortures dans les prisons.

Oui, c'est une oeuvre assez noire mais qui n'empêche pas quelques lumières d'espoir comme celui d'un amour très singulier que l'on découvre au fil des pages et d'un vibrant discours final, un plaidoyer politique contre les excès et l'aveuglement de l'aristocratie du 18ème siècle dans le parlement d'outre-Manche.

Cette oeuvre recèle donc des trésors et on ne lâche pas le livre si facilement à moins qu'un développement annexe ne vienne interrompre son cours.

Comme si l'assiette, trop copieuse et trop composite, ne permettait que l'on
la savoure que par moment et que l'on mette de côté ce qui paraît indigeste.

On pourra donc passer certains passages sur l'architecture des phares et leurs éclairages, des textes de loi et l'annuaire des pairs, ducs, évêques et compagnie, d'Angleterre.

Toutefois bien que copieuse, je vous recommande cette assiette anglaise.

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Quelle lecture ! Très riche en savoir historique sur le XVIIème siècle de l'Angleterre, le système de l'aristocratie, de la chambre des Lords mais aussi autour de la navigation, et du système judiciaire. On y apprend énormément de choses, que je ne retiendrai surement tellement l'apport est conséquent, mais cela ne fait que conforter le tablent de Hugo et son esprit travailleur.
au delà de ce fond historique, on suit le parcours d'un jeune homme défiguré tout petit, abandonné à 10 ans sur les rives de l'Angleterre et qui malgré tout ce malheur ne sera pas rancunier envers la Vie. Il sauvera même celle d'un tout petit bébé alors que lui-même meurt de faim, de froid et de fatigue.
Ils atterriront tout deux chez Orsus, un forain philosophe, médecin, bourru mais au coeur énorme. J'ai adoré son personnage, toujours râleur mais qui donnerai sa vie pour "ses" deux enfants.

Hugo aborde comme toujours ses thèmes de prédilection, la pauvreté contre la richesse du coeur, la laideur contre la beauté intérieure, les manigances de l'aristocratie contre la vie simple des plus modestes.
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