Retour sur un ma lecture de "
l'homme qui rit" de
Victor Hugo, son avant dernier roman (1869), dont je ressors avec des sentiments...partagés.
J'avais prévu de le lire il y a quelques semaines mais j'avais choisi de décaler cette lecture. Il faut en effet une certaine dose de"motivation" pour se lancer dans un roman d'Hugo.
J'ai vu quelques avis qui placent "
l'homme qui rit" au-dessus des "Misérables", ce dernier étant ma définition personnelle d'un chef-d'oeuvre (même si ce n'est pour autant pas mon roman préféré): thématiques, personnages, digressions qui se rattachent au récit avec une virtuosité sans équivalent (la partie dédiée à Waterloo...), émotion (la première rencontre entre Causette et Valjean), etc.
Beaucoup l'ont pourtant abandonné à cause d'un début jugé trop long. Bien que cette première partie, consacrée à Mgr Myriel, longue de moins d'une centaine de pages, soit indispensable pour présenter l'homme qui sera à la base de la construction du nouveau Valjean/Madeleine/Fauchelevent.
L'action de "
l'homme qui rit" débute à la fin du 17ème siècle, en 1690, en Angleterre. Guillaume III d'Orange, protestant, vient de renverser Jacques II, catholique. Anne, la propre fille du souverain déchu, monte sur le trône en 1702 après la mort de Guillaume sans descendance.
A cette époque sévissent les Comprachicos, "hideuse et étrange affiliation nomade", spécialisée dans le commerce (ils les achètent lorsque des parents veulent s'en débarrasser) et la torture d'enfants. Dans le but d'en faire des monstres... "Pourquoi des monstres? Pour rire. le peuple a besoin de rire. Il faut aux carrefours le baladin; il faut aux Louvres le bouffon"
Les Comprachicos sont devenus indésirables en Angleterre en cette fin de siècle, mais aussi dans le reste de l'Europe. Toute troupe avec des enfants étant suspecte, ils fuient donc le royaume en abandonnant leurs pauvres victimes à leur destin.
C'est un de ces enfants, abandonné par des fuyards et défiguré par un sourire éternel dont il n'a pas encore connaissance, que nous allons donc suivre. Plutôt jeune homme d'ailleurs grâce à l'utilisation d'une ellipse.
Victor Hugo avait déjà évoqué un être difforme, 38 ans plus tôt, dans
Notre-dame de Paris
Qui est-il ? D'où vient-il ? Comment va-t-il survivre ainsi mutilé ?
Dès le début du roman, notre cher Hugo...fait du Hugo.
Il faudra donc patienter, attendre qu'il mette en place ses personnages, son contexte, son atmosphère.
Logique pour un pavé de 800 pages, format auquel je suis habitué. Mais cela reste long. Et il va distiller dans tout le roman ses (trop) nombreuses digressions et explications historiques.
Hugo nous a habitué à ce genre de prouesses.
Je pense notamment aux chapitres "
Paris à vol d'oiseau" et "ceci tuera cela" dans Notre Dame.
2 chapitres digressifs compliqués, brillants, comme souvent chez Hugo, dans lesquels il prend le temps de nous décrire tout
Paris ou d'émettre une thèse sur le remplacement de la construction par l'imprimerie.
Hugo est comme cela: capable d'arrêter le cours de son récit pour développer quelque chose qui lui tient à coeur, et y revenir plus tard.
Il utilise à nouveau ici un découpage en Livres permettant de découvrir les différents personnages sans qu'ils n'aient encore d'interactions. Avant de les faire se rencontrer et que leurs histoires se mêlent. Même si le lien est évident et que ces rencontres sont fortement attendues par le lecteur. Procédé habituel chez l'auteur, tout comme le "faux suspense"
Comme toujours chez Hugo, certains passages sont d'une beauté à couper le souffle. Grâce à Gwymplaine, son personnage principal, mais également à Dea que vous découvrirez.
J'ai parfois ressenti des frissons à la lecture. Pas métaphoriquement. Littéralement.
Ces passages alternent toutefois avec des parties plus rudes. Dans lesquelles il ne va pas hésiter à faire étalage de sa maîtrise parfaite (prétentieuse?) de la langue.
J'avais lu cette phrase quelque part, je ne sais plus exactement où, peut-être dans la préface d'un autre roman: "Hugo était un génie et il le savait"
Toutes les pages sont d'ailleurs agrémentées d'un nombre proprement hallucinant de notes en bas de page, indispensables parfois à la compréhension d'un mot ou d'un contexte. Cela hache malheureusement la lecture. Impression renforcée par un name-dropping très fréquent (dans ce contexte on me pardonnera l'anglicisme), tant du côté de nos voisins outre-Manche que du côté français, un parallèle constant étant établi avec le royaume de France. Les références mythologiques sont également légion. Les hellénistes seront ravis de ce côté là.
J'ai trouvé dans "
l'homme qui rit" un livre ardu dont la lecture se révélera exigeante, voire fastidieuse, tant on a régulièrement l'impression de lire un livre d'histoire et non plus un roman.
Il reste toutefois les moments de grâce évoqués plus haut, qui se hissent au Panthéon de la littérature et de l'émotion. Et qui méritent sûrement de surmonter les difficultés rencontrées et les longueurs habituelles, bien que brillantes je le répète, de son immense auteur.
On est donc en face d'une grande oeuvre c'est certain, mais dont l'aspect romanesque me semble finalement inférieur en quantité (il faudrait compter...) à l'aspect descriptif et historique de la monarchie et de la pairie britannique.
Elle en est évidemment une critique acerbe, un plaidoyer pour le peuple, comme cela a déjà été le cas pour Hugo dans "
les Misérables" ou dans son fameux "discours sur la misère" J'ai été conquis par le premier aspect, plus dubitatif sur certaines parties du second.
Ce livre en ravira certains et en rébutera d'autres.
Et J'attendrai donc quelques mois avant de me lancer dans "
Quatre-vingt treize".
Mais il mérite assurément d'être lu, pour l'émotion qu'il peut susciter, et aussi pour l'ambition, parfois démesurée dans sa construction, de son auteur.
Et que c'est beau.
Bonne lecture à tous