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sur 1322 notes
Je suis en cours...

Comme souvent, le père Hugo, faut s'le faire ! Vu de près c'est plein de mots savants, sur de longs chapitres bizarres (la marée, la tempête, fiches techniques sur la navigation...) ; Les personnages sont de vraies caricatures, il y a une certaine naïveté, une lourdeur psychologique ...

Et quand on se remémore ce qu'on vient de lire, cela a une force extraordinaire, mythique, je dirais... un souffle qui emporte tout...

Hugo a l'envergure d'un constructeur de mythes. Justement (sans doute) du fait de l'apparente naïveté de ses créatures.

Bon, je continue...

J'ai terminé... à force ça lasse... le souffle devient monotone et j'ai sauté des pages.

Il en fait trop, trop de digressions. Vaste esprit certes, mais un peu trop monsieur-je-sais-tout. Je me suis dit en passant qu'il ne devait pas être rigolo pour les femmes de sa vie... Et puis "L'homme qui rit" ne vaut pas Notre-Dame de Paris. Points communs : fascination pour la difformité, les grandes fresques, et le mal. Mais là où j'ai senti Frollo vibrer dans Notre Dame, je n'ai pas ressenti d'émotion dans "L'homme-qui-rit".
Quant au fond, celui qui importait vraiment à Hugo, il s'agit d'un plaidoyer contre la monarchie et pour la République. Intérêt historique sans doute, quoiqu'on dise que l'histoire ait été par lui un peu malmenée, mais cela importe-t-il ? Foin de l'anecdote, vive la substantifique moëlle !

Mais lourd, lourd ... plutôt plat en sauce que régime méditerranéen.

Fini ... je vais pouvoir passer à du léger...

Dostoïevski, tiens ! -;
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Comparée à sa production poétique (plus d'une vingtaine de recueils, dont au moins trois chefs-d'oeuvre absolus : « Les Châtiments », « Les Contemplations », « La Légende des siècles »), la production romanesque de Victor Hugo apparaît plus légère : seulement neuf romans : deux romans de jeunesse (« Bug-Jargal » et « Han d'Islande »), deux romans didactiques (« Claude Gueux » et « le dernier jour d'un condamné »), deux chefs-d'oeuvre absolus (« Notre-Dame de Paris » et « Les Misérables ») et enfin trois « grands romans » (« Les Travailleurs de la Mer », « L'Homme qui rit » et « Quatre-vingt-treize »).
Dans la plupart de ces romans, les lecteurs et lectrices attentifs et attentives (et je sais que vous l'êtes) auront remarqué la place importante qu'y tient l'Histoire : histoire contemporaine ou récente, ou bien plus ancienne.
« L'Homme qui rit » place son intrigue dans le XVIIIème siècle anglais. le choix de l'époque n'est pas innocent : En 1869, date de sortie du roman, la France est encore (mais plus pour longtemps) sous la botte de Napoléon III. Victor Hugo tient à dénoncer un pouvoir arbitraire, écrasant de richesse, et impitoyable pour les pauvres et les faibles. le XVIIIème siècle anglais est l'image même d'une noblesse oisive et insensible au peuple, et d'un peuple misérable mais qui accepte sa misère et cherche son « divertissement » dans le rire, fût-il à ses dépens. C'est l'un des thèmes exposés par l'auteur.
Mais il y en a d'autres : « Si l'on demande à l'auteur de ce livre pourquoi il a écrit « L'homme qui rit », il répondra que philosophe, il a voulu affirmer l'âme et la conscience, qu'historien, il a voulu révéler des faits monarchiques peu connus et renseigner la démocratie, et que, poète, il a voulu faire un drame (ébauche de préface - 22 mai 1868 - Choses vues) ».
Quand on lit « L'Homme qui rit », deux impressions viennent immédiatement à l'esprit : une érudition touffue, parfois bien venue, mais aussi parfois un peu lourde (on l'a vu dans d'autres ouvrages, y compris dans les meilleurs), et surtout un jeu permanent sur les contrastes, les antinomies, les contraires, les oppositions. On se souvient que dans les manifestes du Romantisme, l'alliance du grotesque et du sublime venait en bonne place. « L'Homme qui rit » en est l'illustration. Les infirmités physiques cachent des bontés d'âme : Gwynplaine, défiguré, et Déa, aveugle, sont des modèles de bonté et de pureté. En revanche Josiane sous une beauté éblouissante cache une noirceur de démone. La plupart des personnages ne sont pas ce qu'ils prétendent être. L'auteur joue même le paradoxe jusqu'à inverser l'homme et le loup : le loup qui a un nom d'homme (Homo) et l'homme qui a un nom d'animal (Ursus = ours, il aurait pu l'appeler Lupus).
L'histoire elle-même, débarrassée de toutes les considérations historiques et philosophiques, pourrait être celle d'un roman-feuilleton classique : on apprend que Gwynplaine, l'enfant abandonné et défiguré est en fait le fils et héritier d'un lord, et le roman bascule alors dans un mélo conventionnel.
Un grand roman, donc, pour son propos, et pour la façon dont Hugo le présente. Mais assez difficile à lire si on ne se résout pas, de temps à autres, à sauter quelques paragraphes, ou même quelques pages, plutôt indigestes.
Cela dit, cela reste du Victor Hugo. Dans Victor Hugo, comme dans le cochon, tout est bon. Cochon qui s'en dédit.
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Une nuit d'hiver, un enfant est abandonné sur le rivage d'une île d'Angleterre. Longtemps, il regarde s'éloigner le navire à bord duquel on l'a empêché de monter. Transi de froid, il s'enfonce dans la neige et l'obscurité, marche des heures, jusqu'à découvrir une roulotte habitée par un vieillard. Il s'appelle Ursus, il est saltimbanque et parcourt les routes depuis toujours avec son loup Homo, son ami le plus cher. Quand Ursus découvre le visage de l'enfant, il est stupéfié. Gwynplaine - ainsi qu'il se prénomme - porte une vilaine cicatrice qui s'étire de la bouche aux oreilles, formant un rire figé et grimaçant, qui terrorise, amuse et fascine. de cet enfant défiguré, Ursus fera son compagnon de route, son fils, son protégé. Ensemble, ils vont former une troupe de théâtre et une famille ; ils vont tisser des liens uniques, jusqu'à une révélation qui fera tout voler en éclats.

Ténèbres et lumière, sublime et grotesque, rire et souffrance, grandeur et misère : toute la beauté du roman réside pour moi dans ce savant mélange des contrastes, cher à Victor Hugo, chef de file du romantisme. Les personnages eux-mêmes oscillent entre ombre et clarté, qu'elles soient symboliques ou matérielles. Bien souvent les phrases enflent, la prose est grandiloquente et le lexique trop technique, mais quelle beauté ! Il y a ce mot qui tombe juste, cette perfection du rythme et des sonorités qui donnent un sentiment d'équilibre et d'harmonie.

Cette écriture très lyrique porte un roman dense, aux multiples facettes. J'y ai vu une belle histoire d'amour entre deux âmes pures, mais aussi une fresque historique sur l'Angleterre du 18e siècle, et une épopée qui flirte avec le fantastique - la mer et la neige se déchaînent, des cadavres bougent, des yeux aveugles perçoivent la vérité, les murs d'un palais semblent rire et chuchoter. J'y ai vu aussi un bel hommage au théâtre, car c'est le théâtre qui sauve Gwynplaine, et tout le roman est habité par la théâtralité, en particulier à la cour des lords  : on se cache sous le fard et les perruques, on complote dans les corridors du palais, on confie des lettres, on s'aime clandestinement.
Enfin, « L'homme qui rit » est un violent plaidoyer contre l'injustice, la société et le royalisme. Gwynplaine porte le coup de griffe d'une société impitoyable et criminelle, gouvernée par des rois qu'il faut distraire à tout prix, quitte à mutiler des enfants. Derrière le rire grimaçant de Gwynplaine se dessinent toute l'ironie, le désespoir et la fureur de Victor Hugo.

Ce chef-d'oeuvre m'a enchantée et garde une place particulière dans mon coeur. Je n'oublierai jamais le loup Homo, loyal, discret, tranquille et doux, qui ouvre et clôt l'histoire.
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Encore un chef d'oeuvre de Victor Hugo, moins connu que les autres monuments épistolaires qu'il a pu rédiger en pléthore.
Avec l'ami Victor,rien n'est à jeter, c'est un touche-à-tout : il est politicien, portraitiste, caricaturiste, bref dessinateur , adepte de spiritisme et historien : par ces récits, on est transporté dans le passé et on déambule dans le Paris médiéval bercé par les cloches de Notre-Dame, on assiste au déroulement du champ de bataille de Waterloo tout en scrutant les pérégrinations de Valjean.
Ici le génie nous sensibilise sur l'histoire de l'Angleterre des pairs du royaume et malgré le titre fallacieux, ne vous attendez pas à un roman joyeux comme tout chef d'oeuvre du maître qui se respecte!
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Dès les premières pages, j'ai été chamboulée par la poésie des descriptions. La rencontre avec Ursus et Homo fut juste sublime et m'apporta dès les premières pages cette réconfortante sensation de plonger à nouveau dans un roman d'exception.
Par la suite, chapitre après chapitre se déroule un ouvrage grandiose, parfois grandiloquent certes mais extraordinaire. Car, au-delà de l'intrigue résumée, avec Hugo, tout est prétexte à digressions qui viennent servir l'histoire. Ainsi, outre le fait qu'il prend son temps pour poser le cadre et développer ses personnages, il sublime également la nature et ses affres, ses beautés et ses violences tout en exaltant en parallèle l'intériorité des personnages, les émotions et les dilemmes qui les traversent. le récit s'ouvre sur les pièges de la mer, de la neige et de la nuit avant de raconter ceux – cruels et révoltants – des hommes. Oreilles bouchées et coeurs fermés.
Au coeur des injustices, des pauses, à l'instar de la rencontre poignante d'Ursus et des enfants Gwynplaine et Dea. Misanthropie bougonne immédiatement emplie de tendresse. Après le silence au milieu des éléments, un dialogue, un échange. Après la solitude, des âmes qui se trouvent et s'adoptent.
Ce quatuor est tout simplement magnifique. Autant j'avais bien souvent entendu parler de Gwynplaine et Dea, autant j'ai pu découvrir – et quelle rencontre ! – Ursus et Homo. S'ils sont souvent archétypes, ils sont aussi sincérité, poésie et émotion. La luminosité protectrice de Dea, les tirades d'Ursus et ses marmonnements attendris, la présence réconfortante d'Homo, Gwynplaine tiraillé, tenté, furieux, majestueux…

Retrouver la verve d'Hugo fut à nouveau un plaisir immense et jamais démenti. Sa plume, précise, foisonnante, éclatante, érudite, recherche constante d'un vocabulaire parfait. Ses portraits tout de vie, d'images, de fureur et d'émotions. Ses parenthèses, ses développements d'une richesse inouïe. Son intelligence, qui va bien au-delà des références historiques, mythologiques, bibliques que je ne peux prétendre toutes saisir. Ses apostrophes au lecteur. Ses touches d'ironie qui critiquent une société, une injustice, ce cynisme s'opposant aux personnages romantiques et idéalistes.

Hugo, à travers ses protagonistes, dénonce la roulette du pouvoir, la justice dévoyée, la peur des petits constamment écrasés, l'oisiveté immorale de l'aristocratie, le gouffre entre ceux qui ont tous et ceux qui ne sont rien. En ces temps d'instabilité politique où l'Angleterre oscille entre république et monarchie, Gwynplaine affute son esprit critique, constate les inégalités et la toute-puissance écoeurante des lords jusqu'à cet aboutissement : un discours déchirant et éclairant, criant de vérité. de là un drame : l'impossibilité pour cette voix sensible, intelligente et raisonnable de se faire entendre à travers son masque de chair.
À l'instar de Notre-Dame de Paris, Hugo interroge : qui sont les véritables monstres ? Question rhétorique, me direz-vous… Josiane et Barkilphedro – dont je ne dirai rien pour vous laisser le plaisir de la découverte – m'auront marquée à l'image d'un Javert ou d'un Frollo…

Certes, l'on se demanderait presque parfois si l'intrigue avance dans ce roman bavard et dense (où l'abondance de mots semble tenter de s'affranchir des frontières des mots et donner à ressentir le caractère vaporeux et fourmillant de la pensée), intimidant plaidoyer politique. Et pourtant, oui. Car cette histoire superbe est une plongée dans une société, dans les classes sociales qui dessinaient l'Angleterre des XVII-XVIIIe siècles ainsi que dans des destinées individuelles magnifiques. Une plongée dans la misère, l'inhumanité, le sordide et, malgré tout, l'espoir. Encore une fois, Hugo, perpétuel virtuose, m'a transportée et bouleversée, c'est un souffle puissant, à la fois magistral et déchirant. Je suis émerveillée et éblouie, que dire de plus.
Lien : https://oursebibliophile.wor..
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L'homme qui rit est un ouvrage de Victor Hugo à découvrir : un scénario relativement simple de la trajectoire de vie d'un enfant abandonné puis recueilli par un saltimbanque alors qu'il sauve lui même de la mort un nourrisson qui deviendra sa bien aimée. Un destin cependant inattendu pour les 2 protagonistes majeurs. Et une foule de descriptions, digressions sur l'Angleterre du XVIII ième siècle qui ont valu à l'oeuvre une certaine presse sceptique. C'est pourtant un récit coloré et documenté qui explore, au delà du destin des personnages un contexte historique détaillé dont l'intérêt n'est pas des moindres. La plume de Hugo reste enlevé et inspirée et fait de ce récit une singulière épopée.
Lien : https://www.babelio.com/monp..
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D'après ce que j'avais lu, c'était soit le meilleur livre de Victor Hugo, soit le pire...
Et bien je suis assez d'accord, c'est où l'un où l'autre ! ^^'

J'ai trouvé l'histoire bien, et la critique sociale pertinente, claire et bien menée. Par contre, le style est lourd lourd. Avec des digressions à n'en plus finir. Sur les 750 pages environ de ma version pocket, il faut presque attendre 500 pages avant de rencontrer le fameux Gwynplaine, c'est long...
Et c'est construit de telle façon qu'on se doute de bout en bout de ce qui va arriver... (Sauf le final, auquel je ne m'attendais pas, je l'avoue).

Un livre qui est dur à lire. Dont on se sent éloigné des personnages, non pas à cause de leur personnalité(s), mais à cause du style de l'auteur, probablement délibéré.
Ca reste une curiosité. Mais une curiosité lourde à lire ^^'
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J'aurais du mal à dire quel est mon roman préféré de Victor Hugo, mais L'homme qui rit serait assurément sur le podium, si ce n'est sur la première marche de celui-ci.

Victor Hugo nous plonge dans l'Angleterre de la fin du XVIIe siècle, dominée par une aristocratie qui peut faire et défaire les rois selon des critères religieux ou par pur intérêt, quand l'un ne cache pas l'autre. Il nous mène à la rencontre d'une troupe étrange de saltimbanques attachants, jusqu'à la chambre des lords et ses sombres intrigues de cour.

L'homme qui rit du titre, c'est Gwynplaine, enfant de dix ans au début du roman, abandonné sur la côte par un groupe d'hommes qui fuit l'Angleterre en bateau. L'enfant est défiguré, son visage marqué par un sourire permanent tracé au couteau, tel un Joker avant l'heure. Errant à la recherche d'un refuge, Gwynplaine découvre le cadavre d'une femme morte de froid, au sein de laquelle est encore accrochée sa toute jeune fille. L'enfant sauve le bébé d'une mort certaine, et ils sont tous deux recueillis par Ursus, vagabond, saltimbanque et philosophe, accompagné de son fidèle loup Homo.

La suite nous raconte la destinée incroyable de Gwynplaine et son entourage. Adulte, alors qu'il monte sur scène chaque soir avec le troupe de théâtre menée par Ursus, Gwynplaine va rencontrer son passé, son destin, et un monde dont il ignorait tout.

Comme d'habitude avec Victor Hugo, les personnages sont fouillés, le récit riche et dense, entrecoupé de réflexions personnelles de l'auteur-narrateur. Ici, il en profite nous dresser un portrait de l'Angleterre aristocratique, présentée comme un prélude aux grandes révolutions du XIXe siècle.

Avec L'homme qui rit, Victor Hugo signait une fois de plus un grand roman, une oeuvre riche et complexe, entre drame historique et roman philosophique, à la fois passionnant dans son premier aspect et enrichissant dans le second.
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Un chef-d'oeuvre méconnu.
Ddiscours de Gwynplaine devant ses pairs :

"Ce que je viens faire ici?... Je suis le peuple. Je suis une exception? Non, je suis tout le monde. L'exception c'est vous... Je suis l'Homme. Je suis l'effrayant Homme qui rit. Qui rit de quoi? de vous. de lui. de tout. Qu'est-ce que son rire? Votre crime et son supplice. Ce crime, il vous le jette à la face; ce supplice, il vous le crache au visage. Je ris, cela veut dire: Je pleure... Ce rire qui est sur mon front, c'est un roi qui l'y a mis. Ce rire veut dire haine, silence contraint, rage, désespoir... Ah! vous me prenez pour une exception! Je suis un symbole. O tout-puissants imbéciles que vous êtes, ouvrez les yeux. J'incarne Tout. Je représente l'humanité telle que ses maîtres l'ont faite. L'homme est un mutilé. Ce qu'on m'a fait, on l'a fait au genre humain. On lui a déformé le droit, la justice, la vérité, la raison, l'intelligence, comme à moi les yeux, les narines et les oreilles; comme à moi, on lui a remis au coeur un cloaque de colère et de douleur et sur la face un masque de contentement. Où s'était posé le doigt de Dieu, s'est appuyée la griffe du roi. Monstrueuse superposition. Evêques, pairs et princes, le peuple, c'est le souffrant profond qui rit à la surface... Aujourd'hui vous l'opprimez, aujourd'hui vous me huez. Mais l'avenir, c'est le dégel sombre... Il viendra une heure où une convulsion brisera votre oppression, où un rugissement répliquera à vos huées.""Cette heure de Dieu est venue, et s'est appelée République, on l'a chassée, elle reviendra... La série des rois armés de l'épée est interrompue par Cromwell armé de la hache. Tremblez..."

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L'un des clichés les plus répandus sur les Gitans était qu'ils enlevaient les enfants des bonnes familles pour les faire travailler ou mendier (alors qu'historiquement, la plupart des pays d'Europe ont organisé des rafles d'enfants gitans qu'ils donnaient en esclaves aux paysans, afin de limiter la croissance de ces populations... cf. Petite histoire du peuple Rrom, de Pierre Courthiade). Victor Hugo les appelle ici "comprachicos", qui achètent des enfants. Ces indésirables, criminels punis impitoyablement en début de roman, ne sont-ils pas simplement des exécutants ? Dès lors, le roman raconte aussi bien un jeune garçon orphelin en quête de ses origines (sujet classique de conte), qu'une enquête sur la vraie nature des commanditaires…

Gwynplaine, jeune homme au visage déformé, fait penser au Joker de l'univers de Batman, personnage dont le sourire figé évoque tant la folie d'un rire sans fin qu'une souffrance psychique violente qui se serait transformée en rictus. Ici cependant, cette apparence est plutôt un masque qui lui a été imposé dans l'enfance et n'a rien à voir avec son naturel calme et réfléchi. Cette déformation qui fait de lui un monstre (au sens étymologique de "chose qu'on mon(s)tre"), plutôt que de manifester extérieurement son caractère (physiognomonie de Lavater), détermine plutôt le comportement que doivent adopter les gens qui le considèrent (voilà l'homme qui fait rire). Comme le vêtement sale et usé, les manières rustres ou le langage argotique, cette apparence empêche de prendre au sérieux un misérable, ce sourire agrandi déforme la perception qu'on a du personnage et de ce qu'il pourrait nous dire. Ce masque s'est fondu à la chair, comme un handicap : comme la bosse de Quasimodo ou un pied-bot, il le rend étrange, boiteux, suspect, toujours ridicule. Cette séquelle - tellement visible qu'on ne voit plus qu'elle - est symbolique de la condition des exclus : adultes, ils restent marqués par le "masque" qu'on leur a imposé dans l'enfance. Pour un lord, le pauvre sera toujours un Elephant Man que la difformité exclue de la bonne société (c'est la grandeur tragique de la scène du fou rire parlementaire). Dans une telle société, même avec un coup de baguette magique (découverte d'une naissance noble), la fin heureuse des contes merveilleux (reconnaissance de la véritable valeur du héros) est impossible. Fondamentalement hypocrite, le principe aristocratique (ou méritocratique : celui qui réussit est récompensé d'un pouvoir) aura toujours pour conséquence non la constitution d'une classe qui réunit les plus dignes de responsabilités, mais l'exclusion de la plus grande majorité de la population (afin de donner plus de valeur et de pouvoir à leur distinction).

Ce roman est sans doute l'oeuvre de Hugo la plus avant-gardiste quant à son écriture. Sa prose poétique totalement libérée explose le moule académique. Hugo multiplie à l'infini les figures d'opposition, les accumulations, les images, l'emphase… les ruptures de syntaxe, les trouvailles lexicales… Il suit la foudre de ses visions comme autant de flux de conscience symbolistes avant l'heure. Son lyrisme vire à la logorrhée maniaque, ce qui a désorienté et rebuté lecteurs et critiques de l'époque, mais illustre à merveille l'univers forain. Saltimbanques, ménestrels, jongleurs, cracheurs de feu, funambules, charlatans, pique-poquette, danseuses... Femmes et hommes qui y évoluent sont tous des écorchés, orphelins, exclus de la société et enfants d'exclus, monstres sans vêtement ni visage social (ni ouvrier, ni paysan, ni curé...), mais fardés, déguisés, acteurs au rôle indécis, chatterie écoeurante et frayeur délicieuse. Des nomades qui se promènent effrontément et dangereusement dans le jeu laissé entre les pierres de la pyramide sociale. Aspirations du petit peuple à la liberté retrouvée, à la disparition de soi, à la transfiguration féerique, à la joie et la folie enfin déployées sans retenue jusqu'à la vengeance. Images de cauchemars pour une élite, d'une société où les places sociales seraient interchangeables, mais aussi attirance irrépressible pour l'encanaillement et mains bon marché pour accomplir toute sorte de basses oeuvres... le style de Hugo, avec sa manie de l'hyperbole, le travestissement des métaphores, la porosité des parallèles, la réversibilité des contraires, pourrait s'interpréter comme une harmonie imitative de cette énergie carnavalesque. Les comprachicos et les monstres de foire, la foire elle-même, existeraient-ils sans l'argent de l'élite ?… Peu importe qu'il soit un lord reconnu ou un monstre de foire, Gwynplaine demeure une engeance de l'élite monstrueuse.
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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