Sublime roman à quatre voix, quatre enfants pour quatre générations,chacun narrateur à l'âge de 6 ans. Un voyage entre les États-Unis, le Canada, Israël et l'Allemagne. de la guerre en Irak à la seconde guerre mondiale.
Nancy Huston prend le lecteur à contre-pieds en lui faisant remonter l'Histoire/l'histoire.Le premier chapitre est consacré à Solomon, enfant-roi du couple formé par Tess et Randall, lui-même fils de Sadie et petit-fils de Kristina.
Solomon est un enfant horrible,de ceux dont tous les désirs ont toujours été exaucés et auxquels on a laissé croire qu'ils étaient des génies. de fait, très en avance sur son âge, il se nourrit d'images pornographiques, de scènes de tortures ou de guerre trouvées sur Google, son meilleur ami, le tout en se masturbant. Manipulateur, il sait comment parvenir à ses fins, ses parents - sa mère surtout - précédant ses désirs. Un voyage en Allemagne, sur la terre de sa famille paternelle, est sans doute l'élément qui va déstabiliser son petit monde. Reconnaissons à l'auteur un talent fou pour décrire le sentiment de toute-puissance chez le jeune enfant quand aucune limite ne vient le contenir. Effrayant et jubilatoire !
1982. Randall grandit entre un père dramaturge, aimant et attentionné, et une mère qui a développé pour la religion juive une véritable passion, alors qu'elle est goy. A la recherche des origines de sa mère, Kristina-Ezza, célèbre chanteuse, elle prépare un doctorat sur le Mal - au sens d'
Hannah Arendt. Sadie n'est pas exactement une mère maternante, trop préoccupée par ses recherches, elle néglige mari et enfant, les entraînant dans un déménagement à Haïfa qui va à jamais changer leur vie. Randall grandit sur la pointe des pieds, attentif à ne pas contrarier cette mère, attaché à son père, Aron, qui lui prodigue toutes les manifestations d'affection dont un enfant a besoin.
1962. L'enfance de Sadie se déroule sous le signe de la tristesse, entre des grands-parents peu affectueux, rigides, qui subissent comme une charge cette fillette confiée à leurs bons soins par leur fille Kristina, chanteuse de talent. Tout est douloureux pour Sadie : revêtir l'uniforme de l'école, école où elle n'a pas de camarade, le cours de piano durant lequel son professeur (grande pédagogue :)) lui donne des coups de règle sur le poignet, le cours de danse classique où les pointes sont des tortures, … Sadie attend sa mère. Elle compte les jours, les semaines qui lui permettront de finalement vivre auprès d'elle. Et ce jour arrive enfin ! Kristina se marie avec Peter, son manager, et voilà la petite famille qui déménage pour New York. le début d'une nouvelle vie pour la fillette ?
1944-1945, en Allemagne. Kristina est la benjamine d'une famille qui attend le retour du père et du frère aîné, partis tardivement sur le front, alors même que la guerre est déjà presque perdue. Malgré les privations, les bombes, les deuils, la fillette vit un enfance plutôt protégée, choyée par des adultes affectueux. Jusqu'à la révélation par sa soeur Greta qu'elle a été adoptée…
La boucle est bouclée. La construction du récit est magistrale, on saute d'une époque à l'autre et de menus détails s'éclairent, prennent sens, se conjuguent pour livrer une histoire d'héritage, de patrimoine, de filiation complexe et poignante. L'enfance des personnages est marquée par les grands événements du XXème siècle qui retentissent de façon directe ou pas sur les choix de leurs parents, qui engagent leur propre devenir. C'est aussi l'histoire de malentendus, de secrets, de non-dits qui pèsent lourd sur les épaules de ces enfants et qui influeront vraisemblablement sur leur propre parentalité.
De ces romans que l'on referme à regret. Gros coup de coeur !