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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Deux ans après « A rebours », en 1886, Joris Karl Huysmans – de son vrai nom Charles Marie Georges Huysmans – publie en feuilleton « En rade ». Depuis 1876, l'année de son premier roman, il est l'ami d'Emile Zola qu'il considère comme son maître à penser en littérature ; et qui l'invite fréquemment à Médan, avec d'autres écrivains comme Guy de Maupassant...

Amateurs de Zola, rien que ce petit rappel chronologique impose la lecture de Huysmans ; même si « A rebours » constituait en quelque sorte une rupture avec le courant « naturaliste » cher à Zola… Une rupture assumée avec « En rade »…

Jacques Marles, un riche parisien s'est réfugié au château de Lourps avec sa femme, Louise, ruiné à cause de la « faillite d'un trop ingénieux banquier ». Un retour à la terre, en quelque sorte. Sauf que la campagne quand on est citadin comporte énormément d'inconvénients… Quant aux hôtes du couple, ils s'avéreront de fieffés coquins…

On ne rompt pas aussi facilement avec le naturalisme : j'en veux pour preuve quelques scènes de la vie quotidienne au château que Zola n'aurait pas reniées. Mais l'interêt de « En rade » réside surtout en une ouverture sur le rêve et son analyse, bien avant les théories de Freud : on passe du naturalisme au « surnaturalisme » …
Trois rêves ponctuent le récit, le rêve d'Assuérus au chapitre III, le rêve de la Lune au chapitre V et celui des tours de Saint-Sulpice au chapitre X ; des rêves comme des résurgences de l'inconscient dans la vie réelle. Précurseur, Huysmans ? Peut-être… inconsciemment…

Il n'en reste pas moins que Huysmans est un écrivain majeur du XIXème siècle, contemporain de Zola, et pratiquement oublié de nos jours. Dommage.

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Ce court roman publié en 1884, se situe dans l'oeuvre de Huysmans entre ces deux romans majeurs que sont À rebours (1882) et Là-bas (1891).

Il n'a ni la flamboyance baroque de A rebours, ni l'exploration teintée d'ironie de l'occultisme et du satanisme de Là-bas.

En rade qui porte bien son nom, tant la vie des héros de ce roman est marquée par l'abandon, le naufrage existentiel, est un récit qui oscille entre naturalisme et symbolisme. Il n'en contient pas moins, je trouve, deux thèmes insolites, celui de l'exploration du rêve et du surnaturel et celui de la maladie psychique.

Jacques, en proie à de graves problèmes financiers et dont le couple bat de l'aile, pense trouver refuge, et prendre un nouveau départ, en s'éloignant de Paris avec son épouse Louise pour se rendre en Normandie dans le vieux Château de Lourps (curieusement le même nom que celui de A rebours) où vivent l'oncle de celle-ci, Antoine et son épouse Norine. L'oncle leur a promis « qu'ils pourraient y vivre en abondance ». En réalité, le château est une ruine sinistre, dont la plupart des pièces sont inhabitables, les jardins qui l'entourent sont à l'abandon, et l'église voisine délabrée. Antoine et Norine, couple de paysans qui vit dans une chaumière près du château sont des personnages antipathiques, grossiers voire grivois, âpres au gain, et malhonnêtes, et dont le couple parisien est contraint de subir les conditions de vie, dont la nourriture pauvre et infecte.
Durant ce séjour, le lecteur suit Jacques dans ses déambulations au sein des salles du château, des caves, de sa rencontre soudaine et terrifiante avec un chat-huant, de ses promenades aux alentours, dans les jardins du château ou de l'église qui lui apportent un peu de paix.
On le voit confronté au mépris et à la malveillance de Norine et d'Antoine, dont il réalise qu'ils le volent, et aussi à la grossièreté de ceux qu'il rencontre dans une auberge voisine.
En définitive, confronté à ces conditions de vie désastreuses et à cette ambiance hostile, le couple va, dès qu'il aura obtenu d'un ami un peu d'argent, s'enfuir avec précipitation vers Paris.

Mais ce séjour, et c'est sans doute le point le plus important, est celui de la révélation de la faillite du couple formé par Jacques et Louise. Une incompréhension et du mépris réciproque s'installent progressivement entre les deux époux. À cela s'ajoute pour Jacques l'énigme de la maladie de Louise, point sur lequel je reviendrai.

Et je crois que les trois rêves extraordinaires de Jacques, auxquels sont consacrés trois chapitres, expriment de façon inconsciente son sentiment du naufrage financier, sentimental, et sexuel de son couple.
Ainsi, particulièrement troublant est ce deuxième rêve décrivant la déambulation du couple sur la Lune, astre féminin par excellence, et de la vision de tous ses paysages figés, de ses mers et montagnes hostiles, rêve qui se termine par le constat que fait Jacques de la sottise de sa femme. Et alors que le premier rêve représente comme la promesse d'une femme jeune et offerte à un roi de l'Antiquité, le dernier révèle la femme sous un aspect physique horrible et devant laquelle Jacques s'exclame «Cette abominable gaupe, c'est la Vérité ».

On sait que plus tard André Breton fera de ce roman de Huysmans un jalon précurseur du surréalisme. Je ne sais qu'en penser, car ici, l'auteur ne fait pas explicitement du rêve le matériel de sa création.
Mais on pourrait aussi évoquer Freud qui publiera à peu près à la même époque (1899), le rêve et son interprétation.

L'autre thème qui fait pour moi l'étrangeté du récit, et qui nous éloigne du naturalisme de cette histoire aux accents souvent pessimistes et sordides, c'est la maladie de Louise. Une maladie dont Jacques nous dit qu'aucun médecin n'arrive à la soigner, et dont les manifestations, les crises de boulimie et d'anorexie, la crise pseudo-épileptique décrite dans le roman font penser à un trouble psychique et plus particulièrement à l'hystérie telle que Charcot la décrivait en fin de 19ème siècle. Devant cette maladie, on trouve un mari désarmé, mais, quant à lui, sans énergie et au psychisme dépressif.

En conclusion, un roman que j'ai eu plus de difficulté à cerner que À rebours et Là-bas, mais dont l'irruption du rêve dans le récit fait l'originalité.
Et puis, il y a comme toujours la beauté du texte, l'écriture toujours aussi riche de Huysmans, l'emploi de ces mots rares qui sont autant de bijoux qui parsèment le récit.
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Jacques Marles et sa femme Louise ont fui Paris et les créanciers pour se réfugier au château délabré de Lourps jouxtant la chaumière de l'oncle Antoine et de la tante Norine, paysans de la région de Brie. Cette cohabitation et promiscuité forcées, du couple lui-même ainsi qu'avec les habitants du lieu, auront des conséquences psychologiques inattendues. « (…) il eût mieux valu ne pas se sauver à la campagne, tenir tête aux assaillants, se débattre à Paris, s'installer d'une façon autre (…) »
En rade, c'est un huis-clos étouffant entre deux êtres qui paraissent tout à coup, transplantés dans un univers inconnu, mal assortis, aux prises avec l'âpreté des moeurs rurales. L'issue temporaire réside dans ces rêves et ces cauchemars qui parcourent les nuits agitées de Jacques et ces envolées éveillées que procure la beauté des paysages.
Peu d'action dans ce roman tout en finesse, ciselé par la magnifique écriture de Joris-Karl Huysmans, mais l'impression d'avoir effectué un voyage temporel mille fois plus intéressant que n'importe quelle intrigue romanesque.
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- Ah ben c'étant !
V'là les Parisiens qui débarquent en province. Pour fuir temporairement des problèmes d'argent, Jacques et Louise vont se réfugier chez des parents de cette dernière, gardiens du château de Lourps. le jeune couple se retrouve à loger dans une chambre défraichie du manoir qui tombe en ruines, abandonné par ses propriétaires, sans soins. Mais hélas, leur "calvaire" ne se limite pas au manque cruel de confort. L'enfer, ici, ce sont aussi les paysans qui, tout oncle et tante qu'ils sont, entendent bien soutirer aux citadins tout ce qu'ils pourront. Aussi, ceux qui devaient être un soutien en ces temps difficiles s'avèrent d'une cupidité, d'une saleté et d'une vulgarité à laquelle Jacques et Louise ne s'attendaient guère. La seule rencontre agréable de ces quelques mois sera un pauvre chat malade, sauvé in extremis des coups de la tante Norine.
Quand enfin, ayant reçu trois cents francs, le ménage décide de rentrer sans plus tarder à Paris, tous deux savent que plus rien ne sera comme avant. En plus de gérer les créanciers et un train de vie plus adapté, ils devront faire avec la fin des illusions au sein du couple. Louise peine à cacher quelques regards de mépris pour ce mari qui n'a pas su mener la barque. Pour Jacques, son épouse, dont les traits campagnards se sont révélés, a perdu de son prestige dans cette chambre humide partagée à deux.

Je suis assurément moins emballée par En rade que je ne l'avais été par A rebours. L'écriture de Huysmans est certes toujours la même, avec une pointe d'humour et un grand art dans les descriptions. Cependant, le milieu paysan et le château délabré, quoique dépeint à merveille, n'ont pas exercé sur moi la fascination qu'avait engendrée la demeure de Des Esseintes. Je suis, moi aussi, restée en rade, restée sur ma faim. Tant pis. Ce roman n'en demeure pas moins très agréable à lire et j'ai beaucoup aimé les récits des rêves de Jacques qui font entrer une part d'imaginaire au milieu des dures réalités de la campagne.

Challenge XIXème siècle 2021
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Huysmans poursuit avec En rade le travail de fuite de son époque qu'il avait entamé avec À rebours, dans une version plus narrative, et sur un mode souvent comique.

Jacques et Louise sont deux jeunes parisiens, mariés sans fortune et sans dot, qui se retrouvent bien vite criblés de dettes. Devant l'urgence de leur situation, Louise suggère une retraite à la campagne chez un oncle paysan qui leur a promis un hébergement provisoire, le temps pour le couple d'échapper aux créanciers. Comme bien souvent l'idée est bonne sur le papier, mais une fois arrivés à Lourps (bonjour l'ambiance), les deux amants découvrent en guise de gîte un château à l'abandon rongé par l'humidité, et pour tout accueil la langue boueuse et les manières rustres du père Antoine et de sa femme Norine. Aux problèmes financiers s'ajoutent donc, dans cette campagne laide, des conditions de vie hostiles et des codes sociaux repoussants, tirés à grands traits par Huysmans qui s'amuse sans trop se cacher des dialogues gras et des épisodes scabreux qu'il insère dans son récit. A Lourps, point de salut, donc : si là-bas Jacques et Louise parviennent au moins à échapper à Paris, c'est pour ressentir bien vite le désir de s'échapper de Lourps tout autant.

De manière fascinante, En rade fait se côtoyer les contingences au ras du sol et l'imaginaire le plus merveilleux, entre lesquels Jacques, personnage passif et inadapté au monde, est partout déboussolé. Mauvais au travail manuel, pas assez brillant, il incarne la victime d'un environnement en perpétuel mouvement où Dieu est déjà trop mort, même si, çà et là, sont semés les signes que c'est vers Lui qu'il faudra retourner pour succéder à la petite satisfaction de s'être « débarrassé de l'écorce temporaire d'un corps. » En attendant, c'est dans le rêve que se retrouve, sous des formes folles et élastiques, le substitut féérique aux textes fondateurs, qui s'offre au lecteur dans des passages étranges et hallucinés, semblant eux-mêmes vouloir lacérer l'entreprise naturaliste dans son ensemble par leurs retours réguliers tout au long du roman.

L'ouvrage alterne donc de très belles descriptions topographiques qui affirment par métonymie la mort d'une époque, et des délires oniriques qui cherchent ailleurs une évasion encore embryonnaire et indéfinie. A défaut de solution, Jacques et Louise au terme du livre s'en retournent tout bêtement à Paris, tout aussi pauvres et un peu plus dégoûtés du monde et d'eux-mêmes : au-delà de l'apparent échec de leur petite aventure, En rade marque les tâtonnements spirituels de Huysmans, encore loin d'avoir repéré un chemin, mais tout de même un peu sorti de la stase totale d'À rebours, avant que tout cela ne se précise dans le cycle de Durtal à venir. Un roman court et original, qui trouve ses meilleures pages là où s'expriment les hilarants penchants macabres de son auteur.
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La terre, l'art de la description incroyablement talentueuse de Huysmans déclame dans ce livre les affres de deux bourgeois parisiens dans la dèche chez leurs proches en province. Au fond de la noire campagne des environs de Provins, ils découvrent la misère des paysans tout en continuant à vouloir vivre avec de riches et gourmandes habitudes. Leur oncle est un laborieux et poisseux gueux qui profite de tous les larcins possibles entre deux labeurs même sur le dos de ses proches. l'atmosphère devient pesant, lugubre et chargé de misères des uns et des autres, d'argent et de coeur.

Huysmans est précis sans être trop pesant dans ses mots pour décrire les lieux ou les situations.

Toute une époque de la littérature !
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oui, bien sur........ mais si loin de la puissance de" A REBOURS"

ou de Lorrain........
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Déjà, je suis attiré par le titre "En rade". J'adore.
Bon, c'est un livre assez étrange, mais fortement bien pensé et exprimé. Quelle belle écriture, intelligente. Peut-être un peu trop, c'est toujours la faiblesse dans un point très-trop fort.
De très puissantes descriptions de la réalité, nature, et des délires ou rêveries, où la folie frôle. de puissants contrastes agitent ce roman, comme les marées.
Le truc étonnant est qu'il passe d'un registre à l'autre sans trop crier gare, mais ça se tient, la cohérence est.

Extrait de la notice, sise après le texte proprement dit :
Comment mieux dire : Huysmans n'a pas le sens de l'absolu, il ne sépare pas la cuisine de la théologie, avoir mal au ventre d'avoir mal à l'âme, une prière d'un médicament. Il serait absurde de le lui reprocher, comme de l'en féliciter. Il ne le fait pas exprès, et c'est cela qui donne une saveur à son oeuvre.

J'ajoute que la préface de Jean Borie dans l'édition Folio Classique est remarquable !
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