«
La Baleine Tatouée » est un petit roman, un conte plutôt, de
Witi Ihimaera, écrivain maori d'expression anglaise. L'original s'appelle « Paï » (1987) traduit en « The Whale Rider », et actuellement traduit par
Mireille Vignol en «
La Baleine tatouée » (2022, Au Vent des Iles, 164 p.). Lorsque l'on cherche un peu d'autres ouvrages de cet auteur, on trouve «
Kahu fille des Baleines » illustré par Bruce Potter (2009, Au Vent des Iles, 48 p.) dont le résumé éditorial ressemble fort à celui de «
La Baleine tatouée », sans le « Ta-Atua », il est vrai. Sans doute était-ce avant que le dite baleine puisse exprimer ses signes extérieurs de richesse et de pouvoir.
le roman narre l'histoire de Kahu, une fille de 8 ans, descendante de Kahutia Te Rangi, la chevaucheuse de baleines. Nous y voilà. Membre de la tribu maorie de Whangara sur la côte est de la Nouvelle-Zélande. Son arrière-grand-père, Koro Apirana, est le chef de la tribu. Mais comme la tradition maorie est très patriarcale, il aurait préféré avoir un héritier masculin. Comme quoi les femmes ne peuvent pas acquérir le leadership traditionnel du peuple maori.
L'histoire est découpée selon les saisons, du printemps à l'hiver, avec un prologue « le chevaucheur de baleines » et un épilogue « L'enfant de la mer ». Une introduction tout d'
abord qui permet de présenter l'ile, ses habitants, la mer qui « grouillait de poissons », y compris le « tarawhai, la raie à queue pointue ». et voilà qu'arrivent les pirogues « waka ». Ils venaient de leur ile-royaume, au-delà de l'horizon ». Sans doute la mythique Hawaiki. Et sur ces scènes quasi paradisiaques, « le soleil se levait et se couchait, se levait et se couchait ». Ignorants sans doute, qu'au même moment, en Angleterre, « le soleil se couchait et se levait, se couchait et se levait ».
Survient un « tohora, une baleine gigantesque. Un monstre marin », portant « le signe sacré : un moko en forme de spirale sur son front ». C'était bien avant
Herman Melville, encore plus avant
Pierre Senges, qui lui s'était concentré sur le devenir de la grande baleine blanche. A lire absolument «
Achab Séquelles » (2015, Verticales, 624 p.), mais cet animal est rancunier. Que devient-il une fois démêlée de ses filins ? Que devient Achab après que le baleineau lui ait bouffé sa jambe ? Achab à New York, devenu liftier, garçon d'hôtel, confesseur, comédien et souffleur (normal pour un ex-baleinier), en prestations avec les Ziegfeld Folies. Tout cela n'est pas présent chez Witi Ihimeaera, c'est bien dommage.
Par contre, « un homme jaillissait des flots, à califourchon sur la tête de la bête ». Un « dompteur de baleine ». Encore plus fort que les grands cirques, même ceux à trois pistes en simultanée, comme j'ai pu en voir. Encore plus amusant que les dauphins tristes, tournant en aquarium comme un vulgaire ide dans son bocal. Il est vrai qu'au cirque, il y avait l'orchestre, un vrai avec des musiciens, et un Monsieur Loyal, tout aussi prétentieux, mais habile à donner des coups de pieds au derrière de l'Auguste. Là, il n'y a que « le chant fabuleux [qui] emplit soudain l'océan » et qui s'adresse à la terre « Vous m'avez appelé et me voilà ». On dirait la BBC et Radio Londres, en version remastérisée et sans brouillage.
Le tout se termine per un « hui e, haumi e tâiki e ». Ainsi soit fait. C'est la phrase répétée dans la tradition orale.
Après le prologue, le printemps avec « La force du destin » en Patagonie. C'est la crèche, le berceau des cétacés. Petit baleineau deviendra grand pourvu que le krill soit abondant. Pour faire plus chic, ces animaux possèdent une paire d'organes lumineux près des yeux, une autre paire sur la deuxième et cinquième pattes et un sur les quatre sternums. Et de plus ils ont de grands yeux composés noirs. Et le chef du groupe se souvient de sa jeunesse, quand il était encore baleineau, et qu'il avait vu sa mère dévorée par les requins. Mais un homme l'avait pris en pitié « qui le berça et pressa son nez conte le sien en signe de salut ».
Arrive, enfin, Kahu, abréviation de Kahutia Te Rangi, fille de Rehua, épouse de Porourangi, ainsi que l'annonce t'on à Koro Apirana, chef de la tribu. Une fille, une arrière-petite-fille…. « Elle a brisé la lignée masculine dans notre tribu ». Alors que la tradition voudrait que la société soit dirigée de façon patriarcale. « Puis, loin au large, j'entendis un son de baleine. hui e, haumi e tâiki e. Ainsi soit fait ».
Avec l'été, arrive une autre déception, c'est la mort de Rehua, la mère de Kahu. Et la généalogie du « peuple de Te Tai Rawhiti ; le peuple de le cote est », en est tout bouleversée. C'est Kahu qui sera chef de la tribu « La malédiction des femmes ». Toujours BBC et Radio Londres qui annonce les changements à venir et le vote féminin.
On passe alors à la version de Rawiri, l'oncle de Kahu. Il revient d'Australie et a découvert que « c'était un pays balèze, beuglard, baratineur, brutal et beau ». Voilà pour les qualificatifs en « b ». bizarre dans ces récits mythologiques, c'est toujours le tonton, qui en a marre de la tribu, s'exile quelque temps et revient donner des leçons. C'est un peu l'oncle Vania de «
Pourquoi j'ai mangé mon père » de
Roy Lewis (1996,
Actes Sud, 176 p.), qui, devant une côtelette grillée au feu s'exclame « Ca me rappelle Chou Kou Tien ». Mais là ce sont ses expériences en Papouasie qu'il raconte, avant de se décider à prendre le chemin du retour et de voir dans les nuages une baleine géante.
C'est alors qu'un groupe de baleines s'échoue sur la plage de Whangara. « Toute la tribu, mâles, femelles, baleineaux, tous suivaient leur leader ». Parmi elles, une baleine tatouée pleure l'homme, son fidèle compagnon, qui la dompta et la chevaucha jadis. Kahu doit faire quelque chose, si elle veut sauver les baleines, et par là même, sa tribu. « Sur la tête de la baleine se trouvait le signe sacré. Un tatouage tourbillonnant, clignotant sa puissance à travers le ciel qui s'assombrit ». La légende maorie raconte que jadis, Paikea était arrivé à dos de baleine jusqu'à l'île d'Aotearoa, « le pays au long nuage blanc » qui désigne la Nouvelle-Zélande.
le patriarche des baleines, « l'ancien rorqual » se laisse envahir par la nostalgie des jours anciens et revient sur les lieux de son bonheur passé. La petite Kahu sera l'instrument de la réconciliation.
Transmission de la culture et des rites, dimension culturelle des légendes, mais aussi combat intérieur de l'homme vieillissant pour accepter son déclin, et la destinée de sa petite-fille. « hui e, haumi e tâiki e. Ainsi soit fait ».