«
Faux Semblant » (Tuakiri Huna) est un roman de
Witi Ihimaera, écrivain maori, écrivant en anglas, traduit par
Mireille Vignol (2020 Au Vent des Iles, 108 p.). ceci dit la couverture qui ne m'avait pas du tout attirée. L'auteur a par ailleurs publié douze romans et six recueils de nouvelles.
Globalement c'est l'histoire de Paraiti, dite la Balafrée, « celle au visage ravagé », une guérisseuse traditionnelle maorie dans les années 1930. L'auteur l'a rencontré et y a eu recours alors qu'il souffrait alors de problèmes respiratoires devant lesquels les médecins traditionnels étaient sans recours. L'histoire est replacée dans le temps à l'époque où les guérisseurs, en particulier les phytothérapeutes, étaient considérés comme hors-la-loi et pouvaient encourir amendes et emprisonnement.
Actuellement ce savoir traditionnel est enfin reconnu et une douzaine d'écoles proposent et enseignent les techniques de « mirimiri », stimulation par les massages, libération des tensions et soulagement des douleurs.
« Moi, je suis Paraiti, une vielle Maorie, une faiseuse d'anges ». Elle a « le visage brûlé et balafré » et parcours le pays avec son étalon, Ataahua, sa mule Kaihe et son chien de chasse Tiaki. « Qu'importait le temps glacial, Paraiti était décidée à entreprendre son itinérance saisonnière selon le calendrier maori — et le Nouvel An maori, Matariki, était imminent. Sans compter qu'elle tournait comme un lion en cage — elle sentait l'appel de la route ». Tel est le monde de Paraiti. « Dévouée à la santé de son peuple, elle est donneuse de vie ». Elle soigne comme elle a appris. « Son père, Te Teira, était un tohunga, guérisseur et prêtre vénéré » Et il lui arrive de soigner des cas délicats, comme celui de Ihaka, jeune homme dans la force de l'âge. Trois fractures à réduire. « Ce que je vais faire sera douloureux et mes plantes médicinales ne seront d'aucune aide. Il plaça ses mains en coupe autour de son sexe ; sa pudeur toucha Paraiti et lorsqu'elle entreprit ses manipulations de rebouteuse, elle ne put réprimer la bouffée de désir — en était-ce vraiment ? — qui la traversa discrètement. Qui aurait pu rester de marbre face à une telle beauté ? Il se mit à geindre ; la sueur perlait sur son front. « Reprenez votre place ! » ordonna Paraiti en appliquant des plantes médicinales et en massant les os et les muscles sous la peau. Pendant toute l'épreuve, Ihaka fit de son mieux pour ne pas hurler, mais quand Paraiti commença à pousser, rassembler et manipuler en s'écriant « Revenez ! Je vous dis de reprendre votre place ! », il laissa échapper un hurlement d'agonie, faillit briser le bout de bois dans sa bouche et perdit connaissance ». Finalement elle réduit les fractures, et place des attelles. « En suturant la peau, Paraiti plaça également des attelles en bois de palmier et banda la jambe de feuilles de kahakaha. Elle entonna un chant pour son aiguille, lui demanda de coudre avec tendresse et délicatesse pour ne pas balafrer les cuisses musclées d'Ihaka ».
Un jour, elle est approchée par la servante d'une riche femme blanche avec une demande spéciale de la part de sa patronne. Il s'agit de Rebecca Vickers, une femme de la bourgeoisie, qui a séjourné en Angleterre, y a trouvé un amant, en a rapporté une grossesse, évidement non désirée. « une liaison adultère lors de son séjour en Angleterre » Elle exige que la guérisseuse l'aide à avorter de toute urgence, avant que son mari s'en aperçoive. Dilemme et affrontement des cultures, dilemme moral difficile. Un dilemme qui changera sa vie.
Au-delà de cette histoire d'avortement, le roman affleure plusieurs thèmes sous-jacents à la culture maorie et ses relations avec les anglais, ou européens au sens large. C'est l'histoire d'une disparition culturelle inéluctable. Les pratiques tribales comprennent les prières traditionnelles (karakia), la sculpture (whakairo, totems), le tatouage (tā moko) et peintures corporelles (peitatanga), les mythes tribaux (whakapapa) et la médecine (mirimiri). Même si ces pratiques connaissent un renouveau culturel, la place qui leur est laissée est en constante régression. Combien connaissons-nous d'écrivains ou de poètes maoris ?
Da façon plus générale, les spoliations foncières entre Pakeha et Maoris sont terminées quand le roman débute vraiment. Mais le visage brûlé et balafré est là. le policier « lacéra le visage de Paraiti d'un coup de tison et la jeta contre un tronc d'arbre ». Résultat « Une cicatrice rouge vif traverse son visage en diagonale à partir de la tempe droite ». Elle témoigne des violences de l'époque où Paraiti était encore enfant. « Paraiti avait six ans lorsqu'elle reçut cette balafre en 1880 ». On fait également allusion au prophète Te Kooti. « Te Kooti et ses disciples faisaient toujours l'objet de poursuites ». C'est le grand héros des guerres et séditions. Avec la ségrégation et mise à l'écart des pratiques maories.
Les différences culturelles sont loin d'être abolies. Il n'y a que voir le contraste entre le visage de Paraiti « lacéré d'un coup de tison » et celui de Rebecca Wickers blanche et riche, « grande et mince, une peau poudrée à la perfection, des yeux verts tachetés d'or, de larges iris ensorcelants » et cela va en s'embellisant « En l'espace d'un mois, sa grossesse l'a embellie de manière transcendante, époustouflante ».
Il convient de faire un petit résumé des relations entre européens (pakeha) et tribus (iwi) maoris. Elles n'ont pas toujours été comme un fleuve tranquille. Comme c'est souvent le cas avec les anglais, peut-être plus que d'autres. Sans remonter à Abel Tasman, qui se fait refouler en 1642, ou
James Cook et successeurs, les premiers contacts étaient presque pacifiques. L'arrivée de troupes britanniques à ce qui sera Russell dans la « Bay of Islands »), tout au Nord, là où le gouvernement anglais s'installe, change la donne. Avec le traité de Waitangi (1840), les maoris conservent terres, forêts, zones de pêche et autres taonga (trésors). Ce qui ne satisfait pas les colons. D'où des conflits. Ils débutent en 1843 avec le massacre de Wairau, dans le nord de l'ile du Sud. Les colons prenant de plus en plus leurs aises avec les terres, les conflits s'intensifient, se terminant en guerres ouvertes. Les hostilités diminuent à partir de 180 et cessent dans les années 1870. Auckland, dans l'ile du Nord, devient la capitale et les pakehas se barricadent et forment des milices. Au Sud, beaucoup de tribus se voient confisquer leurs terres. Les colonies de Canterbury et d'Otago au Sud de l'ile du Sud, deviennent les principales zones d'exportation de laine. Elles connaissent un boom économique avec plusieurs épisodes de ruées vers l'or dans l'intérieur des terres. Cet essor est favorisé par les premiers transports réfrigérés maritimes en 1882.
Les deux guerres accentuent les relations entre les deux iles et l'Angleterre, tant sur le point militaire qu'économique. Mais les fronts sont loin et les pertes sont surtout humaines, avec de maoris utilisés comme épouvantails dans les tranchées.
Dans les années 1960, la société néozélandaise devient urbaine. le mouvement des revendications foncières, reconnu publiquement à travers la création en 1975 du tribunal de Waitangi, bouscule alors l'imaginaire édulcoré de la population pakeha bercée durant des décennies par des discours idéologiquement positifs.
On pourra lire le livre passionnant de James Belich « Making Peoples: A History of the New Zealanders, from Polynesian Settlement to the End of the Nineteenth Century » (2002, University of Hawai'i Press, 497 p.)
Ceci dit, les relations s'améliorent. Arrivés vers l'an 1000 en provenance de la mythique Hawaiki, les autochtones se disaient « maori » ou « homme ordinaire », c'est-à-dire ni dieu, ni demi-dieu. Ils forment le peuple de la terre « tangata whenua », même si aujourd'hui, 85 % des 700 000 Maoris vivent en ville. La Nouvelle-Zélande regarde enfin sa double identité en face, sachant que les maoris représentent environ 15 % de la population. En effet, depuis 1975, un processus de réconciliation est en cours. Parfois c'est l'Etat qui verse de l'argent à un trust géré par une tribu pour construire une école ou restaurer village. Des supermarchés ou des chaînes de magasins doivent payer leur bail à une association indigène qui revendique la propriété du terrain. Ainsi, par exemple le traditionnel « haka » est interdit dans la publicité. Et signe des temps, le « Nelson Mail » a affiché sur sa une, le 20 novembre 2020, la conclusion de son introspection. Et ceci maori « No matou te he » et en anglais « We are Sorry », soit « Nous sommes désolés ». On le serait à moins. Ce processus est encore loin d'être le cas en Australie, la grande ile voisine. Je me souviens avoir vu au journal télévisé à Sydney, le reportage sur une cérémonie avec des aborigènes, et le premier ministre, qui s'échangeaient des poignées de mains trempées dans une boue commune. L'impression lue sur le visage du premier ministre témoignait de son gène « Quand est-ce que je pourrai me laver les mains ? ». Cela en dit beaucoup plus que les discours officiels.